Souk El Hed, entre hier et aujourd’hui !

Partager

Jadis, la fontaine (thala), la place publique (tejmaɛt) et le marché hebdomadaire (souq) étaient les points cardinaux qui régissaient la vie de la société kabyle.

La fontaine, lieu privilégiée des femmes, était l’endroit propice pour échanger des nouvelles, s’enquérir de l’actualité du village, consolider ou tisser des relations de bon voisinage mais aussi tâter le pouls de la société pour diagnostiquer les maux qui peuvent entraver la bonne marche du village. Ce qui fera dire à certains : «Tala ou fontaine, c’est toute une histoire sur notre identité profonde. C’est une source aménagée où jaillit l’eau des tréfonds de la terre incarnant, à la fois, la vie, la fertilité et la confiance. Tala est un dérivé du mot berbère talalit qui signifie la naissance de la vie et sa continuité. C’est aussi un lieu, en même temps, craint et aimé.» Bref, toute une légende et un mythe entourent cet endroit sacralisé par la société kabyle. Un autre lieu consacré par la société kabyle est la place publique (tajmaɛit) réservée par excellence aux hommes. C’est à ce niveau que se prennent les décisions «politiques» qui engagent l’avenir du village. Rien ne se fait en dehors ou contre tajmaɛt à tel point qu’un dicton kabyle consacre ce fait de telle manière : taddart am Ṛebbi/ une décision du village équivaut à un ordre divin ! C’est dire tout le poids de cette institution que chacun vénère et respecte. Mais plus que tout, le marché hebdomadaire est l’autre lieu sacralisé à tout jamais par la société kabyle d’antan à tel point que même le grand écrivain Mouloud Fearoun lui a consacré tout un chapitre dans son fameux livre «Jours de Kabylie». En effet, le souk dépasse la cadre étroit de «tajmaɛt» puisqu’il permet la rencontre avec les membres des villages avoisinants et partant avec ceux de l’arch en général (confédération ou grappe de villages). C’est là où les hommes se rencontrent, discutent, font des affaires et parfois, quand la nécessité l’oblige, prennent des décisions qui engage toute une région. Aucun Kabyle ne peut se soustraire au souk. On s’y rend comme on se rend au pèlerinage, avec émotion et une dose de sacralité : le verbe kabyle consacre ce phénomène : Ad sewqeɣ ! Le marché hebdomadaire est si important que pour tout Kabyle le passage à la vie active passe par ce rituel. En effet la première visite au souk pour tout enfant kabyle est un jalon majeur qui permet son intégration parmi le monde des hommes (irgazen), ce premier passage est toujours célébré par la famille, c’est dire tout son importance aux yeux des Kabyles de l’époque. Le Souk est un endroit si capital que pratiquement chaque arch à son propre souk. D’ailleurs, certaines régions de la Kabylie doivent leur réputation au souk qu’elles abritent hebdomadairement : Souk Nat Wassif, Souk n Laṛbaɛ, Souk n Lhamam, Souk n Weɣrib … A l’instar des autres régions, la commune de Timizart (daïra d’Ouaguenoun) bénéficie elle aussi de son marché hebdomadaire. C’est d’ailleurs à se souk que son chef-lieu doit son appellation : «Souk El Hed», du fait qu’il se tient chaque dimanche au niveau de ce lieu-dit. Ce marché qui avait ses raisons d’être par la passé (absence de moyens de transports, éloignement des villages de la commune de toute agglomération…) permettait aux villageois de subvenir à leurs besoins (nourritures, achats de matériels pour les travaux domestiques…), de faire des affaires avec les villages voisins. Ce sont ces raisons qui ont assuré sa survie à ce jour. Pourtant ce marché semble s’essouffler au fur et à mesure que la modernité gagne sur les restes des traditions qui subsistent encore en Kabylie. Ce souk souffre avant tout du fait qu’il se tient sur la route principale qui dessert le chef-lieu de la commune. Du coup, il devient plus gênant qu’utile tant il engendre des encombrements monstres et un tintamarre fou qui gênent même les élèves et les enseignants de l’école primaire sise le long de l’artère où se tient le marché. S’ajoutent à cela les immondices que laissent les vendeurs de fruits et de légumes à la fin de la journée à même les trottoirs. Mais plus que tout, ce qui fait fausse note c’est ce petit marché parallèle de bétail et de foin qu’on ne sait plus où placer. L’endroit qui lui est réservé depuis quelques semaines déroute plus d’un ! En effet, la vente du bétail et du foin se fait sur une petite placette de quelques mètres carrés en face du siège de l’APC où ni vendeur ni acheteur ne trouvent leur compte. «On voit chaque semaine des camions bourrés de bottes de foin garer sur cet endroit réduit, disputant le peu d’espace qui s’y trouve aux vendeurs de moutons…Cela donne une situation surréaliste où tout est présent sauf la logique et le bon sens», nous dira à ce propos un des citoyens habitué de ce souk ! C’est cette cacophonie qui alterne gène et embarras qui fait que certains citoyens doutent de l’utilité de ce souk. Sentimentalement, beaucoup de citoyens de la région tiennent à garder le marché hebdomadaire de Souk El Hed à l’état ! «Il est devenu un repère pour nous, une habitude même si avec le temps, son utilité économique et sociale n’est plus prépondérante. La plupart des gens y viennent surtout par habitude. Autrement, avec la vie moderne, les moyens qui existent actuellement, le souk ne répond à aucune fonction domestique surtout comme on le constate, Souk El Hed, ce lieu-dit des années 70, est devenue une agglomération qui ne cesse de grandir et de se développer. Mais comme le Souk fait partie de notre quotidien, l’idéal serait de penser à le maintenir, quitte à lui aménager un autre lieu au niveau de la commune pour sa tenue», nous dira un vieux de la région. Par contre, pour beaucoup de citoyens, l’inutilité d’un pareil marché dans ces conditions étouffantes est mise en exergue. La tenue de se souk est plus un calvaire qu’autre chose ! «Cela fait des années que nous plaidons pour le transfert de ce marché vers un lieu plus ouvert, loin des artères de la ville, en vain…Résultat : chaque dimanche, ce sont les mêmes tracas : bruits. Embouteillages, détritus et salissures sur les trottoirs, odeur de foins et de moutons… sont à chaque rendez-vous au menu ! Bref, le marché cause plus de dérangements que d’agréments», nous diront d’autres citoyens que nous avons abordés sur le lieu même de la tenue du marché. Aussi la question restée posée : «Faut-il garder ou fermer ce souk ?» Partagés entre le sentiment de trahir une vieille tradition et la nécessité de s’ouvrir à la vie moderne, avec tout ce que cela suppose comme sacrifices, les cœurs des gens de la commune que nous avons interrogés balancent !

A. S. Amazigh

Partager