“Le texte amazigh est de plus en plus fluide’’

Partager

La Dépêche de Kabylie : Le métier d’éditeur est-il un commerce ou une passion ? Nacer Mouterfi : L’édition est d’abord une activité commerciale. Néanmoins, quand une personne choisit de s’investir dans le créneau, il ne peut être qu’un passionné… sinon, c’est le livre qui en pâtit. Cela dit, à lui seul, l’amour du livre ne fait pas vivre l’éditeur.Les considérations financières sont primordiales. Nous avons conscience que l’investissement tant matériel qu’humain est un investissement à long terme et incertain. Nous aurions pu choisir un commerce qui rapporte beaucoup et rapidement mais la passion du livre l’emporte sur le gain. Le métier d’éditeur, en ce qui nous concerne du moins, est une aventure qui —au fur et à mesure que les oeuvres inédites voient le jour— se traduit par un plaisir et un engagement.

Les Algériens lisent-ils ? Les Algériens qui lisent ne sont pas nombreux. Cela peut s’expliquer en partie par le niveau de vie qui réduit considérablement le cercle des lecteurs. Mais, la responsabilité de cet état de fait incombe essentiellement à l’école…. La lecture est d’abord un plaisir, un amour. Et cela se nourrit à l’école. Or, l’école fondamentale n’a pas su inculquer aux enfants, c’est-à-dire les adultes d’aujourd’hui, le plaisir de tenir un bouquin. Elle (l’école) ne travaille pas avec l’imaginaire. Bien au contraire, l’école semble avoir anéanti les rêves des écoliers en les privant des joies que procure la lecture. Il est bien loin, ce temps où les gosses s’identifiaient au vieil homme d’Hemingway ou au personnage de “l’Ile au trésor’’. Hélas, lire est devenu onirique pour certains et un luxe pour les autres… Le déferlement des multi médias comme la télévision et l’Internet ont accentué ce délaissement. Les esprits sont plus réceptifs aux images. Cela ne coûte aucun effort intellectuel. Cependant, les efforts consentis par la Bibliothèque nationale et le ministère de la Culture peuvent à long terme concilier le livre avec le citoyen. Les nouvelles réformes scolaires peuvent aussi faire aimer la lecture aux enfants. A ce propos, nous constatons que des lycéens achètent des livres surtout de littérature pour leurs exposés en classe. Tout n’est donc pas perdu.

Quelle est la nature du livre qui marche le plus ? Selon certains recoupements que nous jugeons sérieux, le livre qui marche est sans conteste le livre religieux. Cela est dû peut-être à sa disponibilité et son prix abordable (même si la plupart des ouvrages sont importés). Le ressourcement spirituel est “d’actualité’’. Le vide culturel et le travail de sape que mènent les “idéologues’’ y est pour quelque chose. Vient ensuite le parascolaire. Plusieurs maisons d’éditions se sont spécialisées dans le domaine, plutôt lucratif. En effet, les parents consentent tous les sacrifices quand il s’agit de la scolarité de leurs progénitures. Le technique, à l’instar du livre traitant d’informatique, se vend bien. Cela dit et même s’il est édité en Algérie, il demeure excessivement cher. Ce ne sont pas tous les étudiants et autres stagiaires qui pourront se le permettre. Le livre pour enfants, le conte particulièrement, marche bien aussi.

Vous êtes l’une des rares maisons d’édition à s’intéresser à la publication d’expression amazighe. Qu’est-ce qui motive cet intérêt ? Nous nous intéressons à la publication d’expression amazighe parce qu’un besoin se fait ressentir. Nous essayons, comme nous le pouvons, de répondre à ce besoin et à une demande allant crescendo. Notre “ligne éditoriale’’ s’inscrit dans le cadre d’apporter un plus à notre culture. Tamazight, à l’instar d’autres langues, est une langue qui remplit pleinement son rôle. Donc publier dans cette langue ne nous pose aucun problème, en matière linguistique, s’entend. Le livre d’expression amazigh tient une place non négligeable dans notre maison d’édition.Il nous intéresse au même titre que le parascolaire, le conte pour enfants, histoire, etc. Publier en tamazight est certes une tâche très difficile pour l’éditeur. Tamazight est en pleine mutation. Un simple texte demande beaucoup d’efforts. Beaucoup et d’une manière progressive, écrivent dans cette langue. Ils cherchent à être édités. De notre côté, nous choisissons ce que nous devons éditer. Parmi les conditions que nous soumettons aux auteurs d’expression amazigh, comme nous le faisons pour d’autres supports linguistiques, nous exigeons la qualité de l’écriture (fond et forme). Ensuite, et dans le souci de transmettre une œuvre digne de ce nom au lecteur, nous créons une certaine complicité avec l’auteur. Nous ne voulons prendre aucun risque s’agissant de la qualité et de la présentation de l’ouvrage. Vous prenez un livre en langue française ou anglaise vous ne verrez pas de coquilles, enfin pas trop. Nous veillons à ce que cela soit de même pour le texte tamazight. Le lecteur doit prendre son aise à le lire et le juger sur son contenu mais pas sur sa forme. Mais le grand problème qui se pose en général pour la plupart des éditeurs, c’est la mauvaise impression.

Comment appréciez-vous ce qui s’écrit en tamazight ? Nous n’avons pas de banque de données de toutes les publications en tamazight pour porter un jugement précis, mais ce que nous avons lu, jusqu’ici comme textes littéraires édités par le HCA et à compte d’auteur, nous permet de dire que le livre amazigh est sur la bonne voie. Il y a de l’innovation, en matière de sujets traités et de styles. Quelques syntaxiques et sémantiques se trouvent certes dans chaque texte et c’est selon la langue dans laquelle l’auteur est formé (arabe ou française). Néanmoins, le texte amazigh est de plus en plus fluide et aborde des sujets neufs qui s’inscrivent dans l’universel. Nous pensons que tamazight a un avenir meilleur. Un recueil de poésies et un roman que nous publierons prochainement surprendront agréablement les lecteurs par la nouveauté de leurs styles et des sujets abordés. Aujourd’hui, l’auteur d’expression amazigh veut être considéré comme un écrivain parmi tant d’autres de par le monde. Il ambitionne à briguer tous les concours littéraires nationaux et internationaux. Que ce genre de pensées existe, c’est déjà une avancée pour tamazight.

Que proposez-vous pour concilier le livre avec le citoyen d’une manière générale et le lecteur potentiel tout particulièrement ? Pour que le livre soit le compagnon “permanent’’ de l’Algérien, il faut que l’État le prenne en charge. Le livre, quelle que soit sa nature, doit être à la portée de toutes les bourses. Des réseaux pour la promotion du livre comme les bibliothèques doivent voir le jour à travers toutes les communes et les établissements scolaires du pays. En tant que vecteur essentiel entre l’ouvrage et le citoyen, la librairie doit revenir à ses amours premières : s’intéresser au livre. Or, sur une centaine de librairies que peut compter une wilaya, seulement une dizaine continue de “vendre’’ le livre. La presse nationale a aussi un rôle à jouer en informant à propos de nouvelles publications. Mais, l’école reste le partenaire le plus important, puisqu’elle propose un réservoir de lecteurs et les moyens de lui faire aimer la lecture.

Propos recueillis par T. Ould Amar

Partager