Site icon La Dépêche de Kabylie

Quand les villageois passent à l’action…

Les villageois d’Ibekarène, dans la commune de Bouzeguène, à plus d’une cinquantaine de kilomètres à l’Est du chef-lieu de la wilaya de Tizi-Ouzou, viennent de faire preuve d’une leçon de mobilisation, d’engagement et de vivre ensemble.

Grâce à leur solidarité et leur engagement de faire de leur village un lieu où il fait bon vivre, les habitants, sous la direction de leur comité de village, ont réussi à montrer que lorsqu’on veut, on peut ! Comptant quelque 2 000 habitants, ce village a, en effet, réussi le défi de réaliser plusieurs projets grâce aux dons des émigrés et des habitants. Le visiteur, qui se présente dans ce village, est vite accroché par la beauté et la propreté des lieux, mais surtout par le bon accueil réservé. Des jeunes filles et garçons vous accueillent avec un large sourire et des expressions de bienvenue. En somme, l’hôte est vite mis à l’aise. Lors des festivités organisées du 9 au 11 août dernier, l’ensemble des villageois, hommes, femmes, jeunes et moins jeunes, se sont mobilisés de fort belle manière, pour réussir les activités prévues, dont l’inauguration de stèles en hommage aux martyrs du 28 septembre 1958 et du monument des chouhadas. L’ambiance festive et le partage ont, faut-il le reconnaître, marqué l’événement.

Ibekarène, les hommes qui se lèvent tôt ?

Pour revenir à l’origine de l’appellation du village, l’on dit que ce nom est donné au patelin parce que ses hommes et ses femmes se lèvent tôt, pour vaquer à leurs préoccupations. D’autres pensent que le nom d’Ibekarène a été donné par le saint Sidi Amar Oulhadj, et il est, de ce fait, en rapport avec «Idhekarène». D’autres, en revanche, prétendent que le nom Ibekarène est attribué au village uniquement par rapport au relief accidenté de la bourgade. Cette dernière se situe, en effet, au pied de l’Akfadou et fait partie de l’arch d’Ath Yedjar et de la tribu des Ath Handella. Cette dernière totalise plus de 2 000 habitants, dont une bonne partie vit à l’étranger, plus particulièrement en France. La première spécificité de ce village est, sans doute, son organisation autour d’un comité de village représentatif, gérant le quotidien des habitants par un règlement intérieur voté et accepté de tous. C’est de cette manière que les villageois continuent d’affronter tous les problèmes et de dépasser tous les obstacles et aléas de la vie. Par là le respect des membres du comité de village et la légendaire Tajmaât est un comportement adopté. Comme au bon vieux temps, Tajmaât et son règlement y sont toujours de mise. Autrefois, c’était ainsi dans tous les villages de la Kabylie, où chaque hameau était toujours une petite république qui s’autogérait et ne recourait que rarement au jugement de l’administration, notamment pendant l’ère coloniale. Un système qui a fait ses preuves par le passé et qui continue de le faire au sein des villages qui en font toujours appel. D’aucuns pensent que ce mode d’organisation est un exemple que les villages de la wilaya doivent adopter, pour aller de l’avant et faire reculer la violence, les maux sociaux et les conflits qui rongent la société kabyle. «Win urnassin adyars abernus, adimuqel ar aamiss», dixit un adage kabyle, c’est-à-dire, celui qui ne sait mettre un burnous n’a qu’à regarder son oncle.

Des projets réalisés par les villageois

Grace à leurs dons et à leur contribution financière, les Ibkarène ont pu réaliser plusieurs projets indispensables au développement et à l’amélioration de leur cadre de vie. Dans le secteur de l’adduction en eau potable, les villageois ont, ainsi, pu capter une vingtaine de sources et réalisé une adduction d’AEP de 10 kilomètres et un réseau de distribution de 4 km. Ils ont également réalisé 2 réservoirs d’eau, respectivement, de 100 et 50 mètres cubes. 18 fontaines publique ont été, également, réalisées et entretenues régulièrement. Dans le domaine de l’assainissement, les villageois ont concrétisé un tronçon de 4 kilomètres. Au chapitre travaux publics, ils ont ouvert, sablé et bétonné plusieurs ruelles vicinales. Des dalots et des confortements ont été également réalisés par les bras et les moyens des villageois. Le chapitre sport et culture n’a pas été oublié, puisqu’une aire de jeux et le terrassement d’un stade combiné de proximité ont été réalisés, en sus de l’extension et l’aménagement du foyer de jeunes. Les monuments historiques, les placettes du village et les lieux de cultes ne sont pas restés en marge, puisqu’une stèle de chouhada et une autre dédiée aux martyrs du 28 septembre ont été construites et inaugurées, justement à l’ouverture des festivités organisées du 9 au 11 août. Un monument Imazighen, l’aménagement de Tajmaât, la placette et la mosquée du village ont été aussi effectuées. Les villageois ne comptent pas rester en si bon chemin, souhaitant contribuer à l’émergence du bien, de la fraternité et du vivre ensemble. Ils aspirent aussi à tisser de bonnes relations avec les villages voisins et œuvrer ensemble à l’émergence d’idées innovatrices, pour la prospérité de toute la région, en conformité avec les valeurs humaines universelles.

Les festivités et l’inauguration des stèles

La première stèle inaugurée fut celle d’Elmeinsra, commémorant les massacres du 28 septembre 1958. La France coloniale ayant appelé au referendum qui excluait l’indépendance de l’Algérie n’a pas été du goût des Algériens et des Algériennes, qui ont alors appelé au boycott du referendum. Les Ibekarène n’ont pas failli à la règle. Les femmes de ce villages se sont rassemblées au lieu dit Elmeinsara, criant à gorge déployées : «Nous ne voteront pas !». L’armée coloniale avait, dès lors, jeté sa répression sur les femmes du village en les arrosant de grenades et de tirs nourris, faisant trois mortes et des dizaines de blessées. A l’inauguration de la stèle, la troupe locale a simulé la scène, générant beaucoup de tristesse parmi les présents, certains n’ont pas manqué de verser de chaudes larmes. Le secrétaire général de la wilaya Tibourtine Azzedine et le P/APW Mohamed Msela n’ont pas manqué de saluer le courage et la bravoure des villageois pendant la révolution, en les encourageant à poursuivre leurs efforts pour plus de développement, d’union et de fraternité. En procession, les invités et les villageois se rendirent ensuite au monument des chouhada pour son inauguration. Après l’entonnement de l’hymne national et l’observation d’une minute de silence, le monument a été inauguré. Par la suite, les multiples expositions ont été visitées, ainsi que le musée du chahid. A rappeler que les festivités se sont poursuivies jusqu’avant-hier vendredi, avec des activités artistiques, théâtrales et culturelles. Le stade de proximité, la placette Avrah et la stèle Imazighène et la superbe cascade ont été aussi inaugurés avec la présence de plusieurs générations des militants de la cause amazighe.

Kamel Tarwihth, le pivot, l’enfant chéri du village…

C’est dire que c’est une grande dynamique qui s’est emparé de ce village grâce à son comité, à ses villageois unis comme un seul homme, mais aussi à un élément un peu particulier, cet enfant du patelin, de son vrai nom Touat Abdelkamel. Kamel Tarwihth, puisque c’est de lui qu’il s’agit, issu de cette bourgade, a été en effet le pivot autour de qui quasiment toutes les festivités ont été mises en place. Il a dans la préparation et de l’organisation de l’événement du début jusqu’à la fin. Il a aussi été pour beaucoup dans ce ballet des personnalités qui ont afflué sur le village, durant ces journées de festivités, dont Younès Aadli, Farid Ferragui, Kamel Igman, Brahim Tazaghart, Djamel Zenati, Oulahlou, le maire de Tizi-Ouzou, M. Aït Menguellet, des anciens joueurs de la JSK, dont Iboud, Balahcène, Lamri,… pour ne citer que ceux là. L’enfant chéri du village a été pleinement engagé dans ce chantier qui a fait sortir Ibekarene de l’anonymat. Dès cette semaine il prévoit le lancement de son autre chantier à savoir la mise en place des bibliothèques populaires itinérantes dont la cérémonie d’inauguration est prévue au chef-lieu de Bouzeguène.

Reportage de Hocine Taib

Quitter la version mobile