Sortie de Tagujilt s yimawlan

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Il y a actuellement une abondance de productions poétiques en Kabylie. Avec la libération de la langue, les langues se sont déliées, en s’exprimant fortement avec un langage poétique que beaucoup apprécient. Farid Tairi, dit Hmana, n’a lui pas attendu l’officialisation de tamazight pour s’exprimer. Déjà en 1993, il s’était fait remarquer aux Poésiades de Béjaïa dont il avait obtenu le Prix Spécial. Depuis, les projets de publications n’ont pas cessé de traverser son esprit. Cette fois-ci, il en a fait aboutir un. Tagujilt s yimawlan (l’Orpheline avec des parents), est un livre de poèmes qui vient de sortir aux éditions Tafat. Il est dédié à la mémoire de Slimane Rahmani, écrivain-ethnologue, qui a consacré ses recherches et ses publications aux mœurs et traditions de la région d’Aokas, dont Farid est également originaire. Il n’oublie pas non plus de rendre hommage aux militants de la cause berbère, dont il a toujours fait partie. Avec une trentaine d’Issefra en kabyle et une dizaine de poèmes bilingues, dont le français et l’arabe, Farid Tairi sort du lot. On voit très vite que nous avons à faire à un poète d’un autre calibre. Le plaisir des mots ne sert que de prétexte à l’expression de pensées profondes, inspirées de la sagesse du terroir. Il exhume ainsi les traditions et les met en valeur au travers des textes relativement courts, qui n’imposent pas une lourde lecture, ni n’inspirent de sentiments négatifs. Agtit Ifireles (l’hirondelle), Amediaz, Amek ad nili, Anda llan, Arrac n ussirem,… sont autant de poèmes qui se lisent avec plaisir et qui nous renvoient à la fois à la sagesse ancestrale et expriment les questionnements et les pensées du poète. On y découvre aussi le subtil angle de vue des Issahlien, ces Kabyles de la région des Babors surplombant Béjaïa, avec cette particularité linguistique qui les distingue. Loin de rendre la lecture désagréable, elle donne une certaine musicalité aux poèmes, rendant la lecture plutôt entrainante, encourageant à aller de l’avant et lire la suite pour la découvrir. Selon Khaled Lemnouer qui a écrit la préface de ce livre, Farid Tairi «est l’un de ces aèdes des temps modernes qui sèment au vent des rafales pour calmer la tempête et réveillent les échos pour répercuter les silences.» Farid fait partie d’un collège invisible d’hommes de culture de talent. Il est entouré de philosophes, chanteurs, écrivains, tous aussi discrets les uns que les autres. On les rencontre dans les lieux de la culture, dont certains cafés sont devenus au fil des temps des points de rencontre. Passer un moment avec eux vous remplis de joie et vous emmène vers la profondeur du questionnement amazigh mis en lumière et décortiqué pour mieux en profiter. Le long de ces poèmes, on sent également l’effet du temps qui est passé. Ces trente dernières années n’ont pas manqué de marquer la poésie de Farid, sans pour autant porter atteinte à son essence : la culture amazighe. Cette dernière est omniprésente dans cette poésie, avec une dimension universelle évidente. Car l’amour, l’espoir, le ciel, la liberté,… n’appartiennent à aucune civilisation en particulier. Ou bien, si ! Ces concepts ont été revendiqués par toutes les civilisations et celle des Amazighs ne fait pas exception. Elle a même été un peu plus loin dans leur expression, puisqu’après des siècles de domination et d’écrasement, les Berbères, mieux que quiconque, connaissent le sens de la liberté, du combat et de l’espoir. Dans «Oh, pied, marche», traduit de tamazight par un autre poète, Abdelhakim Abdiche, on peut lire : Debout, pied, marche. Sans crainte ni frayeur. Qu’il soit hiver ou été. Jusqu’à atteindre la liberté. Ainsi, plusieurs des poèmes de Farid Tairi ont été traduits de tamazight vers le français ou l’arabe par d’autres poètes qui en apprécient la teneur. C’est aussi le cas, en plus d’Abdelhakim Abdiche, de Mouloud Tiakout, Mabrouk Senoune, ou Ali Messaoudi. Le livre de Farid Tairi a encore une autre particularité qui en fait un véritable outil pédagogique pour ceux qui souhaitent comprendre la poésie kabyle, c’est la présence d’un lexique à la fin de l’ouvrage, permettant de comprendre la richesse du vocabulaire qui habituellement fait la marque de grands poèmes. C’est donc un livre à découvrir, car il sort du lot.

N. Si Yani

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