Tizi-Ouzou n’a pas dérogé à la règle cette année, en décrochant, pour la neuvième fois de suite, la première place aux examens du baccalauréat, même si cette fois l’administration centrale a, semble t-il, préféré ne rendre publique aucun classement par wilaya. La raison serait justement d’éviter la polémique que suscite ce classement qui consacre à chaque fois Tizi-Ouzou sur la plus haute marche du podium. Cette année encore, on ne voit mal en effet une wilaya autre qui dépasserait les 71,82% de taux de réussite décroché par Tizi-Ouzou. Et comme chaque année, d’aucuns se posent la question sur le secret de cette réussite. Si certains n’hésitent pas à parler de «résultats politiques», d’autres y voient le résultat d’efforts collectifs. «Maintenant, je comprends parfaitement pourquoi, vous les Kabyles, vous investissez dans l’éducation de vos enfants. Votre région est faite de reliefs très difficiles et inadaptés à l’investissement économique, c’est pourquoi vous êtes champions dans l’enseignement». Ce constat, plein d’éloges à s’y méprendre, est celui d’un inspecteur de l’Education nationale venu d’Alger rencontrer ses collègues de Tizi-Ouzou. Il faut dire que la suprématie des élèves de la wilaya de Tizi-Ouzou, tous paliers et niveaux confondus, dans les examens nationaux de fin de cycles (5e, BEM et baccalauréat), fait jaser le reste des wilayas du pays. Chose somme toute naturelle, vu l’emprise, sans partage, des élèves de Tizi-Ouzou sur les trois examens, depuis près d’une dizaine d’années. Et tout laisse à penser que ça va encore durer, tant la cadence est bien huilée chez les élèves, leurs parents et aussi chez le corps enseignant de la wilaya qui savoure sans modération les excellents fruits de son labeur. D’aucuns sont d’ailleurs réconfortés, cette année encore, par ce neuvième succès, le septième de suite, quant au classement en tête de la wilaya de Tizi-Ouzou. Les résultats affichés depuis mardi dernier ont crée des milliers d’éclats de joie et quelques centaines de déçus. La déception de n’avoir pas été reçu au baccalauréat est un dur sentiment d’échec qui affecte et le candidat malheureux et ses parents. Ces derniers vont jusqu’à culpabiliser de n’avoir pas rempli pleinement leur rôle dans l’éducation et le suivi de leur rejeton. A Tizi-Ouzou, plus que dans les autres régions du pays, les parents déboursent sans compter pour la scolarité de leurs enfants. Ceci est d’autant vrai qu’un syndicaliste du secteur de l’éducation nationale a révélé au chef du syndicat Satef : «Le Kabyle, quand il se fait de l’argent, le débourse dans l’éducation et l’épanouissement de ses enfants, nous les autres Algériens, si on se fait de l’argent, c’est pour quadrupler les épouses». Cette observation, au point de vue sociologique, informe, on ne peut plus clairement, sur l’une des raisons qui font des élèves de la wilaya de Tizi-Ouzou des champions sans partage dans les résultats scolaires. Certes, en individuel, les meilleures moyennes obtenues par les élèves reviennent aux autres wilayas, mais la particularité pour Tizi-Ouzou réside dans le nombre de reçus aux différents examens. Cela démontre aussi que l’effort ainsi que l’objectif de réussite dans les études sont partagés par l’ensemble de la population et ne sont pas l’apanage d’une ou de deux familles nanties. Les ingrédients d’une réussite scolaire ne relèvent pas d’une potion magique de prestidigitateurs ou nécromanciens reclus dans des cabanes dans les forêts de la Kabylie. «Les ingrédients de la réussite se font en classe et dans les foyers», insiste Boualem Amoura, secrétaire général du Satef. Ce dernier cite, entre autre, les conditions de travail dans les établissements scolaires qui «se sont nettement améliorées ces dernières années, à l’instar du nombre d’élèves par classe, par exemple». Le syndicaliste affirme que «depuis quelques années, nous ne connaissons plus de phénomène de surcharge dans les classes de terminale, notamment des filières mathématiques et sciences exactes». Pour M. Amoura, cela offre du confort et de l’aisance aux élèves et aux enseignants pour travailler sereinement.
La triche aux examens, un vrai faux prétexte pour dénigrer
Revigorés par la facilité d’apprentissage des langues étrangères, les élèves de la wilaya de Tizi-Ouzou en particulier trouvent en ces matières un tremplin pour «arrondir» leurs notes aux examens. «Les langues étrangères aident beaucoup nos candidats dans les examens», confirme Boualem Amoura, en sa qualité d’enseignant du secondaire. Celui-ci balaie, néanmoins, d’un revers de la main l’idée selon laquelle les élèves de Tizi-Ouzou seraient boostés par les notes qu’ils obtiennent en tamazight, car ils sont les seuls à être concernés par cet examen. «De l’ostracisme du système éducatif ?», s’interroge avec dérision le chef du Satef. Et d’expliquer que « la note de tamazight ne pèse pas autant que les autres matières sujets à examens, puisque son coefficient n’est que de 2». L’implication, mais aussi l’engagement, des parents dans la scolarité de leurs enfants est un secret de polichinelle à Tizi-Ouzou. Si les papas s’impliquent un tant soit peu, les mamans triment même en plein froid pour mener leurs progénitures vers la réussite. Du point de vue social, l’engagement de la maman est perçu comme un besoin de voir son enfant réussir et lui épargner les longues années de chômage dans une région à très faible investissement économique. Sur le plan psychologique, la maman n’accepterait pas que sa voisine ait un enfant qui réussit mieux que le sien, alors toutes les femmes se mettent en concurrence. «Je rends hommage aux mamans, car ce sont elles qui travaillent dehors, et le soir venant, elles font à manger à leurs enfants et les aident à faire leurs devoirs en même temps. Ce sont elles aussi que nous voyons accompagner leurs enfants devant les écoles. Elles aussi qui attendent avec stress devant les centres d’examens», dira Boualem Amoura, se référant, d’après lui, aux longues années d’observation de ce phénomène au lycée technicum d’Azazga. L’enseignant et chef de fil du Satef ne décolère pas pour autant contre «les accusations fallacieuses qui veulent faire croire qu’on laisse tricher dans les examens». «Je vous garantis qu’il n’y a pas plus stricte, lors des examens, qu’à Tizi-Ouzou. Les surveillants ne se laissent pas faire et les corrections des copies se font dans d’autres wilayas», souligne notre interlocuteur. Celui-ci, ne mâchant pas ses mots, révèle : «des candidats au BEM dans la wilaya de Tébessa ont été induits en erreur par des fausses réponses qui leur ont été écrites sur le tableau, dans la perspective d’une triche collective, en vue de booster les résultats de la wilaya». Pire encore, selon ce syndicaliste, «le ministère de l’Education nationale a ordonné l’ouverture d’une enquête dans cette même wilaya pour un autre fait grave impliquant un député qui a molesté et menacé le secrétaire général de la direction de l’Education de Tébessa après que son neveu a été pris en flagrant délit de triche au bac et renvoyé de la salle d’examen». Autant vous dire, «la triche aux examens est l’apanage d’autres régions, faute d’être à cheval durant le cursus scolaire», poursuit-il.
Mohand-Arezki Temmar