Nos villes et villages sont gorgés de talents et de potentialités inépuisables. La rigueur de la vie n’arrange pas les affaires de certains qui naviguent contre vents et marées. Le manque de moyens constitue pour eux un écueil insurmontable, qui finit souvent par avoir raison d’eux et affecter leur volonté.Ali Bennari est l’un de ceux-là qui se trouvent coincés entre le marteau et l’enclume. Maquettiste hors pair depuis de longues années, il a pu réaliser des œuvres magnifiques à l’aide d’allumettes, avec en prime le défi d’imiter les plus grandes et les plus complexes constructions de la planète : Sacré-Cœur, Notre-Dame de Paris, Château de Versailles et autres. Aucune architecture, aussi compliquée soit-elle ne lui résiste. Une volonté de faire toujours mieux sommeille en lui et le harcèle par-ci, le motive par-là.Mais le fait frappant de cet artiste est sa méticulosité et sa justesse de chirurgien. Il joint à chacune de ses maquettes, une fiche signalétique portant des dimensions de son œuvre (longueur, largeur, hauteur), la durée de réalisation, ainsi que le nombre d’allumettes utilisées. Des nombres effarants parfois qui se chiffrent en milliers d’allumettes. Qui dit mieux ? Ces quatre dernières années, notre artiste qui avoisine la cinquantaine, mais avec un esprit jeune et imaginatif, reçoit chaque année une invitation pour participer à un concours de maquettistes à Paris. Cependant, en bon père souciant du sort de sa famille, il ne veut surtout pas se jeter dans l’inconnu et laisser sa famille dans le besoin, lui qui ne s’est pas enrichi de son art. En effet, Ali est un cordonnier à Boghni, et sa petite et modique rente suffit à peine à nourrir sa petite famille, et ne lui permettra nullement de se manifester pour contribuer à la participation de ce talent à l’exposition annuelle de la Porte de Versailles à Paris. Ce sera à l’honneur de l’auteur de cette action qui verrait – espérons le – ce maquettiste sortir des griffes de l’anonymat et se frayer un chemin parmi les grands maquettistes du monde. Mais par pudeur digne des villageois en particulier, et des Kabyles en général, l’artiste n’oserait pas demander une aide à quiconque, de peur d’être prise pour la charité. Ainsi est faite notre éducation que nous ne remettons pas en cause, d’ailleurs. Et le chapitre culture prévu dans les budgets de nos APC ? Ferment-ils leurs yeux nos élus locaux sur des talents qui constituent et constitueront la fierté de nos villes et villages ? Coûtera-t-elle vraiment les yeux, de la tête une subvention insignifiante qui couvrirait les frais de voyage et l’argent de poche pour un tel participant, si on considère que la prise en charge est aux frais des organisateurs parisiens ?Qu’adviendra-t-il d’une nation qui ne prend pas en charge ses artistes et tue en eux l’esprit de création ?
Salem Amrane
