Yennayer, un élément du patrimoine immatériel berbère

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Yennayer, le nouvel an berbère, est l’une des traditions très ancienne de l’Afrique du Nord. Il est célébré selon un rituel avec de légères différences d’une région à une autre. Ainsi, on sacrifie un coq, un bouc et on fait des crêpes… Cette fête qui marque le début de l’année (tawwurt n useggas) est une tradition inscrite dans le calendrier agraire. Les Amazighs pratiquent l’agriculture, travaillent la terre depuis la préhistoire comme l’attestent les restes de pollens trouvés ici et là dans des gisements préhistoriques. Pour mener à bien l’activité agricole, il est nécessaire de connaître, de maîtriser la notion de temps. Ainsi, comme d’autres peuples, les Amazighs ont adopté un calendrier agraire constitué à partir de périodes de froidures, de chaleurs et de pluies.

Yennayer dans l’histoire

Pour expliquer le sens de Yennayer, certains optent pour une étymologie berbère. Pour eux, Yennayer donne yen=premier, Yur=mois, c’est à dire le premier mois de l’année. Pour d’autres, Yennayer est le mois de janvier latin, januarius, comme le sont les autres mois du calendrier agraire berbère : Furar, meghres… Januarius est le premier mois du calendrier romain, qui est lié au Dieu Janus (Dieu des portes, des seuils). On sait que Rome est restée presque cinq siècles en Afrique du Nord. Le calendrier Julien comme le pensent beaucoup, a été introduit en Afrique du Nord par l’empire romain. Avant Jules César, Rome dispose d’un calendrier lunaire de 10 mois et qui commence le 1er mars. Avant l’ère chrétienne, les berbères utilisaient un calendrier agraire relatif aux cycles de la nature mais avec la colonisation romaine, le calendrier romain qui est aussi un calendrier lunaire (de 10 mois lunaires), reformé par Jules César en l’an 46 av. J.C pour devenir un calendrier solaire, fut adopté par les Berbères. Comme on le sait, ce calendrier julien fut aussi reformé par le pape Grégoire XIII en 1582, qui constate que le calendrier Julien était en retard de dix jours par rapport aux temps réels. Pour ce faire, il supprima dix jours. Ainsi, il décida que le 4 octobre 1582 soit le 15 octobre 1582. Le nouveau calendrier reformé reçut le nom de calendrier grégorien. Et c’est ce dernier qui s’imposera plus tard comme calendrier universel. La France l’a adopté le 9/12/1582 et la Grande Bretagne deux siècles après. C’est-à-dire en 1752. L’URSS l’adopte en 1918 et la Grèce en 1923. De nombreux peuples ont continué avec le calendrier Julien comme les Amazighs. Depuis la reforme du Pape Grégoire, le calendrier Julien accuse un retard de douze jours, certains parlent même de treize jours, ce qui explique qu’on fête Yennayer le 12 du mois de janvier du calendrier grégorien.

Qu’en est-il de la date 2967 ?

Au lendemain de l’indépendance, la culture et l’identité berbères furent occultées par le pouvoir en place. Ce déni identitaire va conduire l’élite amazighe à s’intéresser à la sauvegarde de la culture amazighe et à la sensibilisation de la société sur cette question. Et pour se faire reconnaître et exister, la minorité linguistique amazighe a dû s’accrocher à toute forme de lutte comme la symbolique qui met en valeur la culture et la personnalité berbère. Ainsi, en 1967 à Paris, un groupe de militants berbères et d’intellectuels ont fondé l’académie berbère. L’objectif principal est la revendication de la culture berbère et par ricochet faire prendre conscience au peuple berbère de sa culture et sa civilisation ancestrale. Ainsi, le groupe, sous l’égide de Bessaoud Mouhend Aarab, a inventé les jours de semaine, adopté l’écriture tifinagh pour la langue kabyle en lui ajoutant quelques phonèmes kabyles qui n’existent pas dans le tifinagh ancien. Comme ils ont aussi inventé un calendrier berbère. Comme tous les peuples, pour créer un calendrier on fait recours à un repère historique. Ainsi, les Grecs ont choisi la date des premiers jeux olympiques qui remontent à 776 avt J-C., les chrétiens pour la naissance de Jésus, les musulmans pour l’exode de Mahomet. Pour créer un calendrier, l’académie berbère a fait référence à un fait historique. Il s’agit de la victoire de Chachnaq et son accession à la tête de la 22ème dynastie pharaonienne. Ce calendrier berbère, comme on vient de le voir, est loin d’être religieux comme le sont le calendrier chrétien qui se réfère à la naissance de Jésus ou le calendrier musulman, le Moharrem, qui lui se réfère à Mahomet. C’est ainsi que cette année 2017 correspond à 2967 année du calendrier berbère. Chaque nouvelle année, les Amazighs fêtent Yennayer non seulement dans l’intimité comme on le faisait jadis, c’est-à-dire entre les membres de la cellule familiale, mais en public. Aujourd’hui, Yennayer est devenu un repère identitaire pour tous les Amazighs. Il est fêté en public non seulement en Afrique du Nord mais aussi à l’étranger, en France, en Allemagne, au Canada, en Amérique, là où la communauté berbérophone s’est installée. Ainsi, des associations, des institutions de l’État (maisons de cultures) organisent des festivités durant une semaine, qui se terminent le 12, premier jour de l’an amazigh par le repas de Yennayer, un couscous au poulet (seksou d’ouyazidh) comme le veut la tradition. Comme on vient de le voir aujourd’hui, Yennayer est réhabilité par les Amazighs. Réapproprié, Yennayer est aussi sauvegardé. Cependant, malgré sa dimension nationale, voire internationale, Yennayer n’est toujours pas institutionnalisé et n’est pas reconnu comme étant une journée républicaine chômée et payée comme le sont les fêtes du premier jour de l’an chrétien (1er janvier) et celle du 1er Moharrem marquant le début de l’année musulmane. En tout cas, c’est la revendication de beaucoup de berbérophones de l’Afrique du nord aujourd’hui.

Par Ramdane Lasheb, enseignant de tamazight, auteur, doctorant à l’université de Pau, France

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