Un village, des us et… l’inévitable Matoub Lounès !

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Son nom est souvent lié à celui du rebelle qui est devenu avec le temps un référent pour ce village de montagnes. Taourirt Moussa Ouamar a vu naître, un certain 24 janvier 1956, le chantre de la chanson kabyle, Lounès Matoub, dans cette Kabylie «où même les arbres sont instruites», pour paraphraser l’autre géant de la chanson, Aït Menguellet.

Perché sur une colline, Taourirt Moussa Ouamar a enfanté, entre autres, Aïni Aït Larbi, la mère de la légendaire Fadhma Ath Mansour. Cette localité qui disposait d’une école dès la fin du 17e siècle, avait comme enseignant l’illustre écrivain Mouloud Feraoun entre 1945-1954, l’enfant prodige de Tizi Hibel. Albert Camus et Emmanuel Roblès en savaient quelque chose, eux, qui en bravant le statut de l’indigénat, ont rendu visite à leur ami, Menrad Fouroulou, le héros du «Le fils du pauvre» à cette école. Pendant la guerre, ce village était dénommé «La zone rouge», ce qui voulait tout dire. Taourirt Moussa Ouamar est actuellement rattaché administrativement à la commune d’Aït Mahmoud dans la localité de Beni Douala. Entouré du village de Tizi Hibel à l’est, de Tizi n’ Talakht au nord, d’Aït Bouyahia à l’ouest et du village de Taguemmount Azouz au sud, le village Taourirt Moussa Ouamar trône à 600 m d’altitude où vit une population qui avoisine les 3000 habitants. Longtemps considéré comme un passage obligé pour les grandes figures révolutionnaires, cette bourgade garde en souvenir la visite de Fadma n’Soumer en 1863, celle de Messali en 1936, le passage d’Ahmed Oumeri en 1943, Mouloud Feraoun de 1944-1954, Imache Ammar en 1951, Krim Belkacem en 1955, le colonel Amirouche en 1957, entre autres. Un village qui a donné à la révolution algérienne 46 martyrs. En plus de cette école primaire, la localité dispose d’une maison de jeunes qu’ils ont eux-mêmes construite et une équipe de Football OTM (Olympique Taourirt Moussa). Les habitants du village font montre du degré de leur maturité et de leur l’attachement aux valeurs et pratiques ancestrales qu’ils entretiennent et pérennisent jalousement. Ainsi, on trouve dans chaque quartier un lieu convivial qu’on nomme «Tajmaɛt», un lieu couvert et ouvert, sans fermeture, pour signifier, si besoin est, l’hospitalité, la générosité de ses habitants. Une place d’apprentissage, d’éducation par excellence, où se côtoient le vieux et le jeune, le riche et le pauvre pour aborder les différentes facettes du quotidien des citoyens, entre autres. Tajmaɛt fait office aussi d’un lieu d’organisation des assemblées générales des villageois. Une enceinte où l’organisation ancestrale n’a rien à envier à ces rencontres grecques d’Éphialte et de Périclès qui permettent à l’ensemble des citoyens athéniens de participer à la vie politique de la cité et de pouvoir accéder aux plus hautes fonctions de l’État. La rigueur est telle que personne n’osera remettre en cause les décisions prises, presque à l’unanimité, dans cette assemblée.

Le toponyme «Taourirt Moussa Ouamar»

D’après Achour Ourad, un citoyen du village, Taourirt Moussa Ouamar porte le nom des premiers habitants de ce village. «Moussa Ouamar est le nom des premiers habitants de cette localité. Il s’agissait du père Ouamar et de son fils Moussa», confie-t-il. Quant au mot Taourirt, c’est un nom kabyle utilisé pour désigner une colline, un nom qu’on rencontre dans plusieurs régions de la Kabylie.

Le troc comme mode de vie économique

Comme la majorité des villages kabyles, Taourirt Moussa Ouamar, vivait jadis de l’agriculture, essentiellement basée sur le blé, l’orge, les olives, les cerises…etc. Et bien évidemment, l’élevage de bovins et d’ovins. Pour remédier au manque de quelques vivres de premières nécessitées dans les foyers, les habitants recourent au troc, une pratique qui consistait à faire l’échange, par besoin, un produit contre un autre, comme échanger le blé contre l’huile entre deux foyers, par exemple. Avant sa disparition progressive et définitive ces dernières décennies, cette pratique sociale s’illustrait dans tous les villages de Kabylie. «Autrefois, le partage et la solidarité chez les Kabyles n’étaient pas de vains mots, mais des valeurs ancestrales ancrées dans le mode de vie de nos aïeux. Le retour aux sources est une exigence de l’heure, du moins dans quelques domaines», remarquera notre interlocuteur qui nous révélera que la dernière aire de battage de blé «Annar» de Amar Ou Yidir a diparu en 1967… avec l’arrivée des moissonneuses-batteuses.

Taourirt Moussa Ouamar et le marché de Larbâa Nath Irathen

À en croire les récits de certaines personnes du village de Taourirt Moussa Ouamar, une guéguerre a été entretenue durant un certain temps par Tizi Rached et Mekla contre Larbâa Nath Irathen. On racontait que les habitants des premières localités agressaient et intimidaient souvent ceux de Larbâa Nath Irathen jusqu’au jour où le village Taourirt Moussa Ouamar proposa son aide à ces derniers. Une aide qui s’apparente à une négociation d’intérêt, ou à un chantage. «En fait, Taourirt Moussa Ouamar demandait à ce que leur soit confiée la gestion du marché hebdomadaire de Labâa Nath Irathen une fois tous les trois semaines. Une proposition à laquelle ont répondu favorablement les habitants de LNI. Après ce compromis, le conflit entre les frères ennemis a été réglé définitivement», nous dira encore A. Ourad.

Le recours à des liens de mariage pour régler les conflits

D’après notre interlocuteur, un conflit majeur entre Slimane Oulamara et Ali Ath Mbarek gangrenait la cohésion entre villageois, au point que les assemblées générales du village se terminaient souvent en queue de poisson, vu l’influence qu’exerçaient ces deux personnes sur les autres habitants dans la prise de décisions concernant la gestion de la cité. Et pour régler ce problème définitivement, Slimane Oulamara demanda la main de la fille d’Ali Ath Mbarek pour son fils. Dès que la demande a été accordée, l’entente et la cohésion refont surface entre villageois.

Fadhma N’Soumer arrêtée à Taourirt Moussa Ouamar

D’après notre interlocuteur, l’héroïne de la résistance populaire, Fadhma N’Soumer (1830-1863), a été arrêtée au village Taourirt Moussa Ouamar. Elle s’est réfugiée chez sa tante lors de la mobilisation de l’armée française contre les insurgés kabyles qui étaient sous le commandement de Fadhma N’Soumer après la mort de Boubaghla. Elle est arrêtée le 27 juillet 1857 à Tala n Sidi Ali Moussa, une fontaine du village Taourirt Moussa Ouamae, et emprisonnée, puis placée en résidence surveillée. Elle meurt en captivité en 1863, à l’âge de 33 ans.

Les traces des Pères Blancs

Un fait marquant. Pratiquement, tous les vieux et les vieilles de ce village parlent couramment le français. Nous avions alors interrogé un citoyen du village, Lardjane Nafâa qui nous dira : «Ici, même les arbres sont instruits. C’est grâce aux Pères Blancs que nous maîtrisons la langue française. Non seulement ces Pères nous apprenaient la langue, mais ils nous enseignaient toutes les activités qui ont trait à notre vie quotidienne. Ils nous aident dans tous les domaines, que ce soit alimentaires ou vestimentaires. Je me souviens de ce Père Blancs qui se déplaçait plusieurs kilomètres dans la neige pour soigner nos malades. Les Sœurs Blanches étaient également des sages-femmes. Si ce n’était pas leur intervention, la majorité d’entre-nous ne serait pas vivante’’, nous confiera Monsieur Lardjane.

Des anecdotes à propos de Matoub Lounès

Un homme arriva aux funérailles au village Taourirt Moussa Ouamar, une connaissance à Matoub Lounès. Achour Ourad, puisque c’est de lui qu’il s’agit, s’est fait piquer par un scorpion. Alors que tout le mode s’inquiétait de la situation de la victime et regardait la blessure, Matoub Lounès fouillait dans ces poches dans l’espoir de trouver un livre. En effet, il a l’habitude qu’à chaque fois que Monsieur Ourad Achour montait au village, il lui ramenait un bouquin. «Matoub était un accroc de la lecture. Il aimait beaucoup lire», dira Ourad Achour qui nous racontait lui-même cette anecdote.

Matoub et l’eau de son puits

Cette anecdote nous a été dite par R. de Tala Khellil. «Le chanteur avait un puits dans son jardin. À un moment donné, une pénurie d’eau s’est emparée des villageois de Taourirt Moussa Ouamar. Pour y remédier, un tant soit peu, Matoub équipa son puits d’une pompe pour permettre aux villageois de s’approvisionner de cet endroit. Un geste qui a été apprécié à sa juste valeur par les habitants du village. Mais, un jour, en revenant vers sa maison, il rencontrera des femmes qui revenaient bredouille avec des jerricans vides. Renseignements pris, il s’est avéré que c’était la mère à Matoub qui les avait empêchées de s’approcher du puits en leur disant qu’il était à sec. Arrivé à la maison, Matoub trouva sa mère en train d’arroser son jardin. Pris de colère, il piétina tout le potager», révélera notre interlocuteur.

Matoub et le jour de l’Aïd

En allant à Tajmaât le jour de l’Aïd, Matoub Lounès ne trouva qu’une personne sur ce lieu. Intrigué par la présence de ce monsieur en ce lieu le jour de la fête, il lui posa la question suivante. «Ecoute, moi je suis seul à la maison, c’est pour cela que je me retrouve ici. Mais, toi tu as une famille. Tu dois être à la maison en train de fêter l’Aïd avec ta famille. Qu’est-ce qui t’en a empêché ?» Se sentant contrarié et gêné, l’homme prend son courage à deux mains et avoua ceci : «Tu sais, j’ai honte de rentrer à la maison parce que je n’ai pas acheté le mouton de l’Aïd. Je n’ai pas osé voir ma famille en face en ce jour de fête». Sans lui répondre, Matoub revient à la maison, ramènera son mouton de l’Aïd et le lui offrit.

Hocine Moula

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