La salle de conférences de la direction des Services agricoles (DSA) de Béjaïa a abrité, récemment, un séminaire sur un thème, pour le moins, pas souvent retenu, à savoir «L’importance des chiroptères (le nom scientifique des chauves-souris) pour l’économie nationale». Cette rencontre scientifique a été organisée par le laboratoire de recherche en écologie et environnement de la faculté des sciences de la nature et de la vie de Béjaïa. Elle a été marquée par la participation d’éminents chercheurs dans le domaine. C’est le cas du Professeur Merlin Tuttle (USA). Il était le premier à intervenir. Il a insisté sur l’importante quantité d’insectes consommée chaque nuit par les chauves-souris. Il a expliqué que ces grandes colonies de chauves-souris «contribuent grandement à l’interruption des cycles biologiques de certains insectes, reconnus nuisibles des cultures». Elles agissent, selon lui, «en tant qu’auxiliaires naturels des agriculteurs pour la lutte biologique contre les ennemis des cultures». Elles jouent donc un rôle important d’insecticide naturel et gratuit. Dr. Ahmim Mourad, enseignant-chercheur à l’université de Béjaïa et spécialiste en chiroptérologie, a appelé, quant à lui, au renforcement du Groupe de sauvegarde des chauves-souris d’Algérie (Algerian bat Group) dont il est l’un des principaux animateurs. Avec les autres séminaristes, il a recommandé d’inclure, dorénavant, les études en génétique moléculaire et biologie moléculaire afin de mieux connaître les chauves-souris d’Algérie, pour qu’elles agissent en toute quiétude dans le cadre de la lutte biologique contre les moustiques et autres insectes ravageurs des cultures. Cette ambition se traduira, selon Dr Ahmim, par la multiplication, sur le terrain, des axes de recherche sur les chiroptères au niveau des laboratoires de recherche et la proposition de sujets de mémoire, premiers et seconds cycles, pour la mise à jour des connaissances sur ces mammifères utiles. Et de mettre en évidence son enjeu économique et sanitaire. Le directeur des Services agricoles (DSA) de Béjaïa, M. Laib Makhlouf, a présenté une communication ayant pour thème «L’importance de la chauve-souris pour l’agriculture». Il a indiqué que les chauves-souris jouaient un rôle capital dans les écosystèmes en tant que disséminateurs de graines, pollinisateurs de plantes et également prédateurs d’insectes. Quant à Mme Haddar Lilia de l’Institut national sur la recherche forestière (INRF) d’Azazga, elle a traité, elle, de «l’importance des chauves-souris en forêts». Elle a démontré que les chauves-souris contribuaient à la bonne santé des forêts. Et enfin, Dr Alima Gharout est revenu sur «l’importance des chauves-souris pour la santé publique». On a mis en avant l’autre particularité des chauves-souris, leur côté obscur, en l’occurrence leur capacité à servir d’hôtes à de nombreux virus. Plus de 100 virus ont été isolés ou détectés chez les chauves-souris. L’homme pourrait donc être contaminé directement à partir du réservoir, ou indirectement via un hôte intermédiaire ou un vecteur (qui ne provoque pas lui-même la maladie mais qui disperse l’infection en transportant les virus d’un hôte à l’autre). C’est le cas de la chauve-souris. Les résolutions, qui émanent des séminaristes à cette première rencontre scientifique, dédiée aux chiroptères, sont : «Renforcement de la spécialité au niveau des différentes universités du pays, création d’un réseau d’observateurs et de chercheurs, implication de la population et des agriculteurs dans la protection des chauves-souris et leurs habitats et localisation de tous les gites existant au niveau national». C’est le cas précisément de la grotte d’Aokas, un véritable vivier pour ces petites créatures.
Protection de la grotte d’Aokas
Les séminaristes de la première rencontre scientifique ont été symboliquement associés à la cérémonie de protection de la grotte d’Aokas, décrétée, par arrêté communal, comme premier gite à chiroptères protégé dans le pays, par le chef de l’exécutif de wilaya, les élus locaux et la communauté scientifique. Le site a été baptisé au nom de feu Pr. Jiri Gaisler, chercheur en mammalogie. Il enseignait la zoologie des vertébrés et l’écologie à l’université Masaryk, Brno, république tchèque. Il était un ancien coopérant technique à l’université de Sétif et il était à l’origine de la découverte de la grotte d’Aokas et de son plan chiroptérologique.
Une enquête américaine estime ses bienfaits à 22,9 milliards de dollars/an
Une étude a été publiée dans la revue Science et date du 1er avril 2011. Les auteurs de l’article ont indiqué qu’une seule colonie de 150 chauves-souris mange environ 1,3 million d’insectes ravageurs chaque année. On affirme aussi que la mort de 1 million de chauve-souris aurait ainsi pour conséquence qu’entre 660 et 1320 tonnes d’insectes ne sont pas «prélevées» chaque année. Dans leur étude chiffrée, les auteurs de l’étude estiment qu’aux Etats-Unis, les chauves-souris ont une valeur de 22,9 milliards de $ par an (près de 16 milliards d’euros), soit ce qu’elles permettent d’économiser en achat de pesticides à l’agriculture américaine. L’estimation se situe en scénario bas à 3,7 milliards de $ par an et à 53 milliards en hypothèse haute. Et encore, l’étude, précisera-t-on, n’a comptabilisé ni les coûts indirects qu’entraînerait une disparition des chauves-souris (effets négatifs des pesticides, plus grande résistance des insectes), ni les coûts sur les écosystèmes forestiers (seules les cultures ont été prises en compte). En d’autres termes, la disparition progressive des chauves-souris va inévitablement affecter l’économie. Car leur raréfaction, comme l’indique l’étude, pourrait coûter des dizaines de millions de dollars à l’agriculture.
F. A. B.

