Site icon La Dépêche de Kabylie

Aux racines de Tafsut

Après Yennayer qui ouvre la porte de l’année amazigh, et Aretal, cette légendaire journée empruntée à Fourar, connue par son froid exceptionnel par laquelle on explique l’année bissextile dans la cosmogonie berbère, arrive Amenzou-n-Tefsut, le premier jour de printemps que nous avons coutume d’accueillir avec un rite particulier.Dans l’almanach amazigh, le printemps (Tafsut) est sans doute la saison la mieux suivie dans ses multiples transformations et ses mues successives. La nature sort des rigueurs de l’hiver (Tagrest). On célèbre l’ouverture de la vie sur un nouveau cycle. La chaleur du soleil féconde les graines cachées dans le sous-sol gorgé d’eau et les végétaux éclosent à nouveau pour couvrir la terre d’un tapis floral bariolé.Il est de coutume chez les Amazighs d’accueillir le printemps avec l’étonnement et la joie qui marquent les nouvelles naissances. Aussi organise-t-on pour la circonstance un dîner particulier dénommé Imensi-Tefsut. C’est un moment convivial fêté par le sacrifice de coqs fermiers, de poulardes et des chapons élevés pour l’occasion pour agrémenter le rituel couscous aux fèves dit Avissar. La tradition consacre à l’accueil de Tafsut, durant la matinée du premier jour, un ensemble de gestes répétés depuis des lustres rassemblés sous le vocable local Amagar tefsut.Les familles se rencontrent dans les prés pour y improviser des pique-niques, y organiser des jeux et surtout se rouler dans l’herbe Aglilez tefsut à la gloire des déesses de la nature fort nombreuses dans la cosmogonie berbère ! Ce geste qui scelle la communion avec la nature a perdu de son sens originel dans de nombreuses contrées du pays, où la rencontre avec Tafsut est encore célébrée.On se roule dans l’herbe pour y prendre les couleurs de la terre et du tapis végétal. C’est un peu comme l’abeille qui se couvre de pollen en plongeant dans la corolle de la fleur. La nécessité du contact charnel avec les éléments naturels est sans doute un besoin instinctif profond qui remonte à la surface de notre condition humaine par trop sophistiquée et trop rapide.De nombreux peuples s’adonnent à des rituels chargés de mystère de même essence. Le bain rituel dans l’eau glacée chez les Russes ou encore la fréquentation des sources thermales dans les pays du pourtour méditerranéen, relèvent de ce besoin primitif enfoui dans notre for intérieur.

Les dix mues de TafsutAprès le dîner d’ouverture et l’accueil coloré de Tafsut, la saison démarre par une période de dix jours dénommée Tizegwaghine (Les journées rouges) qualificatif en relation avec des crépuscules flamboyants durant lesquels,le soleil avant de se coucher derrière le dos des montagnes, met le feu aux nuages et le ciel de devenir pourpre durant un bon quart d’heure! C’est Lahmorega.Cette décade est suivie de Timgharine (les vieilles capricieuses) d’une durée de sept jours marqués par des changements de temps très rapides. Les quatre saisons défilent alors en une journée. On a droit aux averses de pluie ou de grêle, aux chaudes éclaircies, aux froids intenses ou encore à de brumeuses remontées de sable du désert.Du 17 au 22 mars, période dite Ledjwareh (les blessures) les bourgeons éclosent, les arbres caduques se couvrent de nouveau de petites feuilles pour fleurir ensuite. La semaine qui suit le bourgeonnement est dite Eswaleh (Les jours utiles) une durée de sept jours qui correspond à la nouaison ou formation des fruits sur les arbres. Arrivent alors Imheznen les sept jours tristes, les premières journées d’avril marquées par la timbale des cigales. La chaleur s’installe et de nombreux animaux connaissent leur période de rut.C’est la mue irréversible de la nature, même si Aheggan (le ciel bouché) avec ses 14 jours tire les dernières salves de froid, une période qui dit-on fait trembler les sangliers ! (Daheggan, yergagui yilef). Il fait très froid et sec. C’est une durée où les travaux sur les végétaux sont suspendus. Tiftirine (les cycles) consacre sur sept jours la sortie définitive de cette mauvaise période de l’Aheggan pour ouvrir sur les chaleurs du mois de mai ; Une semaine pastorale où les paysans soignent leurs animaux, sortent les nouveau-nés pour de longs bains de soleil et le contact avec la terre ferme, l’herbe et les fleurs des prairies ! Les pluies chaudes de mai durent 14 jours. Elles sont dites Nissen (Les eaux fécondes). Deux semaines d’averses entrecoupées d’éclaircies, des eaux dont le sol fissuré a tant besoin. Les sept journées vertes Izegzawen mettent fin à la floraison, certaines céréales forment leurs épis et les arbres arborent fièrement leurs fruits. Le printemps est alors bouclé par les sept journées jaunes Iwraghen.C’est le démarrage de la fenaison. Les paysans fauchent l’avoine, la vesce, la féverole avant de s’attaquer à l’orge. On entame le désherbage des prairies naturelles (Assouki) et des bocages. Bienvenue donc à Tafsut, saison féminine par excellence et ses capricieux et surprenants changements !L’été (Anebdu) démarre le 30 mai par les sept journées blanches Imellalen, durée du départ des troupeaux en transhumances. Les bouviers et les chevriers mènent des centaines de bêtes sur les lointains pâturages du haut Djurdjura. C’est naturellement une autre saison.

Rachid Oulebsir

Quitter la version mobile