Samedi dernier, le Moudjahid et écrivain Djoudi Attoumi a animé une conférence à la bibliothèque principale de lecture publique de Béjaïa, sur invitation de l’Association pour la Sauvegarde du Patrimoine.
L’écrivain vient de publier son septième livre intitulé «Les Femmes Combattantes dans la Guerre de Libération Nationale». Djoudi Attoumi est né en 1938 dans la région d’Aït Ouaghlis. Il y a fait ses études primaires, avant d’aller à Alger faire l’Ecole Commerciale. En Mai 1956, il y eut la grève des étudiants et l’appel du FLN de rejoindre les rangs de l’ALN. «J’ai rejoint le PC de la Wilaya III, le quartier général du Colonel Amirouche. Mais manque de chance, le héros du jeune Djoudi n’était pas là. J’étais fasciné par le personnage. C’était un génie et l’Algérie a eu de la chance d’avoir cet homme aux qualités exceptionnelles». Il retourne à Alger avant d’être contacté quelques mois plus tard par l’ALN pour retourner dans l’Akfadou. Il est devenu le compagnon du Colonel, et parfois, avec d’autres, son secrétaire. Il raconte : «Amirouche faisait le tour de la Wilaya III en une semaine, avec une moyenne de 10 heures de marche par jour. A part ses gardes du corps, beaucoup n’arrivaient pas à tenir ce rythme». Après l’opération «Jumelle», Amirouche étant déjà tombé au champ d’honneur, la Wilaya III a subi d’énormes dégâts. Sur douze mille combattants, huit milles ont été tués. Il a fallu faire un travail de fond pour remobiliser les troupes et continuer le combat jusqu’à l’indépendance. «J’ai été nommé membre de la commission du Cessez-le Feu pour veiller à l’application des accords d’Evian», a déclaré le Moudjahid. Après le référendum du 3 Juillet, Djoudi Attoumi a estimé que sa mission était maintenant terminée, et le 5 août, il a demandé sa démobilisation pour reprendre sa vie civile et une carrière dans le secteur de la santé. Il a aussi été convaincu, avec d’autres, de la nécessité de reprendre ses études et d’aller plus loin. Il a ainsi obtenu une licence en Droit à la Faculté de Rennes, puis il est entré au pays continuer sa carrière. En 1985, il est devenu P/APW de Béjaïa jusqu’en 1990. «Après ma retraite, je me suis mis à l’écriture pour rétablir les faits historiques».
Sept livres
«J’ai raconté le véritable visage d’Amirouche et j’ai essayé de le réhabiliter après toutes les polémiques qui ont entouré son personnage. J’ai ensuite publié un deuxième puis un troisième livre à son sujet». Djoudi Attoumi est quasiment devenu le biographe attitré du Colonel Amirouche et sa réputation a été faite. Il a ainsi été contacté par des frères de combat qui lui ont confié un lourd secret. «Mehdi Cherif et Abdelhamid Djouadi étaient les derniers à connaître le secret concernant le corps du Colonel Amirouche. Ils me l’ont confié puis m’ont dit d’en faire bon usage. Ça a été le thème de mon quatrième ouvrage». Quelques temps après, j’en ai fait un cinquième en deux tomes, puis j’ai tenu à rendre hommage aux appelés de l’Armée française qui ont refusé de répondre à l’appel à la conscription. Aussi bien des Algériens que des Français d’ailleurs. Il y a eu quelque 15 000 Algériens qui ont refusé de rejoindre les rangs de l’Armée française. Et parmi ceux qui y étaient, beaucoup ont déserté pour rejoindre les rangs de l’ALN en y apportant leur formation et leur expérience militaire. En rendant aussi hommage aux soldats français qui ont refusé de faire la guerre contre l’Algérie, Djoudi Attoumi a raconté un témoignage poignant. «Alors que nous étions poursuivis par les soldats français, nous tentions de fuir la zone encerclée pour nous réfugier et nous mettre à l’abri. Après plusieurs heures de marche, nous étions deux à essayer de traverser la Route Nationale pour passer à un endroit plus sûr, loin des hordes qui nous poursuivaient. Manque de chance, nous sommes tombés nez à nez sur un soldat français qui portait une mitrailleuse. Je crus ma dernière heure arrivée. Mais le soldat, contre toute attente, nous fit signe de la main pour nous inviter à traverser et continuer notre chemin. Croyant à une ruse, je me suis dit que nous n’avions rien à perdre, et nous avons traversé, nous attendant à être mitraillés. Mais le soldat nous a laissés partir sans nous attaquer. J’ai cherché longtemps à savoir de qui il s’agissait et j’ai fait des recherches pour essayer de l’identifier après l’indépendance, pour en faire un ami et un frère. Ce soldat nous avait tout simplement sauvé la vie».
Hommage aux femmes combattantes
Passant à son nouveau livre qu’il vient à peine de publier, Djoudi Attoumi a déclaré : «Si les femmes ne nous avaient pas aidés, nous n’aurions jamais réussi notre révolution». L’hommage est on ne peut plus clair. «Dans ce livre, j’ai parlé de ces héroïnes restées dans l’ombre». Pour le Moudjahid-écrivain, «c’est la femme qui éduque les citoyens de demain. Elles ont joué un grand rôle dans la révolution comme soutien primordial aux moudjahidine», a-t-il ajouté. Puis, il a rappelé leurs sacrifices : «Elles ont été soumises à la torture et à l’humiliation, en particulier les femmes des Moudjahidine». Sans trop s’attarder sur les détails, il a rappelé les massacres, les viols, les déportations et toutes sortes d’exactions commises contre les populations en général et les femmes en particulier. Il a cité le cas de Nefissa Hammoud, première femme médecin de la Wilaya III. Plusieurs autres femmes ont rejoint le maquis et certaines ont même participé aux combats. Plusieurs ont été déchiquetées par les bombardements de l’aviation française. En ville et dans les villages, les femmes encourageaient les Moudjahidine et terrorisaient les soldats français par leurs youyous pendant les combats. Elles ont été en premières lignes lors des manifestations pour réclamer l’indépendance de l’Algérie, notamment lors des manifestations du 11 Décembre 1960 à Alger, et les autres manifestations dans toutes les villes algériennes. Il a rappelé l’exemple de Zoulikha Oudaï, citée par la romancière algérienne de renommée mondiale, Assia Djebar, académicienne et enseignante universitaire, dans son roman intitulé «La Femme sans sépulture». Il y a aussi les femmes telles Djamila Bouhired, Hassiba Ben Bouali, Zohra Drif et bien d’autres qui ont pris part aux opérations dans les villes. Pour terminer sa conférence, Djoudi Attoumi a projeté sur l’écran des dizaines de photos de femmes Moudjahidate, dont beaucoup sont tombées au champ d’honneur, en commentant leur histoire et leur rendant hommage. Après quoi, la parole fut donnée au public pour ouvrir le débat. Certains ancien moudjahidine et moudjahidate, tels Rachid Ouattah et Madame Mebarki, ont apporté des compléments d’information, rappelant la mémoire d’autres Moudjahidate. Comme si c’était pour dire que l’œuvre de Djoudi Attoumi n’est en fait qu’un premier jet dans le rappel de l’histoire de ces femmes de l’ombre, et qu’il y a encore un long travail à faire pour les recenser et, nommément, leur rendre hommage, pour qu’elles ne restent plus dans l’anonymat.
N. Si Yani