La préservation et la rentabilisation du patrimoine en débat

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Dans le cadre du Mois du patrimoine, une conférence a été organisée, récemment, par la direction de la culture de la wilaya de Béjaïa, à la bibliothèque principale de lecture publique, autour du thème «Patrimoine et écotourisme culturel». Ce sont deux architectes qui ont animé ladite conférence, le responsable du bureau d’études Fredj en charge de la restauration de la Qalâa d'Ath Abbas, et son chef de projet, Ali Pacha.

D’emblée, Toufik Fredj a souligné l’importance du tourisme culturel et son impact économique. «Comment les collectivités territoriales peuvent contribuer à la sauvegarde et au développement du patrimoine ?», s’est-il interrogé, «il s’agit de réunir l’ensemble des atouts qu’offre le site considéré». Les investisseurs, les collectivités et les habitants sont autant d’acteurs à prendre en considération, dira-t-il. Pour étayer son propos, le conférencier a donné quelques exemples d’expériences réussies dans le monde. «En Algérie, il n’y en a presque pas eu, si on exclut la région du Mzab qui a réussi dans le passé à drainer du monde en exploitant ses ressources culturelles dans le sens le plus large», précisera-t-il. Revenant sur le champ d’application du projet dont son bureau d’études a la charge, il a rappelé que la Qualâa est un secteur touristique depuis longtemps sauvegardé. Il a des potentialités naturelles et urbanistiques importantes. Les textes anciens racontent la vie à la Qualâa. Le village exerçait une certaine attraction sur toute la région. Il dispose de toutes les potentialités naturelles et humaines avec des percées sur la Vallée de la Soummam de par sa situation géographique. Le bâti vient en second lieu. Il faut le sauvegarder et le restaurer. L’art traditionnel peut être mis en valeur grâce à des gites et des maisons d’hôtes. La bijouterie, la dinanderie la tapisserie et les produits agricoles de la région pourraient être un moyen d’attirer les touristes. La mosquée Ibn Sahnoun date de 1510. Il y a aussi la maison d’El Mokrani, la Medersa, etc. Ils sont dans un état qui nécessite une intervention urgente. Pour réunir les fonds nécessaires, il faudra trouver des investisseurs qui acceptent de s’engager dans le cadre d’un partenariat public-privé. Il faudra également mettre à contribution les différents secteurs d’activités, tels celui de la jeunesse, de la culture, de l’éducation, du tourisme, de l’artisanat, de l’urbanisme, etc. Les architectes travaillant sur ce projet sont actuellement à la recherche de personnes disposant d’archives sur le site, afin de le restituer à l’identique. Plus de 3 000 personnes vivaient dans la Qalâa en 1865. Plus loin encore dans le passé, plus de 80 000 personnes y vivaient, dont 3 000 juifs. A titre comparatif, Béjaïa ne comptait que 2 000 habitants en 1830. Et l’organisation sociale était différente à l’époque. Pour assurer la réussite de ce projet, les conférenciers ont préconisé de l’inscrire dans le cadre d’un projet plus global, celui du développement rural. Il faudrait pour cela, impliquer les populations locales, notamment en collaboration avec les associations qui sont nombreuses dans la région. L’actuel plan de sauvegarde ne constitue qu’un garde-fou pour éviter la détérioration du site. Durant les débats ayant ponctué la conférence, plusieurs intervenants, essentiellement des architectes, des responsables d’associations et des amoureux du patrimoine, ont relevé les dégâts occasionnés par une certaine application des dispositions du Fonal. «Les octrois d’aides à la construction en milieu rural ne sont malheureusement pas accompagnés de recommandations précises», a-t-on déploré. Certains auto-constructeurs construisent sans prendre en considération la nature du site, en détruisant l’ancien bâti sans se rendre compte qu’ils portent atteinte au patrimoine. Il n’est en effet pas exigé d’avoir une autorisation de démolition, ce qui permettrait pourtant de vérifier la valeur patrimoniale de ce qui est à détruire. Il y a certainement un vide juridique qu’il conviendrait de combler au plus vite. A la fin de la conférence, les architectes ont recommandé de penser à l’après-restauration, pour définir le devenir des sites réhabilités. Quelle en serait l’utilisation et dans quel cadre ? Il faudra certainement prévoir à l’avance les outils et instruments qui permettront leur exploitation de façon rentable, tout en les préservant. Cette exploitation devrait être assez rentable pour créer de l’emploi et faire vivre des familles et générer suffisamment de fonds pour permettre l’entretien de ces sites et éviter qu’ils ne retombent en ruine. L’assistance a proposé de mettre l’ensemble de ces projets dans le cadre d’une politique culturelle globale, dépassant le cadre local, sans toutefois l’exclure. Le sujet est vaste et il est préconisé d’organiser, le plus tôt possible, des débats sur la question pour permettre de dégager les grandes lignes d’un projet global de préservation du patrimoine national et des conditions de son exploitation.

N. Si Yani

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