Auprès des tailleurs de pierre…

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Il est des personnes qui, sans le savoir ni le vouloir, perpétuent des traditions ancestrales en contribuant à l’embellissement de somptueuses villas alors que le produit qu’ils fabriquent ne sera jamais apposé dans leurs demeures.

La pierre bleue d’Ath Mansour est un matériau des plus décoratifs qui orne des milliers de maisons cossues à travers l’ensemble du territoire national et qui s’exporte même à l’étranger. La réputation de cette pierre bleue a franchie depuis longtemps les frontières de l’Algérie. À Aix En Provence, dans le sud de la France, les colons y ont apporté ces pierres pour paver plusieurs édifices somptueux. Il y a de cela quelques années, plusieurs dizaines de semi-remorques remplis de ces pierres ont été acheminés à Tripoli en Lybie. Les acquéreurs de ce matériau ignorent sûrement de quelle manière ces pierres sont extraites, puis taillées, et ce, depuis des siècles.

L’extraction de la pierre bleue s’effectue toujours à l’ancienne

Au cœur de Tassedart, en pleine forêt, une colline située au Sud-ouest de Taourirt, chef-lieu communal d’Ath Mansour, se trouve une immense carrière d’où est déterrée la pierre bleue. Carrière appartenant à des privés qui la loue à des tailleurs de pierres qui y extraient cette roche ingrate. Une cavité de plus de 20 mètres dans laquelle s’affairent des dizaines d’hommes, barres à mine et pioches à la main, à dégager de sous terre, dans des conditions plus que difficiles, un chargement de tracteur, soit une remorque. «Nous pouvons mettre jusqu’à trois jours pour remplir une remorque que nous acheminerons jusqu’à la RN05 avant de tailler la pierre sur place. Nous avons tenté de ramener un brise roche ici, mais cette machine fait beaucoup de dégâts et abime la pierre. Nous devons nous contenter d’outils manuels comme les pioches et la barres à mine pour extraire minutieusement des plaques de pierre de grands gabarits», affirme Nacer, la quarantaine, fils et petit-fils de tailleurs de pierres depuis trois générations.

Les tailleurs de pierre exposés à tous les dangers

Les carrières d’agrégats autour de Tassedart ne sont pas sans une certaine répercussion auprès des tailleurs de pierre qui, à longueur de journée, respirent de la poussière fine. Des particules qui s’infiltrent allègrement dans les poumons de ces travailleurs de l’extrême qui activent sans aucune protection : ni casques, ni masques, ni gants, ni chaussures de sécurité. La moindre erreur se paie comptant ici : «à plusieurs reprises, des éclats tranchants provenant de ces pierres ont blessé des ouvriers. Les deux derniers accidents en date ont fait perdre la vue à deux tailleurs de pierre, et ils n’ont aucune assurance pour se soigner, c’est ça le pire !», nous indique-t-on sur place. D’ailleurs, aux abords de la RN05, il est aisé d’apercevoir que la végétation, et surtout les oliviers sont recouverts d’une couche de poussière assez importante.

La taille de la pierre ne nourrit plus son homme

Les tailleurs de la pierre bleue se transmettent ce savoir de génération en génération, et ce, depuis plusieurs siècles, mais aujourd’hui, les jeunes ne veulent plus reprendre le flambeau. Métier trop dur et ingrat pour un salaire de misère qui n’attire plus grand monde. Selon Nacer, se faire délivrer une carte d’artisan revient à 7 500 DA par trimestre alors que pour un registre de commerce, la somme à débourser est de 4 500 DA, cela inclut bien sûr une assurance pour cette activité : «La plupart des artisans travaillent au noir, car l’activité n’est plus aussi florissante qu’auparavant. Nous acheminons la pierre bleue de la carrière Tassedart jusqu’aux abords de la RN05 à raison de 3000DA la remorque du tracteur. Il s’agit là de la pierre brute. Une fois taillée, nous la revendons selon la forme pour en faire des briquettes, des dalles de sol ou encore pour servir de pierres tombales. Nous devons payer des ouvriers qui taillent la pierre à raison de 500 ou 600 DA le m2. En plus, nous devons louer cet espace à proximité de la RN05. Ici, je m’acquitte de 3000 DA par mois pour une vingtaine de mètres. Une fois toutes les charges retirées, il ne nous reste pratiquement rien. Il y a des mois au cours desquels nous ne faisons aucun bénéfice», regrette notre interlocuteur.

Tailleurs de pierre, un travail de forçats qui ne dit pas son nom

«L’été la pierre est brûlante, l’hiver, nous devons attendre que le givre qui la recouvre disparaisse avant de pouvoir la manipuler», déclare Boussaid, un sexagénaire handicapé bon pied, bon œil, taillant minutieusement les pierres qui prennent forme sous son marteau. Assis sous un abri de fortune en tôle, en pleine chaleur, il nous consacrera quelques minutes pour nous parler de son métier. «Depuis 1989, je taille des pierres ici qu’il neige ou qu’il vente. Je suis payé au mètre carré et j’essaye de nourrir ma famille avec cette rente. Ce n’est pas facile tous les jours et nous subissons de plein fouet les aléas climatiques. Il y a des périodes où il est impossible de travailler, alors que nous devons impérativement rester concentrés pour éviter les blessures dues aux éclats aiguisés de cette roche», atteste Boussaid, le regard impassible. À Ath Mansour, il existe trois sortes de pierre : la bleue, la plus réputée, une autre de couleur ocre et une troisième appelée ‘’para‘’ en raison de sa couleur bariolée à l’image des tenues de combats de l’armée. D’autres pierres de couleurs rose et jaune sont également proposées à la vente, mais ces roches proviennent de T’Kout, Djelfa et de Laghouat, nous affirme notre interlocuteur. Des pierres qui seraient toxiques car contenant du mercure et dont le transport est interdit, contrairement à la pierre bleue d’Ath Mansour, où aucun barrage de police ou de gendarmerie n’exigerait de facture pour le transport de Tassedart. Il serait près de deux cents tailleurs de pierre à Ath Mansour qui activent dans cette filière sans pour autant bénéficier d’une couverture sociale. Un travail de forçats qui ne dit pas son nom.

L’APC d’Ath Mansour déplore l’absence d’organisation autour de la pierre taillée

Il y aurait 07 carrières d’agrégats implantées dans la commune d’Ath Mansour, selon M. Tarik Kebabi, maire par intérim de l’APC. Ces carrières demeurent une entrave à l’implantation d’autres projets économiques dans la région au vu de la pollution qu’elles engendrent. Pollution à cause de la poussière mais également une autre forme de pollution plus dangereuse. Il s’agit de l’utilisation de mines qui, à chaque fois qu’elles détonnent, provoquent des fissures dans les anciennes habitations situées aux alentours. Un préjudice qui n’en finit pas, selon les riverains qui assistent impuissants à cet état de fait. Il faut dire que l’APC d’Ath Mansour essaye tant bien que mal d’attirer les investisseurs dans la région, mais le manque d’assiettes foncières et la situation décrite n’est pas faite pour intéresser les promoteurs. La station de pompage de Sonatrach, implantée dans la commune d’Ath Mansour et qui aurait pu contribuer à l’essor économique de la région, n’est, hélas, pas recensée dans cette commune mais dans celle avoisinante de Beni Mansour, wilaya de Béjaïa, qui engrange les taxes sur cette entreprise, déplore M. Tarik Kebabi. Pour ce dernier, les tailleurs de pierre d’Ath Mansour ne sont toujours pas recensés auprès de l’APC et ils gagneraient à se regrouper en coopérative pour faire valoir leur produit et par là même, leur métier.

Hafidh Bessaoudi

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