En collaboration avec le musée régional du Moudjahid, le Congrès de la Soummam a été rappelé au souvenir du public lors de rencontres organiseés par la Maison de la culture de Béjaïa.
La date du 20 août est un double événement.C’est d’abord en 1955 qu’a débuté la grande offensive de l’ALN dans le nord constantinois, sous la conduite de Zighout Youcef. Cela faisait, à peine quelques mois que la révolution avait été déclenchée dans les Aurès, et l’armée coloniale faisait une grande pression sur les combattants de la région. Pour desserrer l’étau, Zighout, avec ses compagnons d’armes, avait décidé de déclencher de grandes opérations dans le nord constantinois, pour amener l’armée coloniale à se disperser sur plusieurs fronts et alléger la pression sur les moudjahidine de la Wilaya I. Quelque temps plus tard, Zighout Youcef envoie une missive à Abane Ramdane, lui soumettant son souhait de voir organisée une rencontre des chefs de la Révolution. La rencontre se déroulerait quelque part dans le constantinois. Abane apprécie l’idée, et se met à travailler sur le projet. Il élabore, avec ses collaborateurs, un projet de plateforme d’une trentaine de pages qu’il soumet aux différents chefs de régions. Il expédie également une missive au Caire dans laquelle il invite la délégation extérieure à désigner une ou deux personnes pour y participer. Malheureusement, un incident a eu lieu et obligea les responsables de l’organisation à modifier leurs plans. En effet, quelque temps auparavant, des moudjahidine avaient pillé un campement militaire français et s’étaient emparé d’armes, de munitions et de moyens logistiques, dont des ânes. C’est sur l’un d’eux que furent chargée les deux machines à écrire destinées à taper le futur texte définitif de la plateforme et les documents de travail de la préparation de la rencontre. L’âne laissé sans surveillance s’est dirigé droit vers le campement militaire français, étant en quelque sorte son port d’attache. Ainsi, l’armée coloniale fut au courant du projet initié par Zighout et Abane, mais n’en connaissait pas les détails. Il fallait absolument changer le lieu de la rencontre, et les responsables ont convenu de l’organiser quelque part au centre du pays, pour permettre à tous les responsables de s’y rendre. C’est Krim Belkacem qui a fait l’offre d’accueillir les congressistes dans ce qui allait devenir la Wilaya III, en assurant la logistique et la sécurité. Le choix du lieu a été fait de façon judicieuse, puisque la région d’Ifri était connue pour son engagement sans réserves dans la révolution. Et c’est le jeune Capitaine Amirouche qui sera chargé d’assurer la sécurité des lieux. Le 20 août, six chefs de la Révolution, accompagnés de leurs adjoints et de leur délégation se retrouvent dans une maison particulière à Ouzellaguen.
Témoignages d’anciens Moudjahidine…
C’est Larbi Ben M’hidi qui dirigera les débats. Il venait d’arriver du Caire, en passant par le Maroc où il a eu de longues discussions avec Boussouf, avant de rejoindre le lieu de la rencontre. Les débats furent vifs le premier jour, chacun voulant imposer sa vision de la Révolution. Mais dès le deuxième jour, les choses s’apaisèrent et les débats furent sereins, permettant ainsi d’élaborer la plateforme de la Soummam. Avant ce congrès, les responsables de la révolution travaillaient chacun de son côté sans coordination avec les autres. Chacun faisait ce qu’il pouvait, et les combats furent difficiles. Zighout avait très tôt compris l’importance de la coordination des efforts, pour donner plus d’efficacité au combat de libération nationale. Et il ne pouvait confier cette mission qu’à un seul homme, le seul capable d’organiser une telle rencontre aussi bien dans la forme que dans le fond. Il s’agissait d’Abane Ramdane, qui sera surnommé plus tard l’Architecte de la Révolution. Le congrès de la Soummam a permis l’élaboration d’un vrai projet révolutionnaire, dont le but ultime est l’accession de l’Algérie à son indépendance. Ainsi, il fut décidé de partager le territoire national en réginos, zones, etc. A la tête de chaque région se trouve un colonel qui doit diriger de façon collégiale. Le pouvoir personnel ayant été banni, il a été adjoint à chaque responsable de région, un responsable militaire, un autre politique et un autre chargé des renseignements. Ainsi, le zaïmisme se trouve, de fait, exclu. Deux autres éléments, parmi les plus connus ont été introduits dans la plateforme. Il s’agit de la primauté de l’intérieur sur l’extérieur, et de la primauté du politique sur le militaire. Ainsi, la Révolution algérienne venait d’être dotée d’un véritable outil de travail et de gestion que tous, par la suite, avaient respecté. Des opposants à la plateforme ont été très peu nombreux, parmi lesquels on comptait Benbella, Kafi, Ben Aouda et Mahsas. Au moment du congrès, Ait Ahmed était en mission à Washington, et ne pouvait par conséquent pas y participer. Lors de la première conférence qui s’est déroulée, lundi dernier à la Maison de la culture de Béjaïa, quatre anciens moudjahidine sont venus témoigner de leur expérience, de ce qu’ils ont entendu et vu, dont deux étaient présents durant le congrès. Ils étaient chargés de la dactylographie et de la reprographie. Il s’agit de Rachid Adjaoud et El Hadi Ouguergouz. Etaient également présents Rachid Ouatah et Djoudi Attoumi. Durant la rencontre, les conférenciers ont raconté les circonstances de la tenue du congrès, ses enjeux et ses objectifs.
C’est Ben M’hidi qui dérigea les débats
Ils ont tenu à partager leur expérience, comme un legs pour les générations futures. Ils ont insisté sur la nécessité de partager cette expérience comme l’une des plus importantes de la Révolution. Après la tenue du congrès, ont-ils raconté l’armée coloniale fut furieuse d’apprendre que la rencontre avait eu lieu à moins d’une heure de marche d’une de leurs casernes. Neuf villages ont été rasés pour se venger, et des massacres ont eu lieu dans toute la région. Rachid Ouatah s’est indigné de voir que soixante ans après, le lieu n’a toujours pas été consacré par un statut officiel, lui donnant les moyens de devenir un lieu touristique et un centre d’études. Il en va de même, a-t-il ajouté du PC de la région d’Akfadou, ainsi que tous les autres PC des autres régions au niveau national. Il estime que l’Etat doit doter ces lieux de statuts qui leur permettraient de travailler avec les universités pour rétablir la vérité sur l’histoire de notre glorieuse Révolution. Rachid Adjaoud s’est étonné de recevoir un chercheur venu de l’Université de Harvard aux Etats-Unis, travaillant sur la Révolution algérienne, alors que nos chercheurs restent dans leurs bureaux. En aparté El Hadi Ouguergouz nous a confié l’admiration qu’il avait eue pour ces congressistes qui travaillaient sans relâche. En particulier pour Abane Ramdane «qui faisait tout». Cet homme exceptionnel avait suscité l’admiration de bon nombre d’hommes politiques, dont le jeune sénateur Kennedy, qui avait émis le souhait de le rencontrer. Malheureusement, l’Histoire en a décidé autrement, puisque quelques mois après, Abane fut assassiné par ses propres frères. Le deuxième jour de ces rencontres organisées à la Maison de la culture a été consacré aux femmes moudjahidate, qui sont venues raconter leur expérience de participation à la lutte de libération nationale. L’on notera la présence de Nedjma Hamlaoui, Foufa Mostfaoui, Zina Mebarki, Fatima Chebah et Djida Belaid. Quant au troisième jour, c’est-à-dire aujourd’hui, il sera consacré aux témoignages de plusieurs moudjahidine de la wilaya trois. Il s’agira entre autres d’Abderrahmane Scoutchi, Cherif Hmissi, Amira Bouaouina, Abdelkader Belaoud et Tahar Kheireddine. De même, il est prévu une cérémonie spéciale pour rendre hommage à toutes ces femmes et à tous ces hommes qui ont risqué leurs vies pour la libération de l’Algérie. En parallèle à ces rencontres, des expositions ont lieu dans le hall de la Maison de la culture, des films documentaires sur la Révolution, notamment sur le Colonel Lotfi et Krim Belkacem sont projetés à l’intention du public. Un gala artistique est également prévu vendredi prochain avec Amour Hafid, Rachid Ferhani et Khodir Oulkadi.
N. Si Yani