Arezki Tifaoui n’est plus

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Autodidacte ayant écumé tous les lieux du savoir qu’il a croisés sur sa route, notamment les bibliothèques, Arezki Tifaoui, romancier et poète, est décédé, mardi dernier, à l’hôpital Krim Belkacem de Draâ El-Mizan, après quatre jours d’hospitalisation. Il fut enterré le jour même au cimetière Sidi Boubkeur de son village. Dda Rezki, comme aiment l’appeler ses amis et les habitants de son village Tafoughalt, dans la commune d’Aït Yahia Moussa, s’est éteint à l’âge de 78 ans, après avoir lutté contre plusieurs lourdes maladies. Depuis son retour au village après avoir passé une grande partie de sa vie à Alger et quelques années en France, il s’était installé définitivement parmi les siens. Séparé de sa femme et loin de ses enfants, il se réfugia dans l’écriture. Il publia son premier roman en 2010 «La cyclique des temps », aux éditions Richa Elsam. Une œuvre qui lui valut une notoriété et d’être invité dans de nombreuses manifestations culturelles dans la région. Il en profita pour promouvoir le développement local et la transmission de la culture et du savoir aux jeunes générations. Dans son petit village et sans grands moyens, il créa avec des jeunes une association humanitaire dénommée «Tasuta n’Fughalt». Malgré son état de santé fragile, il était de toutes les animations culturelles. Il avait écrit deux autres romans. «Les deux romans sont achevés. Il ne reste qu’à les éditer. Mais comme vous savez, nos éditeurs sont trop exigeants. Après l’expérience de mon premier roman, je n’ai plus envie de m’approcher d’eux. Ce sont tous des commerçants. Même si on édite à compte d’auteur, on est arnaqué», nous avait-t-il déclaré lors de l’une de nos entrevues. Reste à espérer que les deux romans soient un jour publiés à titre posthume. «Nous osons espérer que l’un de ses enfants vienne au pays et édite ces deux romans», nous a confié un de ses amis intimes. Peu avant son hospitalisation, il disait aux jeunes de son village : «Je n’ai pas eu la chance d’aller à l’école, c’était la guerre. Je puis vous assurer que les études sont la clé de la réussite». Un ami du défunt nous dira l’amour de Dda Rezki pour l’écriture et la littérature. Il évoquera notamment deux de ses textes parus dans le numéro «1» de septembre 2010 de la revue trimestrielle de Tasghunt b’Mugud de l’association culturelle Amgud de Draâ El-Mizan. Ils avaient pour titres «Maîtres, valets et sbires» et «L’héritage fatal». Deux réflexions pleines de sens. Dans le premier texte, il avait écrit en conclusion : «Dans un monde archaïque et arriéré, la vie est difficile à vivre même si on a de quoi se nourrir quotidiennement !». Et dans le deuxième, en guise de chute : «Il aurait été souhaitable que des voix d’intellectuels et connaisseurs en la matière se lèvent pour crier à l’insensé et à l’aberration», alors qu’il écrit au début du papier : «S’il y a un héritage fatal, c’est bien le traditionalisme et l’atavisme ! Les peuples qui ne se libèrent pas sont prisonniers des temps stagnants, par conséquent, ces peuples sont dépassés dans le temps et dans l’espace, ils ne suivent l’évolution du monde qui avance qu’à la traîne !». Il avait également écrit dans le N°00, janvier 2009, de la même revue, un article titré «Tifawtine». Il y dit notamment : «Les tares qui régissent la société kabyle sont la négation même qui ronge cette dernière de l’intérieur comme une carie dentaire !». Il conclut son écrit : «La maintenance dans l’ignorance de leurs femelles et la domination du mâle créent des situations conflictuelles inextricables qui bloquent leur propre évolution civilisatrice. Cependant, il est vrai que des femelles ignares causent plus de mal qu’une épidémie des maladies célèbres !». On retiendra aussi de lui ce poème titré «Plaidoirie d’un crucifié !» paru dans la même revue. Là Dda Rezki s’adresse directement au Destin : «Oh cruel Destin !/ Qui m’harcèle sans cesse / Ton somptueux festin / Ce sont mes peines et souffrances». Avant de le conclure après six quatrains de mots bien ciselés : «J’ai frappé à maintes reprises à ta porte/ Mon fol espoir espérant une réponse/ Seul un ennemi peut être traité de la sorte». On citera aussi «Les peuples à travers les temps» paru dans le N°03 et «Le Martyrologue de Tafoughalt» paru dans le N°02 de février 2011, un hommage à la résistance de son village durant la guerre de libération nationale et à ses 156 martyrs. Dda Rezki n’était pas seulement écrivain mais aussi un membre actif dans le comité de son village «Tadukli n’Tfughalt» dans lequel il joua un rôle important dans la réunification des neuf djemaâs que compte ce village de plus de cinq mille habitants. La jeunesse du village dit retenir de lui le message d’un visionnaire et d’un sage.

Amar Ouramdane

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