«J’espère revenir à Béjaïa»

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Juste avant la présentation de son spectacle Amour à mère, dans le cadre de la 8ème édition du Festival international du théâtre de Béjaïa, Léonor Canales nous a accordé cet entretien.

La Dépêche de Kabylie : Voudriez-vous vous présenter aux lecteurs ?

Léonor Canales Garcia : Je m’appelle Léonor Canales Garcia, je suis d’origine espagnole, de Cordoue. Cela fait plus de 20 ans que j’habite en France, plus exactement à Brest. Je suis imprégnée de cette double culture française et espagnole, notamment andalouse, donc j’ai de forts liens avec la culture arabe.

Comment avez-vous débuté votre carrière de comédienne et de dramaturge?

J’ai commencé mon parcours en tant qu’artiste de théâtre au conservatoire national du théâtre à Cordoue, dès l’âge de 4 ans. C’est là que j’ai commencé mes études. En même temps, comme j’étais très curieuse, j’ai fait du théâtre de rue, du cirque, j’ai participé même à une compagnie de théâtre itinérant. On tournait pendant huit mois, on allait de village en village, on avait un répertoire de 20 pièces de théâtres à présenter. Tout cela m’a donné cette capacité de changer d’espace et d’avoir une connaissance assez globale des différents langages théâtraux. Après, j’avais le désir d’aller plus loin, et comme je ne savais pas parler anglais, je suis partie en France, un pays qui a défendu un projet culturel fort après la 2e guerre mondiale. Ils ont développé tout un travail de décentralisation culturelle. C’est aussi un pays dans lequel de grands maître de théâtre ont pu affirmer leur pédagogie, entre autres monsieur Jacques Lecoq, qui était l’un des amis des Strehler et de Dario Faus. J’ai suivi une formation dans son école à Paris, à l’âge de 22 ans. Je suis passée ensuite par la faculté de Paris 8, où j’ai eu une licence de théâtre, puis par l’école du théâtre Fratellini. En fait, j’étais une femme qui avait soif d’apprentissage, une immigrée spirituelle. Quand on part de chez soi c’est soit parce qu’on est obligé soit par ce qu’on se dit que dans un autre pays on va pouvoir trouver quelque chose d’autres. On ne sait pas ce que c’est au départ, car on est jeune. J’ai fait les choses comme ça, de façon inconsciente. Mais avec le temps et la distance, je pense que je l’ai fait parce que j’avais cette soif d’apprentissage. J’ai travaillé à Paris avec différents maitres du théâtre dont Lusjaimi Cortes, qui m’a fait découvrir le langage des masques, avec Lecoq et Claire Eugène… qui m’ont aidée à me construire.

N’avez-vous pas eu de problème pour vous inscrire dans le théâtre français à cause de votre accent espagnol ?

Mon accent espagnol ! C’est vrai que c’était compliqué d’entrer dans un certain type de théâtre français. Mais ceci m’a poussée à créer ma propre compagnie en 2000 et celle-ci s’appelle «A petits pas». C’est à cette époque-là que je suis tombée enceinte de ma première fille et que j’ai créé mon premier spectacle «Chose seule» où on pouvait retrouver déjà toutes les fondations de ce qui allait être mon empreinte artistique. On est dans un théâtre qui est très organique, c’est-à-dire un théâtre physique qui passe par le corps où il faut se mettre dans un état de vérité. Du coup, cela demande un grand engagement physique, émotionnel et même spirituel. J’utilise aussi plusieurs langages, que ce soit la marionnette, le masque ou la danse. Tous ces différents langages sont au service d’une émotion, d’un message et d’une œuvre. Avec des questions liées à l’identité : qui je suis ?, d’où je viens ?… des questions philosophiques. Mais cette pensée vit à travers l’action physique, à travers l’acte théâtral.

Donc, c’est l’acte théâtral qui vous permet de vous affirmer en tant que personne ?

Oui, exactement. Ça, je l’ai fait à travers mon langage qui est le langage théâtral. Donc, tous les moyens sont bons pour faire passer un état émotionnel, et à travers cet état, une pensée. On est dans un théâtre qui passe par l’émotion pour transmettre un questionnement. Tout cela je l’ai su à travers mon expérience de 15 ans. Ensuite je suis partie en Bretagne, je voulais amener mon théâtre au milieu rural et le faire sortir de la capitale. Donc défendre un théâtre populaire. C’est là que j’ai eu ma deuxième fille et réalisé le spectacle «Amour à mère» que je présente ici au Festival de Béjaïa. Ensuite, j’ai fait un autre spectacle «Chère vieille» qui traite de la question de la vieillesse et de comment on arrive un jour à se libérer du poids du passé et de ce qui n’a pas été dit.

D’autres réalisations en perspective ?

Pour le moment, je travaille sur un autre spectacle qui s’appelle «Les genoux de Marilyne». C’est l’histoire d’une femme qui décide un jour de casser les murs qui l’entourent, visibles ou invisibles, pour s’affirmer en tant qu’individu. En fait, il y a toujours quelque chose qu’on réitère. On dit qu’on raconte toujours la même histoire, mais peut-être qu’on la raconte autrement, à travers différents visages. Je pense que les artistes ont des obsessions, ils creusent et trouvent à travers leur recherche. C’est pour ça que je dis qu’à travers mon acte théâtral le public trouve quelque chose qui n’est pas imposé en tant que tel. J’ouvre des portes, je propose un paysage et un voyage qui permettent à chacun de se trouver dedans.

Parlez nous un peu d’Amour à mère, expliquez nous ce jeu de mots…

En fait, je ne fais que traduire cette rencontre avec la mère, ces rencontres, il n’y a pas qu’une seule rencontre. Là on parle du premier amour de tout homme et de toute femme, celui de la mère. Cette figure, cette femme, va être toujours là. Qu’elle soit bonne ou pas, juste ou pas, elle reste ta mère. Tout comme ton père qui a son rôle à jouer pour te construire. Mais la mère, c’est ton ancrage, c’est ton berceau de chair. Donc cela peut te structurer ou te détruire aussi. C’est comme la vie, on ne peut pas dire c’est blanc ou noir. Dans «Amour à mère», on trouve le personnage principal, Alice, qui rentre à la maison après l’enterrement de sa maman, elle ouvre les fenêtres, laisse entrer la lumière, ouvre les tiroirs, découvre la boite à boutons, la boite à jouets, découvre sa robe de jeune fille. A travers ces objets, on rentre dans un travail de réminiscence où elle va regarder, nommer et incarner, sur scène, les différentes étapes qui ont construit son histoire et son identité par rapport à sa maman, et se dire à la fin à ce constat : «Enfin, j’ai compris». C’est-à-dire, maintenant, j’ai compris qui tu étais toi et qui je suis moi en dehors de toi. Il y a aussi une question qui se pose derrière, c’est : où est le père ? Après, je parle de mon histoire à moi, car on ne peut parler qu’à travers les paysages qu’on a traversés. Donc, ce spectacle est un spectacle emblématique dans mon histoire, c’est un petit bijou dans le sens où c’est un spectacle accessible à tout le monde et qui permet à toute personne de rentrer dans cet univers. Il a un rapport très direct et très simple avec le public. C’est aussi comme un petit délice, car il y a une partie performance dans laquelle je vais jouer du masque et de la marionnette et du coup le public et en même temps dérangé et surpris. Et hop, je reviens et je leur parle. Du coup, ça crée une complicité, comme si on était dans notre salon en train de vivre une histoire unique. C’est aussi un spectacle écrit comme du filigrane. C’est une partition qui est très minutieuse et très musicale. La preuve, c’est que c’est un spectacle que j’ai joué près de 400 fois depuis dix ans. Je ne dis pas que c’est un vieux spectacle, car c’est comme le bon vin, plus il vieillit plus il devient précieux. Evidemment, moi j’ai grandi avec. Je ne le joue plus de la même façon qu’autre fois. Je ne suis plus la même femme, ce qui est très beau, c’est que je suis toujours émerveillée. Quand la muse arrive, c’est la magie. Ce qui est bon dans un spectacle, c’est quand il t’échappe et commence à avoir une vie en dehors de toi. Tu ne deviens plus le maitre, il devient lui le maitre. C’est là qu’on commence à se découvrir et à se comprendre. Il y a aussi cette notion de don. Or, pour donner quelque chose il faut pouvoir se mettre à nu, je parle symboliquement, sinon tu seras dans une sorte de mascarade de posture. Donc, il faut trouver cet état de disponibilité, de nudité et de don.

Que pouvez-vous nous dire à propos de votre participation au Festival ?

C’est la première fois que je viens à Béjaïa. Je suis très heureuse d’être ici. Le fait de partager ce que moi je porte en tant qu’artiste avec un autre peuple qui a une culture très forte est déjà une fierté pour moi. Le fait de sortir de Brest et de me confronter à une autre ville, que ce soit par son architecture ou par les rencontres avec les uns et les autres, est déjà un apprentissage. Je suis vraiment très heureuse et très fière de représenter ma ville Brest et j’espère que ce n’est que le début d’une histoire d’amitié et de partenariat. J’ai aussi parlé avec le directeur du Festival sur la possibilité de revenir à Béjaïa pour proposer un stage de formation pour les jeunes. Cela fait partie de mes préoccupations, de partager ce que je peux savoir, humblement. J’espère aussi que ce n’est que le début d’autres rencontres et j’espère revenir à Béjaïa. Je félicite la ville de Béjaïa d’avoir abrité un Festival d’une aussi grande envergure, si ambitieux et qui fait se rencontrer des artistes d’ici et d’ailleurs.

Entretien réalisé par :Mechmeche Salima

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