Turbulences à l’université !

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Depuis sa création en 2008, l’université Akli Mohand-Oulhadj de Bouira est devenue un acteur principal sur la scène scientifique, culturelle et surtout politique à l’échelle locale.

L’université de Bouira, qui a connu d’importants changements et notamment des extensions, a vu son nombre d’étudiants et de départements doublé, voire triplé ces dernières années. Selon les récentes statistiques présentées par la direction, l’université de Bouira compte actuellement plus de 24 000 étudiants répartis sur 48 départements et instituts. Un effectif considérable conjugué à d’importants investissements sur les plans humain et académique. Cependant, force est de constater que le facteur de stabilité reste le plus grand absent de l’équation, pénalisant ainsi la progression de cette université. Grèves en séries, protestations multiples, blocage des administrations mais surtout scènes de violence à l’intérieur même de l’enceinte de l’université. Tout le monde se souvient du scénario de l’année dernière, où l’interdiction d’une conférence-débat au département de langue et culture amazighes, le 18 avril, a engendré un vaste mouvement de protestation mais aussi des scènes de violences, impliquant des étudiants membres de comités autonomes, ceux adhérents à des organisations syndicales, à l’image de l’UNEA et l’UGEL et les agents de sécurité du campus. Les événements se sont vite accélérés après cette date et la coordination libre des étudiants avait fait appel, le 27 avril, pour l’organisation d’une marche pacifique pour dénoncer, justement, la violence au sein de l’université. Une action interdite qui a été violemment réprimée par les services de sécurité. Pas moins de 26 étudiants et deux enseignants avaient été interpellés par la police. Réagissant à cette interdiction, les étudiants ont occupé pendant plus d’une semaine le siège du rectorat, pour réclamer le limogeage du chef des agents de sécurité ainsi que la reconnaissance officielle des comités autonomes de chaque département, comme interlocuteur légitime des étudiants. Deux revendications approuvées par la direction de l’université et des assemblées générales ont été tenues juste après, au niveau de tous les départements pour l’élection des comités autonomes. Si les revendications des étudiants ont été satisfaites par l’administration, la reprise des cours n’a pas suivi. En effet, la majorité des départements n’ont pas pu organiser leurs examens des deux semestres à temps. Des examens qui ont été organisés durant le mois de septembre de l’année en cours. Résultat et à ce jour, beaucoup de départements, à l’image de celui de tamazight, des sciences économiques et de la faculté des sciences et technologies (ST), n’ont pas entamé l’année scolaire 2016/2017, puisque les examens de rattrapage du deuxième semestre et les délibérations n’ont toujours pas été finalisés.

Confusion totale et scènes de violence

Ces nombreux retards n’ont fait que semer la confusion totale depuis le début de l’année universitaire. Les étudiants se trouvent face à une situation d’anarchie et d’instabilité que l’administration ne semble pas pouvoir contenir à ce jour. Cette situation s’est aussi répercutée négativement sur les résidences universitaires, puisque beaucoup d’étudiants n’ont toujours pas pu rejoindre leurs chambres. Par ailleurs et malgré le retard qu’accuse le volet pédagogique, les protestations, elles, n’ont pas tardé à prendre le dessus. Ainsi, plusieurs mouvements de grève ont été enregistrés depuis le début de l’année scolaire. UGEL, UNEA et coordination libre ont tous marqué leurs points, en appelant les étudiants à adhérer à leurs plates-formes de revendications respectives, dont plusieurs points en commun sont partagés. Cependant, ces mouvements de grèves à répétition ne semblent véhiculer uniquement des revendications socio-pédagogiques, car des conflits entre différentes organisations sont sortis, au grand jour, dans un scénario presque similaire à celui de l’année dernière. Un conflit qui s’éternise et sort de son cadre académique et civilisé, puisque c’est la violence qui prime au détriment des valeurs universelles. Comme l’année écoulée, ce conflit oppose les étudiants membres des comités autonomes, qui constituent la coordination libre des étudiants ainsi que ceux membres des organisations syndicales, chapeauté par l’UGEL, une organisation satellite proche des cercles politiques, issus de la mouvance islamistes des frères musulmans. Rien que la semaine dernière, deux événements désolants se sont produits au sein de l’université. Tous les deux ont été constatés à l’issu d’assemblées générales organisées par la coordination libre. Mardi dernier et au cours d’un échange violent et d’une bagarre violente, trois étudiants membres du comité autonome du département des sciences économiques ont été blessés par des membres de l’UGEL et finiront aux urgences de l’hôpital. La réaction de la coordination libre ne se fera pas attendre, puisque deux imposants rassemblements ont été organisés au niveau de la faculté des langues et du rectorat. Les étudiants intervenants ont à la fois dénoncé «la dégradation de leurs conditions de scolarisation» aussi «la violence, dont est victimes les représentants des étudiants membres des comités autonomes». Ces derniers ont tenu à interpeler les responsables de l’université afin qu’ils agissent contre ces étudiants «qui sèment la violence et la zizanie». La possibilité d’une grève ouverte et d’une marche vers le siège de la wilaya a été aussi évoquée lors de ces deux rassemblements.

Guerre de représentation…

Selon des étudiants avec lesquels nous nous sommes entretenus, ce genre de conflit n’est pas nouveau à l’université de Bouira. Au contraire, il date de 2005, au moment où des étudiants ont mis en place un premier comité autonome au niveau de la faculté de droit et un autre au niveau de la cité garçon. Selon nos interlocuteurs, les étudiants de l’UGEL ont lancé une «guerre ouverte» contre ces deux comités, dans l’objectif de les dissoudre et de les discréditer, et ce, malgré qu’un bon nombre d’étudiants adhéraient aux actions de ces deux comités autonomes. «Les militants de l’UGEL, qui ont une tendance islamistes bien affichée, faisaient tout pour discréditer et diviser les rangs des étudiants des comités autonomes. Ces derniers ont réussi à gagner la confiance des étudiants en un laps de temps, aussi à organiser des actions de grande envergure, comme c’était le cas au mois de mai 2015, lorsque les étudiants ont organisé une marche à Bouira. C’était une première. Ce conflit a duré dans le temps ! C’était prévisible d’ailleurs, car de par l’entêtement des uns et des autres, le conflit idéologique était ancré. Les islamistes de l’UGEL sentent la menace des comités autonomes qui s’organisent mieux. Plus crédibles et mobilisant, ces comités reprennent de plus en plus d’étudiants et l’UGEL perd du terrain. Donc, c’est pour cela qu’ils font souvent dans la violence», dira un enseignant à la faculté de droit, ex-étudiant de la même faculté. Ce conflit est sorti au grand jour, l’année dernière au mois d’avril plus exactement, lorsque les étudiants de l’UGEL se sont engagés dans une «guerre sans merci» contre toutes formes d’organisation libre et autonome à l’université. Agressions morale et physique des étudiants et étudiantes syndicalistes, campagnes de diffamation et pression sont quelques-unes des méthodes utilisées pour contrecarrer la montée en puissance des comités autonomes. «Ils essayent même d’interdire les AG des comités autonomes. Beaucoup de nos étudiants sont menacés et agressés, particulièrement au niveau des résidences universitaires. Comme ça a été le cas, l’année dernière, d’une étudiante en tamazight qui a été malmenée et insultée par des étudiantes de l’UGEL à la cité filles, tout simplement parce qu’elle a osé préparer un programme pour la commémoration des événements du 20 avril, ou comme c’est le cas actuellement au niveau de la faculté des sciences et technologies, où 5 étudiants de deuxième année bloquent la faculté depuis le mois de septembre dernier. Ces cinq messieurs sont tous de l’UGEL et bénéficient du soutien de leur organisation, tout en pénalisant des centaines d’étudiants pour une histoire d’orientation ! C’est grave et désolant !», ajoute notre interlocuteur.

Que faire ?

La non-reconnaissance des comités autonomes et de la coordination libre des étudiants par l’administration complique d’avantage cette situation. D’après des syndicalistes que nous avons interrogés, l’administration ne reconnait que les organisations «accréditées», malgré qu’elles manquent de légitimité auprès de la base estudiantine. «Nos comités étaient élus démocratiquement par les étudiants dans des assemblées générales. Ils portent les revendications des étudiants dans des plates-formes de revendications. Malheureusement et malgré que les statuts de l’université ouvrent le droit à ce genre d’organisation, toutes les administrations refusent de nous reconnaître ou encore recevoir nos représentants !», dira un étudiant membre du comité du département de français. Pour notre interlocuteur, il est plus qu’urgent que l’administration prenne des mesures évocatrices à l’encontre des étudiants agresseurs pour rétablir l’ordre et la sérénité au sein de l’université. «Le rectorat doit réagir rapidement pour mettre un terme à ces agissements. A la coordination libre des étudiants, nous tenons au caractère pacifique de notre lutte, ce n’est pas le cas pour d’autres organisations qui transforment l’université en champ de bataille en toute impunité ! La situation est très grave et les événements de l’année dernière risquent de se reproduire facilement», ajoutera-t-il. Pour notre interlocuteur, la coordination des étudiants a déjà introduit un projet d’une charte de l’université. «C’est un projet que nous avions adoptés l’année dernière, dont l’administration n’a donné aucune suite. Nous avons proposé la mise en place d’un comité ou d’une coordination où l’ensemble des parties (étudiants, enseignants, administrateurs et ouvriers) y seront représentées. Nous allons apprendre à débattre de nos différends d’une manière pacifique et académique», soulignera notre interlocuteur. A noter que nous avons essayé à maintes reprises de contacter le recteur de l’université pour avoir sa version des faits, mais en vain. Même d’autres responsables n’étaient pas accessibles. Les agents de sécurité nous ont même interdit d’accéder à l’intérieur du siège du rectorat. D’après-eux, le nouveau recteur «ne reçoit personne».

Oussama Khitouche

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