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«Ce que je sais d’El Hasnaoui, Fadhma et leur histoire…»

Disciple du grand chanteur kabyle du chaâbi feu Cheikh El Hasnaoui, Madjid Aït Rahmane dit El Hasnaoui Amechtouh parle dans cet entretien de son parcours artistique. Il revient aussi sur ses nombreuses rencontres avec son idole défunt.

La Dépêche de Kabylie : Votre dernière sortie artistique en Kabylie ne remonte pas à loin même si vous vous faites rare dans cette région. Vous étiez présent à l’hommage rendu au chanteur Taleb Tahar. C’est le genre de rendez-vous qui vous tient à cœur ?

El Hasnaoui Amechtouh : Je connais Taleb Tahar depuis 40 ans. C’est quelqu’un qui détient les qualités d’un vrai artiste. Il compose des chefs-d’œuvre et il est bien éduqué. Donc, c’est la moindre des choses d’être à son hommage. C’est le moins qu’on puisse lui faire. Je pense que tous les grands artistes méritent d’être honorés même si les soucis du chanteur se situent ailleurs.

Mais pourquoi vous vous faites rare, notamment, en Kabylie. Peut-on connaître les raisons ?

Pour les scènes, on nous appelle uniquement pendant le mois de Ramadhan, on nous considère comme du kalb el louz. Or, le chanteur doit travailler tout au long de l’année pour accéder à une vie décente. Le chanteur n’a pas tous ces droits, même si des acquits sont arrachés ces dernières années. L’artiste reste, quoi qu’il en soit, la locomotive de la société. Moi j’habite à Alger et je connais bien le milieu artistique depuis belle lurette. Crois-moi que c’est l’enfer. Alger est une ville morte sur le plan culturel en général et artistique en particulier. Toutes les salles sont fermées à longueur d’année. Nous avons de bons chanteurs et des musiciens de talent. La tutelle doit s’occuper d’eux et les accompagner pour les encourager et les propulser au devant de la scène. Nous avons une culture diversifiée avec plusieurs genres musicaux. Il est temps de les faire valoir sur la scène nationale et internationale. Il suffit juste de leur donner un coup de pouce. Nous avons des stars qui ont porté notre chanson à l’échelle mondiale et pourquoi pas d’autres. Au risque de me répéter, le secteur est abandonné.

Et si on parlait un peu de vos débuts ?

Je suis de Larbaâ Nath Ouacif. Mon défunt père était un maquisard, donc il nous a fait fuir à la Casbah. J’avais 5 ans à l’époque. J’ai étudié jusqu’à l’âge de 14 ans puis j’ai intégré le domaine professionnel, la couture. J’étais un maître tailleur modéliste. Actuellement, je suis en retraite. J’ai commencé le chant en 1975 dans une émission «Ighennayen Uzekka», présentée par le grand maître Cherif Kheddam. J’ai chanté une chanson de Cheikh El Hasnaoui «A yemma yemma» avec l’orchestre de Cheikh Noredine. À la fin de la chanson, Cherif Kheddam m’avait dit : «À partir de maintenant, on t’appellera plus Aït Rahmane Madjid mais plutôt El Hasnaoui Amechtouh». Depuis, j’ai pris ce nom d’artiste dans mon premier 45 tours (Zahia et Montparnasse) que j’ai enregistré dans le studio de Mahboub Bati. Deux chansons qui ont eu un succès quand même. Puis, j’ai côtoyé des grands artistes et j’ai fait pas mal de fêtes et passages à la télévision. Voilà comment j’ai débuté ma carrière artistique.

Même sur le plan production vous ne semblez pas être prolifique ces dernières années…

J’ai enregistré un nouvel album en France et sa sortie est prévue pour le mois de juin. Une douzaine de titres que j’ai enregistrés avec un orchestre symphonique. Les thèmes sont variés. On y trouve l’immigration, la harraga, l’amour, les problèmes de la société… J’espère qu’il sera du goût du public. Je n’enregistre qu’un seul album tous les 5 ou 6 ans, c’est mon rythme.

Vous avez enregistré en Algérie des chansons de Cheikh El Hasnaoui…

Oui, j’ai enregistré des chansons du Cheikh pour les perpétuer, mais avec son accord bien sûr. Parmi les 70 chansons enregistrées à la télévision algérienne, la plus grande majorité ce sont celles du Cheikh El Hasnaoui.

Comment aviez-vous rencontré votre idole, Cheikh El Hasnaoui ?

J’ai été en France en 1978, j’ai rencontré Rachid Mesbahi, Akli Yahiatène, Sadaoui, Matoub Lounes, Slimane Azem, Cheikh Arab Bouyezgarène… On travaillait dans les cafés. Un jour, j’ai chanté chez l’ami de Cheikh El Hasnaoui, un gentil homme de Tifilkout, en l’occurrence Mohamedi Ferhat. Je lui ai dit : «Si tu m’aimes vraiment, emmène-moi chez Cheikh El Hasnaoui». Chose promise, chose due. Il m’avait présenté au grand maître qui était très content de me voir. Je lui ai chanté quelques passages de ses chansons, il était très ému de les entendre. Même sa femme était très impressionnée de m’entendre chanter comme le Cheikh, elle répliqua juste après avec ces mots : «Tu chantes comme mon mari». Ne sachant pas qu’il avait un très grand succès au bled, il dira : «Donc, je ne suis pas mort». Nous avions longuement discuté sur la chanson. Il n’arrêtait pas de me donner des conseils sur le respect de l’art. Depuis, nous nous sommes devenus de très bons amis et confidents. Je lui rendais souvent visite. Je lui ai ramené un burnous blanc, une chachia, une robe kabyle, des bijoux, aghrum aquran (galette dur), de l’huile d’olive, des figues sèches et un tableau de son village Ihesnawen. Quand il a vu tout ça, il pleura à grandes larmes pendant un bon moment. Avec une gorge nouée, il me lança cette phrase : «Tu m’as vraiment touché mon fils».

Il vous a parlé, peut-être, de sa déception amoureuse avec la fameuse Fadhma ?

Je connais toute sa biographie. Il était orphelin de mère et de père. Il a vécu dans la misère, la mauvaise vie en plus du colonialisme français. Il a fait le trajet Ihesnawen jusqu’à la capitale à pieds. Il tournait au square jusqu’à ce qu’il fait la rencontre d’un bienfaiteur qui le ramènera à son domicile et l’adoptera. Un pêcheur sans enfants, au nom de Khezandri Amar. Donc, El Hasnaoui faisait du porte-à-porte pour livrer du poisson aux colons. Son histoire avec Fadhma débuta dans son village, dès son adolescence. Une histoire amoureuse digne de celle de Roméo et Juliette. À l’âge de 24 ans et après avoir économisé un peu d’argent, il revint au village et il demanda la main de sa bien-aimée. Mais malheureusement, sa demande au mariage a eu un refus catégorique de la part des parents de Fadhma. L’alliance entre ces deux amoureux est confrontée à un paradoxe sociétal. À l’époque, beaucoup de familles refusèrent des prétendants qui exerçaient les métiers d’artiste, boucher, Idebbalen, couseur de selles, charbonnier… Et comme El Hasnaoui était un Ameddah, donc, la famille a refusé sa demande. Après cette déception amoureuse, il s’est dirigé directement vers la Maison Blanche. Comme disait l’autre : «Partir sans retour». Il a chanté beaucoup sa Fadhma. Il m’a avoué que l’image de celle-ci hantait sa mémoire tout au long de sa vie malgré qu’il soit marié avec une belle femme, gentille et cultivée. Côté artistique, il chantait uniquement dans les cafés, il n’a jamais fait de scènes.

Vous vous êtes installé à Alger à l’âge de 5 ans. Contrairement à la majorité des Algérois d’origine kabyle, vous parlez couramment le kabyle. C’est dû à quoi ?

Il y a beaucoup de chanteurs à l’instar d’Amar Zahi, Chaou, Abderrahmane Koubi et autres qui sont d’origine kabyle et qui ne connaissent pas la langue. Par contre moi, j’avais des parents très à cheval sur notre langue. Mon père et ma mère me parlaient en kabyle à la maison. Et voilà tout le secret de la chose. Par contre, mes enfants ne parlent pas bien le kabyle. Mes trois enfants sont nés à la Casbah.

On vous laisse conclure avec une anecdote peut-être…

Une anecdote avec Cheikh El Hasnaoui. Alors que je lui rendais une visite de courtoisie comme d’habitude, nous avions pris un coup ensemble. Il m’a servi du Ricard. Le Cheikh s’est contenté de deux doses, par contre, moi je me servais à volonté et sans modération. J’ai presque vidé la bouteille de Ricard. D’un air étonné et peut-être avec un sentiment d’aversion, il me dira : «Tu es venu ici pour une visite ou pour te saouler ? C’est comme ça que vous faites au bled ?» Ses paroles furent pour moi un antidote. C’est comme si j’ai fait une cure. Tellement j’avais honte, tout a disparu d’un seul coup.

Entretien réalisé

par Hocine Moula

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