La jeunesse dépérit dans la vallée

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L'ennui, la monotonie, les longues soirées du Ramadhan, en plus de la disette culturelle acculent forcément les jeunes à raser les murs et beaucoup s'orientent finalement vers des «sports», devenus depuis quelques années leur passe-temps favori : les cafés, le net et les motocycles bruyants et incommodants.

Outre le chômage, l’oisiveté et l’absence de perspectives, les lieux de distraction, de loisirs et d’animation n’existent même pas dans certaines contrées de la wilaya de Béjaïa, à l’image de Barbacha, El Kseur, Chemini, Sidi-Aïch, Seddouk, Awzellaguen, Beni Maouche ou encore Akbou et Tazmalt. La vallée de la Soummam, en ce mois de Ramadhan, respire la désolation. Plaque tournante de toute une daïra surpeuplée et qui aspire toujours à s’élever au rang de wilaya, la ville d’Akbou n’offre rien en matière de distraction et de loisirs à ses enfants. En ces soirées du mois de jeûne, la ville grouille de monde. Les jeunes, pour “tuer” le temps, sont partagés entre les interminables parties de cartes et l’évasion sur le Net, à la recherche d’un “tuyau” pour l’eldorado. «On sort, on s’abrite dans les cafés du coin et beaucoup dans les cybercafés, seuls lieux pour passer notre temps», nous confie Hachemi, rencontré au quartier Guendouz. Nassim, qui se dépeint lui-même comme un chômeur éternel, nous dira : «Les lieux de distraction et les manifestations culturelles ? Il n’y en a point ici, ni ailleurs du reste. La seule destination possible, c’est soit le café soit le Net, le soir. On y plonge pour oublier et ne pas sombrer dans la déprime. Et puis, ne me parlez pas de distraction quand la majorité est sans travail. La rue est devenue notre seul lieu de distraction et de loisirs, notre seul lieu de vie carrément, jusqu’à l’aube». À Sidi-Aïch, aussi, la désolation se lit sur les visages des jeunes. «C’est pire que dans les grandes villes. Ici, on n’arrive même pas à se débrouiller des petits boulots. Pour les loisirs et les distractions, c’est de l’utopie. Les jeunes se contentent de parties interminables de dominos ou vont au cybercafé. C’est le train-train d’ici», argumente Moumouh, qui s’apprêtait à pénétrer dans le seul cyber du coin.

«Marche et dominos…»

Sur le tronçon El-Kseur-Awzellaguen et dans cette dernière ville, à l’instar d’autres, les lieux d’animation en ce mois sacré sont inexistants. Ici, le passe-temps privilégié des jeunes est encore et toujours Internet et les causeries dans les rues jusqu’à des heures tardives de ces nuits infernales et longues. Les cybercafés et les artères de la ville sont bondés jusqu’aux premières lueurs du matin par des “hordes” de jeunes. «C’est notre seul lieu pour rompre la monotonie, un lieu de ‘’harba’’. Qui sait ? Un jour, nous trouverons sur le Net ce moyen d’aller ailleurs ou quelqu’un qui pourra nous aider». Filles et garçons, dans ces contrées de la vallée de la Soummam, ne savent plus à quel saint se vouer devant les difficultés multiples rencontrées pour dénicher un travail stable. «Je suis diplômé depuis trois ans et mon calvaire continue. Pour les lieux de distraction, ce n’est pas la peine d’en chercher. Ici, il n’y a que les cafés et Internet qui « casent » les jeunes à la recherche d’un truc pour partir vers d’autres cieux. Ces derniers ne peuvent même pas se permettre de petites vacances, même au bord de la mer à Béjaïa», renchérit Rachid, à Seddouk, une autre localité frappée par la sinistrose. «L’Internet est la seule ouverture qu’ont les jeunes pour chercher une opportunité. Nos seules distractions sont la parabole chez nous ou les cafés. À part ça, walou, et personne ne s’en soucie», dira Amar. Mais la frange de la population qui souffre le plus de l’ennui mortel, ce sont incontestablement les femmes, cloîtrées chez elles et confinées aux travaux domestiques. Parfois, la maison de la culture organise des soirées musicales en faveur des familles et l’afflux est considérable et renseigne plus sur l’ampleur des frustrations. Pour en revenir aux loisirs offerts à la jeunesse, il faut savoir qu’il est très rare que des festivités soient organisées en dehors du chef-lieu de wilaya. Dans ces régions damnées, toujours faute de moyens financiers, des groupes de jeunes s’agglutinent dans les soirées de ce ramadhan autour des lampadaires, pour s’adonner aux jeux de dames et de cartes.

«Le net et le virtuel, des refuges à défaut de mieux»

Selon Dr Abdenour, psychologue, l’apparition de ces nouveaux phénomènes dans la société résulte du «chômage ajouté à l’inexistence de lieux de distraction et de loisirs, ce qui a engendré beaucoup de maux. Et le Net est un véritable refuge pour cette masse juvénile. Ces jeunes se heurtent à des blocages. Les profondes réformes économiques qu’a connues l’Algérie, ainsi que l’épisode de la tragédie nationale ont fracturé le tissu social et laissé une grande partie de la population dans le besoin et la précarité. Il s’agit plus que jamais de réfléchir, à présent, aux principales composantes de la question sociale en Algérie et, par conséquent, aux moyens politiques, financiers et techniques à mettre en œuvre pour que l’État, la wilaya, les communes et les associations citoyennes puissent se réengager avec volontarisme dans tout le dispositif opérationnel d’intervention sociale». Le paradoxe, durant ces soirées du ramadhan, les établissements sportifs de proximité et les centres culturels existant sur le territoire de la wilaya de Béjaïa, sont dans leur quasi majorité fermés. Un état de fait déploré par la masse juvénile. A Timezrit, Sidi-Aïch, Akbou ou encore à Seddouk, Amalou et Tazmalt, un vide sidéral règne, la vallée de la Soummam est «sinistrée».

T Mustapha.

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