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Le jour où on jetait les Algériens dans la Seine

Le 17 octobre 1961, le jour où la Seine vomissait ses cadavres. Le jour où sur ordre du sinistre Papon, préfet de police d’alors, on jetait les Algériens dans le fleuve qui traverse Paris, où on les embarquait par brassées dans les lieux de regroupement où on les martyrisait, où la tuerie se prolongeait dans la nuit. Pourquoi ? Un couvre-feu sélectif interdisant aux Algériens de circuler à la tombée de la nuit. Aux commerces tenus par les Algériens de baisser rideaux à 19 – 20 h. Le préfet de police de Paris, Maurice Papon, qui a reçu carte blanche des plus hautes autorités, dont de Gaulle, lance, avec 7.000 policiers, une répression sanglante. Il y aura 11.730 arrestations, et peut-être beaucoup plus de 200 morts, noyés ou exécutés, parmi les Algériens. Sept ans après le début de la guerre d’Algérie, le conflit s’est transporté en métropole. Si le principe de l’indépendance était acquis, que les négociations à Evian étaient ouvertes depuis mai 1961, la cohabitation entre les deux communautés est extrêmement tendue. Attentats, assassinats à la fois d’indépendantistes algériens et de policiers se multiplient. La pression est si forte que le préfet de police, Maurice Papon, finit par instaurer le 5 octobre un couvre-feu de 20h30 à 5h30 pour tous les « Français musulmans d’Algérie ». Le 17 octobre 1961, la Fédération de France du FLN appelle les Algériens de Paris et de sa région à manifester pacifiquement contre ce couvre-feu jugé discriminatoire. Pour rappel, Michel Debré était Premier ministre, Roger Frey, ministre de l’Intérieur et le général de Gaulle, le chef de l’Etat. Celui-ci donne carte blanche à Maurice Papon pour interdire la manifestation. Bravant la menace, les Algériens, majoritairement des ouvriers, vont se rendre dans la capitale en costume du dimanche, comme s’ils allaient à « un mariage, à une fête ». Pour certains, c’était la première fois qu’ils quittaient leurs bidonvilles. Plus de 30.000 Algériens seront accueillis par des milliers de policiers à Paris. Sorj Chalandon écrit dans «Libération» du 12 et 13 octobre 1991 «Mardi 17 octobre 1961, Il y a du sang dans Paris» : «Ce matin, il pleut. Une eau froide qui cogne la tôle ondulée des bidonvilles de Nanterre et Gennevilliers. Transforme les chemins pauvres en boue, les ornières en flaques, les premiers levés en ombres glacées. Ici, les noms chantonnent. Rue des Pâquerettes, de la Garenne, des Prés. Cabanes en carton, baraquements misérables, constructions approximatives de planches disjointes où s’entassent des milliers d’Algériens. Des taudis. De l’autre côté dans la brume, des immeubles hauts. Le Bois de Boulogne, Paris, les lisières devinées de la ville. A Sannois, un peu plus au nord, Ramdane, responsable local du FLN, regarde amèrement le ciel. «Dieu n’est pas avec nous». Cela fait exactement 55 ans depuis la tuerie de ce jour, que reste-t-il dans les mémoires des Français comme des Algériens. Chez nous, Kateb Yacine avait écrit : «Peuple français, tu as tout vu / Oui, tout vu de tes propres yeux. / Tu as vu notre sang couler / Tu as vu la police / Assommer les manifestants / Et les jeter dans la Seine. / La Seine rougissante / N’a pas cessé les jours suivants / De vomir à la face / Du peuple de la Commune / Ces corps martyrisés / Qui rappelaient aux Parisiens / Leurs propres révolutions / Leur propre résistance. / Peuple français, tu as tout vu, / Oui, tout vu de tes propres yeux, / Et maintenant vas-tu parler ? / Et maintenant vas-tu te taire ?» Les historiens anglais Jim House et Neil MacMaster, apportent leur témoignages implacable «la répression du 17 octobre 1961 fut «la plus violente et la plus meurtrière qu’ait jamais subi une manifestation de rue désarmée dans toute l’histoire contemporaine de l’Europe occidentale». Mais il est vrai que, s’agissant de cet épisode de la guerre d’Algérie comme de la transmission de son souvenir, les paradoxes abondent. Longtemps, le 17 octobre fut considéré comme inexplicable : deux ans après le discours du général de Gaulle évoquant le droit des Algériens à l’autodétermination, en septembre 1959, dix mois après que ce droit leur a été reconnu par référendum, huit mois avant l’indépendance de l’Algérie et cinq mois avant le cessez-le-feu consécutif aux accords d’Évian de mars 1962, et alors même, donc, que les négociations de paix étaient en très bonne voie, comment la police française et ses auxiliaires ont-ils pu réprimer avec une telle sauvagerie une manifestation pacifique de «Français musulmans d’Algérie (FMA)» ? Cependant, il reste un mea culpa à faire en direction du peuple algérien, il tarde à venir.

Par S. Ait Hamouda

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