Il marchait difficilement, il traînait sa jambe gangrénée, il toussait fortement et crachait ses poumons et se remémorait son passé.
Par Sadak Aït Hamouda
Il se rappelait aussi le jour de l’aïd où il fut surpris pas les hordes du général Randon qui ont mis à sac son village et expulsé sa famille d’Icheraouen vers Fort National, actuel Larbaâ Nath Irathen, l’assassinat, ou plutôt l’exécution de son père, l’expropriation des biens de sa famille, la déportation de son oncle en Nouvelle Calédonie, la fuite de son frère en Tunisie et toutes les misères subies.
Lui c’est Si Mohand U M’Hand, le poète, le clerc, et aussi comme disent ceux qui le connaissent moins, le vagabond, l’errant, et tutti quanti. Il se dirigeait vers l’hôpital Sainte Eugénie de Michelet, aujourd’hui Ain El Hammam. Il arriva fourbu le 18 décembre 1905 et s’affaissa sur le parvis, les sœurs le transportèrent vers la salle de médecine générale où il fut admis. On diagnostiqua une tuberculose pulmonaire, on ne tint pas compte de sa gangrène, tout simplement parce qu’elle ne représentait pas une urgence pour les médecins qui l’auscultaient.
Il était un révolté permanent et impénitent contre l’occupation de son pays, donc vivant ou mort, peu importait. Pendant son séjour, il recevait souvent la visite de son ami Si Youcef Ou Taleb Nath Sidi Saïd, qui le rassurait quant à son enterrement s’il venait à mourir. Au bout d’une huitaine, exactement le 28 décembre 1905, à 5h du matin, il rendit l’âme.
Il a tout chanté, tout dit, tout vécu, tout défendu jusqu’au délire, jusqu’à ne plus pouvoir, jusqu’à l’extrême pénitence, jusqu’à l’onction que personne ne pouvait lui donner ou lui accorder. Cependant, il reste le poète le plus prolifique, le plus vrai, le plus juste que la poésie kabyle, la poésie algérienne ait pu donner. Kateb Yacine, qui n’était pas «kabylophone» mais qui a lu ses poèmes traduits en français par Said Boulifa, Feraoun, ou Mammeri, considérait Si Mohand U M’Hand comme le plus grand poète algérien. Et il l’était.
S. A. H.