“Quand Noura était décoréé par Bourguiba…”

Partager

À cœur ouvert dans cet entretien, Kamel Hamadi, de son vrai nom Larbi Zeggane, revient sur ses débuts, son parcours et livre des détails sur ses nouvelles productions.

La Dépêche de Kabylie: Si on commençait par le commencement, un retour tout au début de vos 65 ans de carrière…

Kamel Hamadi : Je suis né sur les montagnes d’Aïn El Hammam. Jeune, je suis parti à Alger, pour poursuivre mes études. Mais finalement, le destin a voulu que je j’apprenne le métier de couturier. J’avais cette passion du chant dès mon jeune âge, ça grandissait avec moi, et, arrivé à un moment, je ne pouvais plus résister à l’appel de la musique. Ce qui m’a réellement aidé, c’est d’avoir rencontré des gens du milieu qui m’ont pris sous leur aile. Je citerai en particulier le défunt Boualem Rabia. C’était un brave monsieur, un comique et dramaturge.

En parallèle, une carrière commençait à la Radio, comment avez-vous atterri là-bas?

Au village, il n’y avait pas de chant, donc, quand je suis arrivé à Alger, à 14 ans, j’ai découvert Slimane Azem et Farid Al Atrach qui ont bercé ma jeunesse, j’ai rencontré Arab Ouzelag, qui m’a présenté à Abdelkader Fethi. Ce dernier voulait que je lui écrive des textes. C’est de là qu’il a commencé à chanter en kabyle. C’est donc grâce à lui que j’ai intégré la radio. Au départ, j’écrivais des paroles de chansons, puis des petits sketchs et je chantais avec des amateurs. J’ai commencé en 1952.

C’était comment la Radio à l’époque ?

C’était juste un petit espace, pas de gros moyens, les horaires de diffusions étaient limités. Pour me faire une place entre les grands artistes de l’époque, comme Mohamed Hilmi, Ali Abdoune et Rouiched, j’ai commencé avec les amateurs, une fois par semaine, avec chikh Nordine. Peu à peu, je commençais à écrire pour d’autres chanteurs: Mohamed Rachid, Karim Tahar, Ourida… avec le temps, j’ai acquis une certaine notoriété et la Radio est devenue mon chez-moi.

Vous faites partie de ces chanteurs qui ont chanté dans les deux langues : kabyle et arabe.

C’était un peu normal pour les gens de ma génération. Slimane Azem chantait en arabe, j’aime beaucoup le kabyle, j’ai d’ailleurs, avec mes chansons, incité les monuments de la chanson algérienne à chanter en kabyle: Hssissen, El Anqiss, El Anqa, Abderrahmène Aziz…

Vous avez travaillé avec beaucoup d’artistes, quels sont ceux qui vous ont le plus marqué?

Plus de 130 artistes ont chanté mes chansons. À commencer par Abdelkader Fethi, vu que tout a commencé avec lui, puis Mohamed Rachid, Youcef Abdjaoui, Karim Tahar, Ferhat Hamid et beaucoup d’autres.

Vous écrivez aussi pour la nouvelle génération …comment arrivez-vous à concilier les deux générations?

Avant que je ne sois chanteur, j’étais couturier, dans ce métier, on faisait du sur-mesure. Ce qui veut dire que chacun exprime ses besoins. Ceci dit, je n’écris pas pour n’importe qui, la majorité de ceux avec qui j’ai travaillé, je les connaissais, c’étaient mes amis, des proches, donc, je connais leurs répertoires, je sais ce qu’il leur faut.

Plus de 2000 chansons à votre actif…

Oui, 2 000 ont été chantées. Il en reste encore beaucoup qui n’ont pas été chantées. J’ai fait aussi beaucoup de sketchs, opérettes, et pièces de théâtre. Ma première opérette, d’ailleurs, je l’ai écrite à l’âge de 16 ans, je l’ai intitulée «Thedra Yidek à Si Meziane».

N’avez-vous pas pensé à regrouper le tout dans un livre ?

Si justement, c’est même concrétisé. C’est fin prêt. Il ne reste que les finitions, même les éditeurs sont disponibles.

Plus de détails sur ce projet ?

En fait, il s’agit de deux livres, pour le premier j’ai choisi 150 chansons avec leurs traductions. Deux chansons pour chaque chanteur, On y trouve à titre d’exemple des chansons de Hadj El Anqa, Abdelkader Fethi, Noura, Karima, Hnifa… J’espère que ça plaira au public.

Qu’en est-il du deuxième livre ?

Ah ! Celui-là c’est mes anecdotes, mes mémoires. Moi j’aime rire, l’humour fait partie de ma vie, je raconte ma rencontre avec Slimane Azem. Ainsi que beaucoup de moments que j’ai vécus avec Mohmed Hilmi, Rouiched, Abdoun… bref, plein d’humour (rires).

C’est pour quand la sortie?

Pour bientôt, disons dans six mois. Pour les deux livres ? Non, l’un puis l’autre à un intervalle de six mois peut-être.

Concernant la chanson, du nouveau peut-être ?

Il y a beaucoup de chansons, d’opérettes, de sketchs. J’écris toujours pour les anciens, mais pour les nouveaux aussi. Il y a du bon dans la nouvelle génération, qu’on se doit d’aider. Je travaille avec eux.

Quels sont les thèmes abordés dans les nouvelles chansons ?

Sincèrement, c’est très varié. Dans la vie, il y a tout: l’amour, les pleurs, les rires, les bons et les mauvais moments…

Si vous faisiez une comparaison entre les chanteurs de votre génération et ceux d’aujourd’hui, quel serait votre constat ?

La vie a changé, maintenant, si l’on écoute les chansons de Chikh El Hasnaoui, Allaoua Zerouki et les autres, on s’aperçoit que l’époque a changé. Ce temps-là avait ses problèmes, ses joies et ses pleurs. Mais aujourd’hui, ça a changé, cette époque aussi a ses spécificités et on s’adapte.

Vous avez évoqué quelques bons chanteurs de la nouvelle génération, pourriez-vous citer des noms ?

Oui, il y en a beaucoup sincèrement, Cylia Ould Mohand par exemple, Katia Aït Hamouda. Il y a des hommes aussi qui chantent bien.

Comment évaluez-vous la scène musicale kabyle actuellement, avec l’émergence de nouveaux styles musicaux ?

Même la scène musicale change, certains disent qu’avant c’était mieux qu’aujourd’hui. Je ne suis pas d’accord, chacun vit son époque. Aujourd’hui, il y a des moyens, un chanteur grâce à la technologie aux réseaux sociaux peut percer facilement, mais avant, ce n’était pas évident.

Avant, la chanson kabyle était un vecteur d’identité, c’est toujours le cas aujourd’hui selon vous ?

Avant c’était le temps du reniement identitaire, on ne pouvait pas s’exprimer librement et transmettre un message. On n’avait ni liberté ni champ d’expression, on ne pouvait pas s’exprimer dans notre langue maternelle. La chanson à l’époque jouait ce rôle justement, c’était notre seul moyen. Aujourd’hui, ce n’est plus vraiment le cas, il y a une certaine ouverture, les gens s’expriment, voire plus encore, insultent des fois en toute liberté, et la chanson a perdu un peu ce rôle qu’elle a incarné autrefois.

L’écrivain Mahfoufi, dans son livre «Chants kabyles» vous décrit: «Sa longue et prolifique carrière fait de lui un témoin exceptionnel de l’histoire de la chanson algérienne», qu’en dites- vous de cette histoire, telle que vous l’avez vécue ?

La chanson algérienne a évolué. Progressé ou régressé? Cela reste relatif comme je l’ai expliqué. Elle a changé et subi les évolutions de la société dans toutes les démentions. La technologie ne l’a pas épargnée non plus. J’ai la chance de vivre toutes ces périodes, cette évolution. J’ai connu beaucoup de chanteurs, de différentes générations. J’ai appris de chacun d’eux, je me suis forgé une expérience en côtoyant tout ce beau monde. Aujourd’hui, si je peux aider et transmettre tout ça aux jeunes, je n’hésiterai pas, je le ferai avec plaisir.

On ne peut parler de Kamel Hamadi, sans évoquer la défunte Noura…

C’est la mère de mes enfants, la grand-mère de mes petits enfants, on a vécu ensemble 56 ans. On s’est toujours respectés. C’était une bonne mère de famille, elle aimait ma famille, mes frères, mon père et ma mère. C’est moi qui l’ai introduite dans la chanson, c’était ma voisine. Tout le monde la respectait et l’aimait. Elle n’était pas Kabyle, mais au bout d’une année elle parlait kabyle comme tout le monde. Elle adorait les Kabyles.

Quels sont les moments qui ont le plus marqué la vie d’artiste de Kamel Hamadi ?

Les moments de succès naturellement, les prix obtenus dans les différentes festivités, comme le prix obtenu avec Noura, au Festival de la chanson moderne au Maroc. Noura a été aussi décorée par Bourguiba, un grand moment. Il y eut le prix de la meilleure interprète en Libye pour Noura, j’étais content.On m’a rendu plusieurs hommages qui m’ont touché ici en Algérie…

Les moments forts dans la vie privée de Kamel Hamadi…

Ce sont mes enfants, les jours de leurs naissances, ils sont éduqués comme je l’ai souhaité. Je les aime et ils m’aiment. Ils sont ma richesse.

Vos habitudes, ce que vous aimez ?

Je lis toujours, j’écoute de la musique, beaucoup même, j’aime l’amour, j’aime la beauté, j’aime la vie et les gens. J’aime le printemps, les fleurs, les belles mélodies et la poésie.

Vos poètes préférés ?

Si Moh Oumhand, Baudelaire, Lamartine, Khaldi…

Une chanson que vous écoutez souvent ?

Hamlagh Thamourtiw

Maintenant,quelques noms et votre commentaire ?

Ok !

L’Algérie ?

Mon pays, pour lui sont morts ceux que j’aime, je suis né le jour ou le drapeau algérien a flotté.

La Kabylie?

Mon âme, mon sang, c’est mon accent, plus de 60 ans loin du village où je suis né, mais où que je sois, quelle que soit la langue que je parle, on reconnait que je suis un kabyle de la montagne, et c’est ma fierté.

Noura ?

C’était mon bonheur.

Idir ?

Un chanteur qui a beaucoup apporté au kabyle, il a propulsé la chanson kabyle en dehors des frontières. Matoub Lounes ? Un chanteur engagé, paix à son âme. Il a beaucoup donné.

Aït Menguellet ?

C’est le poète, l’homme sage, celui qui, chaque fois, nous étonne avec ses produits et leur qualité.

Ferhat Mehenni ?

C’est un très bon chanteur, il a des chansons à textes et il est engagé. C’est un ami.

Pour conclure…

Je souhaite la paix pour l’Algérie, de vivre ensemble l’amour et la fraternité.

Entretien réalisé par Kamela Haddoum.

Partager