«Le sort de la Guerre d’Algérie se joue en Kabylie» (Magazine Paris-Match). Le 22 juillet 1959, l’armée coloniale française déclenchait l’opération Jumelles pour dévaster la Wilaya III avec des forces gigantesques évaluées à 60 000 hommes.
Une Wilaya déjà très éprouvée par la perte de son chef charismatique, le colonel Amirouche, le 29 mars 1959, ainsi que les ravages et les épurations dans ses rangs causés par la guerre psychologique menée par les tristement célèbres Capitaine Léger et le colonel Godart, ce qui est connu par le complot des «bleus». Depuis l’arrivée du général de Gaulle au pouvoir, celui-ci accorda à l’armée les pleins pouvoirs et un renforcement des équipements militaires et des effectifs très importants. «Pour faire la paix, il faut préparer la guerre», dit l’adage. Partant de ce principe et sachant pertinemment que l’indépendance de l’Algérie s’inscrit dans le cour de l’histoire, surtout avec la création du gouvernement provisoire de la république algérienne GPRA et la reconnaissance de la cause algérienne par l’ONU une année auparavant, le général, en fin stratège, chercha d’abord à affaiblir et à diviser la rébellion pour pouvoir négocier en position de force et imposer ainsi des accords qui seront en faveur de la France. Il utilisa pour cela tous les moyens politiques, économiques et militaires dont il dispose. Il confia l’armée au général Challe, considéré comme le fleuron des officiers de l’armée coloniale, afin de préparer une stratégie de dernier recours: c’est ce que l’on appelait les opérations Challe. Il s’agit des opérations «Étincelles» (pour le Hodna) en août 1959, «Courroie» (Ouarsenis) automne 1959, «Cigale» (Sud algérois) juillet 1960, «Jumelles» (Kabylie) le 22 juillet 1959, «Flamèche» (Boussaâda-Msila) juin 1960, «Couronne» (Est oranais) le 6 février 1959, «Trident» (Les Aurès) le 4 octobre 1960 et «Pierres précieuses» pour le Nord-Constantinois, le 6 septembre 1959, qui seront déclenchées progressivement et méthodiquement. Les noms donnés à de telles opérations par les «hauts stratèges français» sont évocateurs par leur violence, leurs massacres collectifs, leurs bombardements. Ceux qui les ont vécus, que ce soit les Moudjahidine ou les civils, sont restés traumatisés du point de vue tant physique que psychique. Leurs nuits étaient, pendant longtemps, hantées par le cauchemar de la mort.
Déluge de feu sur la Kabylie
Cette opération avait pour but de séparer les moudjahidine de la population, suivant la doctrine de Mao «l’eau et le poisson», en d’autres termes la population est l’eau et le poisson est le maquisard. Ôter la population aux moudjahidine ou les priver de tout appui logistique signifie leur isolement et leur fin inéluctable. Les couper de la population et les affamer afin de les obliger à sortir de leurs tanières comme des chacals. Pour cela, des zones interdites ont été créées et des populations regroupées dans des camps de regroupement fortifiés, entourés de barbelés avec des postes d’observation et des caves et des sous-sols où l’on pratiquait la torture pour extirper le moindre petit renseignement. Ni femmes, ni enfants ne sont épargnés. Pendant ce temps là l’armée rasait et ratissait les villages et les moindres petits buissons. Un déluge de feu s’est abattu sur les villages et les forêts. Pour cela, l’occupant a eu recours aux trois armes mais c’est surtout les Léopards (les parachutistes) qui ont joué le rôle prépondérant. À partir de juillet 1959, ces bérets verts héliportés commençaient à pleuvoir sur le massif d’Akfadou. Après chaque pilonnage des villages par l’artillerie, combiné à des bombardements aériens, apparaissait les redoutables commandos de chasseurs, appelés les soldats de Balboa, qui achevaient à la mitrailleuse tout ce qui restait de vivant dans les villages. La furie destructrice de la soldatesque coloniale n’épargna ni femmes, ni enfants, ni vieillards, ni malades et même le bétail fut décimé. La Wilaya III historique essuya de lourdes pertes au point que des femmes ont pris la relève. Elle perdit les deux tiers de ses effectifs. Le sacrifice de ces hommes et femmes ne doit pas être oublié car ils ont arrosé la terre de ce pays de leur sang et c’est grâce à eux que l’Algérie a arraché son indépendance.
I. M.