Plusieurs membres des sections syndicales de l’EPH Mohamed Boudiaf de Bouira ont tenu un sit-in, hier matin, dans l’enceinte de cette structure hospitalière. Ils dénonçaient les conditions «misérables» dans lesquelles ils évoluent.
Ce sont le syndicat national des médecins généralistes de la santé publique (SNMGSP), le syndicat algérien des paramédicaux (SAP) et le syndicat national des praticiens spécialistes de la santé publique (SNPSSP) qui ont appelé à cette action de protestation, pour «interpeller» le ministre de la Santé et de la Population, ainsi que le wali de Bouira et d’autres responsables.
Dans une déclaration remise à la presse, les membres des trois syndicats affirment qu’en date de la réunion intersyndicale du 9 mai dernier, plusieurs problèmes ont été soulevés, en premier lieu celui lié à l’insécurité : «Notre établissement est dans une situation déplorable et critique vu la désorganisation et l’anarchie qui règnent dans l’ensemble des services et surtout au niveau des urgences. L’insécurité est un problème épineux auquel l’ensemble du personnel est confronté quotidiennement. Il est à noter que la majorité du personnel des urgences sont des femmes et qu’elles ont fait l’objet de multiples agressions verbales et corporelles. Et l’administration demeure muette devant cette situation», peut-on lire dans le document.
A ce sujet le docteur Mellouk témoignera qu’elle-même fut victime d’une agression le 23 mai à 14h : «Nous faisons notre travail avec dévouement et conscience, mais il nous faut un minimum de bonnes conditions de travail. Il faut que les médecins puissent travailler en toute sécurité. Moi, lors de mon agression, il n’y avait personne avec moi, heureusement qu’il y avait des paramédicaux pour prendre ma défense. S’il y a un manque d’agents de sécurité, pourquoi ne pas recruter ? Comment je peux assurer mon travail si j’ai peur pour ma vie ? On voit souvent arriver des gens qui exigent de nous de leur délivrer du valium et nous sommes seuls face à leurs névroses ! Et je ne suis pas la première à avoir été agressée, loin de là ce phénomène est devenu récurrent».
La praticienne soulèvera également un autre problème, et pas des moindres, celui de la pénurie de médicaments vitaux. Quant au docteur Ameziani, présidente du bureau de wilaya SNPSSP et chirurgienne généraliste, elle nous dira que le manque de moyens techniques s’ajoute au manque de sécurité et au manque d’hygiène : «On nous demande de prodiguer des soins de qualité et c’est vrai ce sont des soins que nous pouvons assurer, mais avec le manque flagrant de moyens techniques, c’est impossible. Nous souffrons d’un grand manque de médicaments, surtout les médicaments d’urgence, tels le Lasilix et le Netral que nous devons administrer en cas d’œdème aigu du poumon (OAP) et le HSC que nous devons injecter en complément de l’adrénaline pour les cas de détresse respiratoire comme l’asthme aigu et grave, l’œdème laryngé et le choc anaphylactique».
Les praticiens interpellent le ministre
Notre interlocutrice ajoutera : «C’est le cas aussi pour des médicaments à administrer en extrême urgence à des patients cardiaques. Pire encore, pour les urgences chirurgicales, on ne trouve même pas de gants alors qu’on travaille au contact de sang. On suture des plaies avec des boites non stériles et parfois il n’y a même pas de boites de suture et de matériel stérile pour soigner les malades. Moi je n’accepte pas de travailler dans ces conditions. Je suis un praticien de santé, je sais ce que ce danger représente. C’est une situation vraiment critique», regrette cette chirurgienne.
La praticienne tire une véritable sonnette d’alarme : «Je n’accepte pas d’utiliser le même porte-aiguille ou la même pince pour tous les malades qui passent aux urgences, sans que ces instruments ne soient stérilisés… Nous n’avons pas de chariot technique, sans parler du bloc opératoire et de l’instrumentation qu’on ne devrait même pas utiliser pour la chirurgie vétérinaire. Quand on demande du matériel, il faut attendre des années pour l’avoir ! Récemment, on a reçu des boites qui ne contenaient pas les bons instruments. Toute l’instrumentation de dissection manque alors que la chirurgie c’est la dissection !», déplore-t-elle.
Le manque au niveau du matériel radiologique est également soulevé : «Le manque de radiologues et d’échographie pénalise le praticien et le malade, nous n’avons pas d’échographie à l’hôpital… Les malades doivent faire des examens supplémentaires à l’’extérieur, des examens complémentaires payants». On apprendra par ailleurs que plusieurs médecins spécialistes (plus de 100) n’ont pas de logements de fonction.
«Il y a plusieurs spécialités qui manquent dans cet hôpital et les spécialistes ne viennent pas parce que notre administration ne fournit pas de logements de fonctions, alors qu’elle en fournit un à un agent d’administration qui de surcroit habite la ville de Bouira. Le médecin spécialiste doit parcourir des centaines de kilomètres de Chlef, d’Alger ou de Tizi-Ouzou pour venir à Bouira et si c’est pour y être agressé, alors…
C’est aberrant ! Ce qui explique le départ de 13 médecins généralistes qui ont démissionné et 4 autres qui ont demandé leurs mutations, sans parler des médecins spécialistes qui ont déposé leurs démissions car ne pouvant travailler dans de telles conditions. Il faut impérativement que les responsables améliorent les conditions de travail, nous ne sommes pas contre l’administration ou contre la population, on veut juste exercer dans un environnement sain.
Nous avons des ophtalmologues qui sont ici depuis deux ans, et ça ne fait que depuis quelques jours qu’ils ont commencé à travailler, parce qu’ils n’avaient pas de microscope ni d’autres moyens pour faire fonctionner leur bloc opératoire. Pareil pour nous autres chirurgiens car on ne peut pas faire toutes les interventions chirurgicales en manquant de matériel et le service de réanimation ne peut pas être maintenu 24/24h et 7/7jours. Donc toutes ces conditions poussent les médecins à partir. C’est une véritable hémorragie de médecins spécialistes ces deux derniers mois», se désole le docteur Ameziani.
Abordant le volet hygiène, qui n’est pas plus reluisant, les praticiens ne cachent pas leur exaspération : «On n’a pas d’agents chargés de la propreté à l’hôpital et le manque d’hygiène est flagrant dans tous les services. Le nettoyage se fait durant les horaires de travail et tous les accès aux services hospitaliers s’en trouvent bloqués», nous dira-t-on. Ces praticiens se sont rassemblés pour dire : «Nous n’acceptons pas ces conditions de travail humiliantes, dégradantes et dangereuses».
Ils disent «attendre de l’administration des mesures rapides et efficaces pour régler cette situation des plus critiques». Il faut souligner enfin qu’au cours de ce rassemblement aucun débrayage n’a été observé et que les services fonctionnaient avec la collaboration de tous le personnel médical et paramédical qui ont assuré leurs gardes.
Hafidh Bessaoudi