“On a abandonné enfants et vieux morts de soif…”

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Un nombre important d’âmes se retrouvent de nos jours forcées à fuir leur pays, leur milieu naturel qui les a vus venir au monde, pour aller vivre ailleurs, sur une terre qui n’est pas la leur.

Où ils sont étrangers, où ils sont appelés «migrants». Ils sont parfois des enfants qui fuient les guerres, les dictatures, ou tout simplement la misère. Bref, ils vont à la recherche d’une vie tout court, eux qui en ont marre de se contenter de survivre. Ils sont des vagues à déferler ces derniers temps sur l’Algérie. Aucune ville quasiment n’est épargnée. La Kabylie n’échappe pas à cette règle. Ils sont visibles dans les rues et les quartiers, aux chefs-lieux des villes comme ailleurs dans les banlieues. Ils viennent en gros du Sahel, du Mali, du Niger, mais aussi de la Syrie. Ils ont débarqué sans prévenir. Sur la place de Tizi-Ouzou qu’ils ont investie, ils n’ont pas eu grand-chose, mais on ne les a pas chassés non plus. Ils se rendent aux urgences de l’hôpital pour consulter comme tout autre Algérien, ils vont dans les superettes, dans les boutiques… Bref, là où ils veulent, sans que personne ne leur manifeste du rejet. Ca a suffit pour les mettre en confiance. Ils dorment à la belle-étoile sans se soucier de l’insécurité personne ne les dérange, mieux, on les arrose de pièces et ça les contente et les réjouit en attendant mieux. Ils ne demandent pas l’asile, mais ils se livrent volontiers au peuple. Ils ont réalisé que personne ne leur fera de mal. Ils lâchent leurs enfants qui, à peine, parviennent à faire quelques pas en toute quiétude pour quémander quelques sous… A Tizi-Ouzou, ils se sont même bien adaptés. Ils gâchent un peu le tableau de la ville, mais… Et ça dure depuis bien avant le mois de Ramadhan ! Ils attendent en fait un geste des autorités.

En Kabylie avec deux femmes et trois enfants…

Ce n’est pas qu’ils réclament «leur part du développement», mais ils espèrent toujours un geste… Bahari Sani, un jeune Nigérien âgé de 34 ans, fait partie de cette frange. Il a mis pied à Tizi-Ouzou depuis un certain temps déjà. Il vient du Niger, comme des centaines de ses compatriotes. Il n’éprouve aucune gêne à raconter son arrivée en Kabylie avec femmes et enfants dans les bagages. Son quartier général à Tizi-Ouzou, c’est du côté de la nouvelle gare routière où il demande l’aumône et crèche avec ses deux femmes, Zineb et Chahria, et ses trois enfants, Djourya, Saïdou et le plus jeune Sany, un bébé de sept mois. Bahari raconte qu’il a pris le départ de Matayème, au sud du Niger. Là-bas, il a laissé sept frères dont il est l’aîné et le tuteur. Ses parents ? «Tous les deux décédés !», réplique-t-il avant de se lancer dans son récit. «Nous étions un groupe de 20. On s’est déplacés jusqu’aux frontières nigériennes comme on a pu. Là-bas, il y avait des véhicules, des Toyota garées à la vue de tous, comme dans une station, une gare, et des clandestins se proposaient à la criée : Algérie! Algérie!». «Nous nous sommes alors embarqués sans trop réfléchir. Le convoi prit alors la direction des frontières algériennes. Le chauffeur nous déposera par la suite à quelque 40 km d’In Guezzam. Il ne voulait pas prendre plus de risque. Il fallait alors continuer le trajet à pied», raconte Bahari. «Ce n’était pas du tout facile, au milieu du désert. Aucun arbre, ni abri, rien ! Au dessus de nous le feu du soleil, et en bas le sable brûlant». «On était si fatigués. Et personne ne pouvait quelque chose pour les autres. On s’est mis alors à abandonner nos effets pour nous alléger. Une compatriote perdra même son enfant juste avant de franchir les frontières. Elle pleurait sans s’arrêter… Ses pleurs résonnent encore dans mon crâne. Des vieux n’ont pas pu non plus aller au bout du trajet. Souffrants, ils sont décédé faute d’eau». Visiblement, les images lui revenaient à l’esprit avant d’éclater en sanglots. Le visage de Bahari se referme d’un coup. Il a du mal à reprendre. Il tourne ses pouces, baisse la tête, se frotte le front et lâche un grand soupir. Il ne dit plus rien. Puis ressaisit son gobelet jetable, à moitié rempli de café. Il «aspire» une petite gorgée et se relance sans essuyer ses larmes.

«Manger, boire, avoir des médicaments… c’est un rêve !»

« On croyait vraiment qu’on allait tous y passer, ce n’était pas la mer, mais le désert n’est pas moins dangereux. On n’avait pas de repères. L’apparition des gendarmes algériens nous a vraiment soulagés. On voulait se faire prisonniers volontairement… On nous a alors donné à boire et à manger. On nous a vraiment ramenés à la vie. On était à bout. On n’avait pas de passeports, mais on nous a laissés partir libres après vérification de nos cartes nationales». Bahari révèle que lui et sa famille sont restés à In Guezzam près de trois semaines, le temps de débrouiller l’argent qu’il fallait pour payer le voyage sur Alger avant de rejoindre Tizi-Ouzou où il avait déjà un contact. Il rejoindra par la suite le chef-lieu de Tamanrasset où «j’ai travaillé en noir comme maçon mais la police ma prévenu de ne plus le faire, alors je n’ai pas eu d’autre choix que de demander de l’argent aux gens pour arrondir la somme», se confesse-t-il. Il passera 40 jours à Tamanrasset avant de prendre enfin le bus pour Alger, trajet direct, sans escales. A la gare routière de Kharouba, Bahari et sa famille ne perdront aucun instant. Aussitôt débarqués, aussitôt embarqués sur Tizi-Ouzou à bord d’un autre bus. «Et nous sommes ici depuis le mois de Ramadhan dernier». Il espère trouver ici, lui et sa famille, un nouveau départ pour une nouvelle vie. Ne serait-ce que pour sauver l’avenir de ses enfants. «Je suis venu en Algérie pour avoir des conditions de vie meilleures, parce qu’au Niger on n’avait rien. On ne vivait que de ce qu’on cultivait et souvent le climat n’aidait pas à avoir une récolte», explique-t-il. «Le Niger est l’un des Etats les plus pauvres d’Afrique, il y a beaucoup de problèmes. Nous souffrons de famine, la plupart des gens sont ignorants, nous n’avons pas d’écoles pour les enfants, les conditions de vie sont catastrophiques». «La nourriture, les médicaments, l’eau potable… c’est notre rêve. Tout ce qu’on veut, c’est une vie normale comme tous les autres êtres humains». Bahari espère vraiment ne pas être reconduit aux frontières, il dit vouloir travailler : «Nous ne sommes pas là pour voler mais gagner notre vie, inscrire nos enfants à l’école comme tous les enfants et vivre en paix». C’était sa conclusion. En attendant, il reste, comme tous les autres migrants, sans statut officiel, même si leur présence semble tolérée par les autorités.

Maacha Sonia

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