Une grande spécialité pour une «sale» maladie

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Le service oncologie de l’EPH Mohamed Boudiaf de Bouira a connu beaucoup de progrès depuis son ouverture.

À son inauguration il y a de cela six mois, une dizaine de malades y étaient pris en charge. Ce chiffre a doublé voire triplé en quelques semaines puis décuplé en deux mois pour se stabiliser aujourd’hui autour de 140 ou 145. Au départ, les oncologues n’étaient pas toutes là. Il n’y avait que la chef de ce service et elle était flanquée d’une généraliste qui avait eu à travailler avec quelques malades atteints de cette terrible maladie. Maintenant, le service tourne à plein régime et le responsable de l’établissement hospitalier n’est pas mécontent de montrer que l’on peut le gérer aussi bien tout en étant modeste. Pour voir de très près comment ce service fonctionne, nous nous sommes rendus sur les lieux en compagnie de sa coordinatrice, le docteur Maiz Aroudj Malika.

Au cœur du centre

Dès que nous en franchissons la porte, elle ne nous quitte plus tant qu’elle ne nous eût pas fait la présentation des lieux et des moyens matériels et humains existants. À gauche se trouve le service de chimiothérapie. Vient ensuite le bureau de notre coordinatrice. Toujours sur notre gauche. «Je coordonne le travail entre les médecins, les infirmiers et les malades», décline-t-elle, en guise de préambule. Nous apprenons, dans la foulée, que ledit service compte 20 lits, 4 oncologues, 8 infirmiers et 143 malades. Les soins administrés relèvent de la chimiothérapie. Cinq ou six malades étaient alités. Ils venaient de recevoir leurs traitements. Notre embarras était grand, car nous ne savions pas comment leur expliquer notre sympathie sans leur rappeler leur état de malades. Fallait-il sourire ? Dire bonjour ? Nous préférâmes respecter leur silence. Mais notre regard a parlé assez éloquemment pour leur montrer que nous sommes sensibles à leur souffrance et que nous compatissons à leur douleur. La vue de cette jeune femme de 32 ans qui parait en avoir le double, brise le cœur le plus endurci. Couchée sur le flanc, elle est si prostrée qu’elle ne fait attention à personne. Nous apprenons pourtant qu’elle a une tumeur du sein et qu’elle pourrait s’en sortir. «La majorité des cas sont des femmes et c’est le sein qui est atteint», selon la coordinatrice du service. Et déjà une lueur d’espoir : «Quand on le prend à temps en charge (comprendre détecter et traiter), ajoute-t-elle encore, les chances de guérison augmentent considérablement». La mastectomie offre une espérance de vie qu’elle estime à 20 ans. On mesure notre soulagement : même si certaines refusent la mastectomie, presque tous les malades ne sont qu’au stade primaire. La virée se termine avec la salle de préparation. Nous y pénétrons après la coordinatrice du service. Très espacée et très aérée, car elle est équipée d’un système de ventilation moderne qui diffuse un air frais, elle contient un appareil en forme de rôtissoire. C’est la hotte. C’est dans cet appareil que se fait la préparation des produits destinés au malade. Ces médicaments provenant de la pharmacie du service subissent un dernier apprêt en passant dans l’appareil. Deux infirmiers isolés dans leurs combinaisons de tout contact avec ces produits et de toute émanation pendant la préparation, effectuent les réglages de la hotte suivant les dosages recommandés. À notre arrivée, la salle était vide et l’appareil au repos.

Oncologie : une grande vocation

Quand nous entrons dans le bureau des deux oncologues, c’est-à-dire des deux cancérologues, il est midi. Une chose nous frappe dès l’abord : les deux personnes qui se tiennent chacune derrière un bureau ont l’air d’être trop jeunes pour être prises pour deux spécialistes. La coordinatrice se charge de nous tirer d’erreur : il s’agit bel et bien des deux oncologues dont elle nous a parlé au début de notre visite. L’une, c’est le docteur Nabila Maarfi, qui a fait ses études à Oran et l’autre Amina Bentahar. La première est affectée au service le même jour où il a été inauguré. La seconde est arrivée un peu plus tard. Mais toutes les deux sont passionnées par leur métier. Et cette passion transparait aussi bien dans chaque acte qu’elles font dans l’exécution de leur tâche quotidienne, que dans chaque mot qu’elles prononcent lorsqu’elles se mettent à parler de leur profession. L’impression qui se dégage de notre entretien est que les docteurs Maarfi et Bentahar pratiquent l’une et l’autre leur art avec une égale compétence. L’une a étudié à Oran. L’autre a préféré Alger. Pourquoi Oran pour une étudiante originaire de Batna ? Le docteur Maarfi, sans porter atteinte au prestige de l’université d’Alger dont elle loue la qualité des cours, a, cependant, accordé sa préférence à l’université d’Oran. C’est une affaire de goût. Quoi qu’il en soit, les deux docteurs travaillent bien ensemble pour la santé de leurs patients, seul enjeu dans cette bataille sans fin entre la vie et la mort. Ce savoir, cette compétence, les deux médecins en usent sans compter pour le triomphe de la vie sur la mort.

L’acte chirurgical est irremplaçable

Il y a, selon nos deux spécialistes, un cancer pour chaque organe ou partie du corps : le sein, l’utérus, le rein, le foie, le poumon, la prostate, le cerveau, etc. Les moyens de bord pour lutter contre ce mal si sournois, si tenace, consistent parfois à associer la chimiothérapie et la chirurgie, selon le docteur Maarfi. Et d’assener cette évidence médicale : «La chimiothérapie ne remplace pas l’acte chirurgical. De même que la radio-chimiothérapie. D’où les évacuations des cas nécessitant ce traitement vers le centre radiologique de Blida». Et d’où aussi le souhait de nos deux oncologues de voir s’ouvrir une pareille structure à Bouira afin d’éviter aux malades un déplacement coûteux et très fatigant pour leur organisme fragilisé par la maladie. La chimiothérapie est donc la principale activité dans ce service, associée aux médicaments (ce que le docteur Maarfi appelle les drogues ou produits cytoxiques). Les résultats sont affaires de beaucoup de facteurs, assurent nos deux spécialistes. Il y a d’abord la nature du mal, de quel type de cancer s’agit-il, entre ensuite en ligne de compte le stade de la maladie, mais également «l’état général du malade», notent nos deux interlocutrices qui travaillent en tandem. «Si la maladie est au stade 1 ou 2, s’il s’agit d’un cancer du sein et si la personne atteinte est jeune et résistante, alors la guérison peut être totale», affirme le docteur Maarfi. Et d’ajouter : «Chez les patients récepteurs HER2 ou score3, les chances de guérison se situent autour de 80%». «Je connais une femme atteinte du cancer du sein qui a vécu 22 ans après sa maladie», explique encore la coordinatrice du centre. Toutes ces déclarations ont été faites sous réserve, bien sûr, car nos deux oncologues, n’étant qu’au début de leur prometteuse carrière, disent manquer de recul pour juger. «On ne dispose pas du recul nécessaire. Ce n’est qu’après cinq ans d’exercice que l’on pourra juger», rappelle modestement notre interlocutrice. Les deux oncologues ont, ensuite, abordé la question de la dose du produit qui est administrée en fonction du poids et de la taille du malade. C’est ce qu’elles désignent par l’expression propre au jargon médical «la surface corporelle». Un pareil traitement a pour effet d’ «empêcher la croissance tumorale et le développement tous azimuts des métastases dans l’organisme». Naturellement, son emploi entraîne des effets secondaires, comme la perte d’appétit, la nausée, la chute de cheveux, etc. Mais que sont ces inconvénients au regard des résultats obtenus ? D’ailleurs, la médecine ne cesse de faire de nouvelles découvertes. Et le progrès permet aux deux jeunes cancérologues de radiothérapie de bombarder la tumeur avec des rayons lasers ou rayons X sans toucher aux autres parties du corps. Le docteur Maarfi cite encore l’hormonothérapie, certaines hormones ayant «un effet anti tumoral» ou d’immunothérapie qui consiste à renforcer les mécanismes de défense de l’organisme, qu’elle résume ainsi : «créer une immunodépression anti-thérapeutique ciblée».

Le dépistage précoce, une nécessité absolue

Pratiquer la chirurgie lorsque, comme l’explique le docteur Maarfi, «la tumeur est opérable et compléter par un traitement de thérapie, selon le type du cancer», recourir à la thérapie ciblée au moyen de rayons ou utiliser une autre thérapie, ne revient finalement qu’à guérir ou tout au moins à essayer de guérir. Mais la voie royale en cancérologie, ou si l’on préfère en oncologie pour sacrifier à la terminologie médicale en vigueur, reste le dépistage précoce. C’est pourquoi le service d’oncologie de l’hôpital Boudiaf s’attache les services du labo anatomo-pathologie. Ce labo a pour fonction d’effectuer des analyses sur les prélèvements d’organes suspects. Lorsque nous refaisons le chemin inverse pour atteindre le service en question, il n’est pas loin de treize heures. L’une des trois médecins qui y officient était sortie pour déjeuner, mais les trois techniciennes supérieures sont là et ont répondu à nos questions. Le bilan des activités pour ce mois fait état de 370 analyses. Existant depuis 2009, le service anatomo-pathologie a été intégré à l’hôpital dès 2013. Avant sa création, les échantillons cytologiques étaient envoyés à Alger pour être analysés. Le docteur Maarfi a parlé plutôt de PETSCAN, un procédé pour détecter les micro-métastases : «On introduit le malade dans le scanner en lui injectant un produit à base de glucose. Il s’agit, dira notre oncologue, d’une technologie de pointe où les points sont repérés et ciblés avec une haute précision. Cette thérapie dite ciblée utilise deux produits : Herceptine et Pertusumab».

Aziz Bey

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