21 juillet 2016, 21 juillet 2017, un an jour pour jour depuis que la petite Nihal Si Mohand, quatre ans et demi alors, avait disparu dans des circonstances qui demeurent, à ce jour, intrigantes. Le corps de la défunte avait été retrouvé quatorze jours après sa mystérieuse disparition, soit au soir du 3 août 2016.
Retours sur les lieux, un an après le drame : Un soleil de plomb fait grimper la température au fil des heures qui s’égrènent en ce jour du 18 juillet 2017. Il est 11h28mn. Le village d’Aït-Abdelouahab, perché sur les hauteurs de la commune d’Aït-Toudert, dans la daïra d’Ouacifs, est quasiment déserté par ses habitants. Sur la route qui relie le chef-lieu de la daïra au siège de la commune d’Aït-Toudert, la circulation automobile est faible. Il y a plus de véhicules qui montent que ceux qui descendent. Mais depuis le siège de l’APC jusqu’au village d’Aït-Abdelouahab, la route est quasiment déserte. Arrivés au village, il est quasiment l’heure à laquelle Nihal Si Mohand avait disparu : 11h30mn. Bien que nous soyons en avance de trois jours de la triste date du 21 juillet 2016, l’heure, les indicateurs météorologiques et l’atmosphère qui régnait ce jour-là sont quasiment les mêmes en ce mardi 18 juillet 2017. «On comprend mieux pourquoi personne n’a vu comment Nihal a disparu ou par qui elle a été enlevée», nous dira notre guide à qui nous avions fixé rendez-vous sur place. Pas une âme qui vive dehors. Aït-Abdelouahab est un village constitué de deux petits hameaux, l’un en haut surplombant le bourg et les vastes champs plats d’en bas, et l’autre, situé en contrebas de la route. Il est fait de quelques maisons éparses construites d’une manière hétéroclite dans un espace très réduit et parsemé d’oliviers et de chênes. Les olives et les glands sont les deux fruits les plus répandus en hiver dans ce village. Durant la saison des chaleurs, seuls les bergers y trouvent leur compte, sur les vastes champs et prairies qui s’étendent jusqu’aux limites administratives avec la localité des Ouadhias. Presque deux heures se sont écoulées depuis notre arrivée sur les lieux et personne n’a surgi des cinq ou six maisons qui forment ce petit hameau où Nihal avait disparu. La maison de ses grands-parents maternels est l’avant dernière de toutes les demeures construites par ici. Elle est cernée au sud par la demeure des cousins de la mère de Nihal, et par deux autres à l’Est et à l’ouest. Au nord, deux maisons désaffectées et une autre construite en surélevé bouclent l’espace habitable. Le tout est relié par une piste qui descend de la route jusqu’au champ d’oliviers qui donne sur les prairies d’en bas. C’est sur cette piste justement que les enquêteurs pensent que la petite fille a disparu ou a été emmenée par son (ou ses) ravisseur(s). En ce jour de grande chaleur, toutes les maisons sont fermées. Celle des grands-parents de Nihal, qui vivent à Tiaret, dans l’Ouest du pays, n’est visitée que très rarement, surtout depuis la tragédie, nous confie notre guide.
Les enquêteurs n’ont jamais cessé de revenir sur les lieux
Les souvenirs du drame sont toujours dans les esprits. Mercredi 3 août 2016. Vers 9h40, un jeune berger d’à peine 14 ans remonte la pente vers la route bitumée en courant et en haletant. Son chien venait de déterrer une robe maculée de sang. Le berger est sous le choc, il cherchait son père pour l’en informer. Très vite, les rares villageois présents alertèrent la Gendarmerie nationale. Celle-ci arrive en moins de dix minutes sur les lieux et boucle tout le périmètre. Ce n’est que vers 12h, et en présence du procureur d’Ouacifs, Foudil Takherroubt, que la police scientifique procéda à l’enlèvement de la robe. Il s’agit bel et bien de celle de Nihal. Le sang visible sur cette robe fit immédiatement craindre le pire. Vers 16h30, les doutes vont se dissiper : les gendarmes qui ratissaient, pour la énième fois, les lieux, découvrirent ce que personne n’osait imaginer : le corps de Nihal Si Mohand est découvert non loin d’une cabane, dans l’oliveraie en contrebas du village. Un corps quasiment déchiqueté au point de faire penser que la petite a été dévorée par des animaux. La découverte du corps et la mort de la petite fille furent officiellement annoncées, le lendemain, par le procureur d’Ouacifs, en présence des parents et proches de la victime, des médias et de quelques villageois. Le 7 août, un dimanche aussi chaud que les jours d’avant, une foule très nombreuse accompagne le corps de la petite Nihal à sa dernière demeure, à Oran. Comme à chaque enterrement d’un enfant tué par des ravisseurs, l’application de la peine de mort contre les auteurs est réclamée par la foule. Mais depuis, aucun suspect avéré n’a été arrêté par les services de sécurité qui ne cessent d’investiguer dans l’une des plus complexes affaires de disparition d’enfants en Algérie. «Les enquêteurs n’ont jamais cessé de revenir sur les lieux», nous dira notre guide. «Parfois, ils viennent accompagnés d’éléments de la police scientifique reconnaissables à leur uniforme blanc», ajoute-t-il. Et de poursuivre : «Quand ils viennent en nombre, on peut voir de loin la file de leurs véhicules stationnés au point de jonction entre la route bitumée et la piste qui donne sur les champs. Dans les champs, on pouvait aussi voir les gendarmes en train de chercher à l’œil nu ou parfois en utilisant un appareil que je ne saurais vous décrire. Les voyant ainsi s’activer dans cette immensité de prairies, l’on ne pouvait que se dire qu’ils cherchaient une aiguille dans une botte de foin», nous confie encore notre guide.
Un drame parasité par les rumeurs
Depuis le deuxième jour de la disparition de Nihal, le flot des rumeurs n’avait jamais cessé. Il y a eu même de très farfelues selon lesquelles la fillette aurait été enlevée par un animal sauvage. Mais après la découverte du corps, d’autres rumeurs ont circulé, colportant des soupçons portés sur telle ou telle personne, ou encore des perquisitions qui auraient été opérées dans certains endroits ou chez des personnes susceptibles de détenir des indices. La très forte mobilisation des gendarmes dans les opérations de recherches, qui ont néanmoins connu une pause à la veille du mois de Ramadhan dernier, et la persévérance d’une dizaine de gendarmes de la section recherche et investigation n’ont toutefois pas permis, à ce jour, de dénouer l’affaire. A en croire des sources au fait de l’affaire Nihal Si Mohand, une personne sur laquelle pèsent de réels soupçons a tenté de se suicider, au printemps dernier, en se sectionnant les veines du poignet, révèle une source sans donner plus de détails. Evacuée par la Protection civile vers un établissement hospitalier, nos sources affirment que la personne en question n’a, depuis, plus été revue. «Je ne peux vous dire si elle a été admise dans un établissement psychiatrique à Alger ou si elle est entre les mains des enquêteurs», ajoute notre source. La personne en question, toujours selon nos sources, serait celle-là même qui avait fourni aux enquêteurs quelques indices qui se seraient, par la suite, avérés infondés. Par ailleurs, le plus troublant dans cette affaire, qui continue de donner du fil à retorde aux enquêteurs, est cette lettre qu’aurait reçue le père de Nihal, quelques semaines après l’enterrement de sa fille, dans laquelle l’auteur, qui l’aurait rédigée en arabe, demanderait, dit-on, « pardon d’avoir assassiné votre fille». A en croire nos sources, les enquêteurs ont immédiatement convoqué la centaine de personnes qui avaient fait le déplacement de Ouacifs à Oran pour assister à l’enterrement. Elles ont toutes subi une expertise en écriture. Les enquêteurs d’Oran ont également fait subir le même test aux personnes résidant dans cette wilaya et qui ont un lien direct ou indirect avec la famille Si Mohand, dira encore notre source. Du côté des enquêteurs, rien n’a filtré hormis les déclarations publiques du chef du groupement de la Gendarmerie nationale de Tizi-Ouzou qui, dans son dernier point de presse tenu en mai dernier, a confirmé la piste de l’enlèvement suivi d’assassinat, selon le rapport qui lui a été remis par l’Institut national de criminologie et de criminalistique de Bouchaoui. Quant aux chargés de l’enquête, ils affirment qu’«à ce jour l’enquête se poursuit», et de souligner que «le dossier ne sera pas clos tant qu’il n’est pas totalement résolu, sur instruction des hauts responsables de la Gendarmerie nationale». Refusant bien naturellement de dire plus que ces deux déclarations, les enquêteurs reconnaissent la complexité de l’enquête dans une affaire totalement dépourvue de témoins directs.
Saïd Mendil.