Ces Algériennes  »étrangères » dans une France froide et sans âme

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Ces filles du pays de la lumière et du soleil ne s’habituent pas au climat humide et maussade de ce Paris des mois de janvier – février 2006, où le temps de la pluie fine et du froid est présent chaque jour que Dieu fait. Elles sont de plus en plus nombreuses ces femmes-filles algériennes qui commettent ce saut vers l’inconnu, vers un autre monde qui pensent-elles doit être meilleur, la chance d’un autre avenir et d’un futur autre. Ces immigrées de la nouvelle époque ne se doutent pas des difficultés qui les attendent dès le premier jour de leur arrivée en cet éden tant rêvé, tant attendu, préparé avec un soin méticuleux. La France d’hier n’est plus celle d’aujourd’hui, et le pays des droits de l’Homme et de la Révolution de 1789 a perdu de son lustre d’antan. Les mots: Liberté, Egalité, Fraternité, n’ont plus aucun sens, ces belles phrases idéalistes gorgées d’histoire, ont été mises au placard de l’oubli depuis bien longtemps.J’ai eu l’honneur et la chance de rencontrer et de connaître dans cette ville qu’on considère la 7e merveille du monde, dans ce Paris gris et pluvieux, plus d’une algérienne, mais le cas de trois d’entre elles m’a paru assez éloquent et représentatif.Samia a 30 ans, elle est là depuis plus d’une année, et est native de Béjaïa: « Je ne me doutais pas de rencontrer des personnes inhumaines, des individualistes, sans aucune chaleur envers l’autre. Je me nourrissais d’illusions…j’avais mon travail à Alger, un emploi qui me plaisait, mais qui ne me permettait pas de faire vivre ma famille. Je voulais m’en sortir de ce gouffre, de cette situation où on tirait le diable par la queue pour arriver à la fin du mois. J’avais quelques amis ici en France, qui me faisaient miroiter Paris comme la seule possibilité de réussite, je me suis dépensée, démenée, je me suis fatiguée pendant plusieurs mois pour mettre un peu d’argent de côté et avoir ce visa fatidique qui devait m’ouvrir la porte de la caverne d’Ali Baba. Mais la réalité a été plus que brutale, je me suis retrouvée sans le sou et chaque jour qui venait, je l’appréhendais…je suis arrivée à me poser la question : où dormir cette nuit, parce que les portes de mes amis commençaient à se fermer l’une après l’autre.Par la grâce de Dieu, je me retrouve un peu, depuis peu, je me suis trouvée un travail chez une vieille que j’assiste en lui faisant le ménage, le déjeuner – dîner et tout ce qui concerne son entretien personnel parce qu’elle n’est pas autosuffisante. J’ai une mensualité de 550 euros, mais je paye 200 euros le loyer d’une chambre dans un appartement que je partage avec deux autres filles étrangères, nous avons en commun la cuisine et le salon où trône la T.V. Pour le reste je commence a m’habituer en économisant sur tout ce que j’achète, en allant dans les supermarchés, les moins chers : « Lidl » ou bien « Francprix », et même là, je regarde les plus bas prix. Depuis mon arrivée, j’ai la même paire de chaussures, j’attends début mars pour la changer. Je fais attention au moindre centime ».Amal, une ex-étudiante de l’Université d’Alger, bardée de diplômes,la trentaine dépassée, mais paraissant avoir dix années de moins, est à Paris depuis 2003. Mais pour elle, cela fait plus d’un siècle qu’elle est là, le temps lui parait insurmontable, elle est vendeuse dans un chic magasin de vêtements pour femmes, situé à la rue de la Harpe de Saint-Michel, l’un des quartiers le plus prisés par les touristes américains, anglais et japonais, là où pour pouvoir travailler, il faut être belle, élégante, savoir recevoir, avoir toujours le sourire aux lèvres et surtout connaître à merveille la langue de Shakespeare. »La France est un pays fascinant par ses apparences trompeuses, c’est comme le miroir aux alouettes,où avant de venir, tout le monde te promet un atterrissage organisé sur la lune et quand tu atterris, tu ne rencontres que la réalité de la vie et l’amertume du quotidien qui t’attend. J’en ai bavée les deux ou trois premiers mois, je faisais des kilomètres et kilomètres à pied, à la recherche d’un travail, d’une chambre ou pour avaliser un document administratif, je ne prenais ni métro ni autobus pour économiser deux ou trois euros, ce qui me permettait le soir d’acheter une baguette et un demi-litre de lait.J’ai serré les dents, je n’ai jamais pensé à faire marche arrière, l’idée ne m’a même pas effleurée, autant souffrir à Paris que rester chez soi, à la merci d’une déplorable sous- politique: économique, sociale, culturelle et j’en passe… à la merci de ces hommes qui font une sous-politique de surenchère pour gagner du temps et être toujours en place, où la corruption est à la première place. Nos hommes politiques n’ont aucune imagination, aucun courage intellectuel pour aller de l’avant et chercher à faire sortir le pays de sa léthargie de sous-développement, à aider le peuple algérien pour un bien-être réel.Je dirais même qu’ils sont venus d’une autre planète. Ils ont oublié le temps de la colonisation, de la vie que subissaient nos parents et nos grands-parents….Je lis dans les journaux que nous sommes riches, que l’Etat a dans ses caisses des milliards de dollars, mais le peuple n’a jamais vu la couleur de cette richesse…. sauf une certaine classe, peut-être, celle qui est l’alliée de ces hommes au pouvoir, qui maintiennent le statu quo pour la grande majorité du peuple algérien, mais pas pour leurs familles… » Houria, d’El-Hamri (Oran), la ville de Blaoui el Houari et Cheb Khaled, mariée quatre enfants, travaille dans une auberge de jeunesse en plein centre de Paris, attend avec impatience sa mise à la retraite, encore quelques années, pour retourner en Algérie. »Je suis arrivée très jeune en France, j’ai dû suivre mon mari qui était déjà ici. Les deux premières années ont été très dures pour moi, j’avais énormément souffert de cette transhumance, loin de ma famille. Puis, petit à petit, j’ai pris conscience de cet état de fait et : dorénavant, le chez-moi est dans ce pays aux côtés de mon mari. Une voisine française m’a un jour, présentée au directeur de cette auberge où je travaille, je pense que j’ai eu beaucoup de chance”. Cela fait 23 ans que je suis dans ce même poste, j’ai assisté à maints changements du comportement du point de vue humain que social, la France n’est plus ce qu’elle était, surtout aujourd’hui. Je peux dire qu’il y avait une certaine forme de paternalisme latent qui est passé directement à la xénophobie, surtout depuis l’attaque des deux tours à New York. Le 11 Septembre est une date noire pour tous les musulmans vivant en Europe, je crois. Chaque jour qui se lève, je le prends en charge, tout en le décomptant des jours et des mois qui me restent à la retraite, je ne vis que pour le moment de retourner et revivre dans ma ville natale. Le grand problème, ce mode de vie “à la française” et mènent une « guerre » sournoise pour que je puisse changer d’avis parce qu’ils savent très bien que je ne laisserais personne derrière moi. » Voilà, trois portraits de femmes algériennes qui vivent et travaillent dans cette métropole lointaine et proche de chez nous, trois destins de femmes différents l’un de l’autre, où être loin du pays : les rapproche l’une de l’autre. J’en ai parlé à d’autres femmes – jeunes filles de notre Algérie, je me suis posé maintes et maintes questions où aucune réponse ne m’a parue plausible, je les ai vues vivre dans leurs quotidiens, je les ai vues rire et pleurer, mais jamais abattues. En plus, aucune d’elles n’a prononcé ce mot que, peut-être, du plus profond de moi j’espérais entendre: abdiquer, pourtant les difficultés pour vivre en France ne manquent pas.

Correspondance particulière de Ferradi Bahieddine

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