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Un oublié de l’histoire en Kabylie

Dans cet article, je relate une partie des péripéties d’une insurrection oubliée, voire inconnue de notre histoire. En effet, hormis quelques bribes qu’on peut glaner ici et là dans des documents disparates, on ne trouve aucune étude d’ensemble consacrée au combat de Mouley Mohamed Bouaoud en Kabylie.

Par Ahmed Kessouri

L’essentiel des informations contenues dans cette étude, je l’ai donc puisé dans des écrits anciens et des documents d’archives français : rapports et comptes rendus militaires, et écrits, dont la plupart sont l’œuvre d’officiers français des bureaux arabes : N. Robin, J. Bourjade, E. Daumas, Pélissier de Renauld… Pendant trois années pourtant (de mai 1845 à mars 1848), Mouley Mohamed Bouaoud mènera un combat sans relâche contre l’armée coloniale française et ses alliés locaux, dans les régions de la grande et de la petite Kabylie (de Bouira jusqu’à Jijel et Collo). Grande figure de la résistance anticoloniale donc, il mérite amplement une place, dans notre histoire, aux côtés des grands résistants de son époque : Bouziane, Boubaghla, Boumaaza, Fathma N’Soumer, Ben-Salem, Bouchareb, Mouley Brahim…

Un lieutenant de Boumaaza

D’abord, une remarque: depuis le premier en date, l’Émir Abdelkader, tous les chefs de la résistance populaire contre le colonialisme français se sont adossés à une croyance très ancrée dans la tradition musulmane du Maghreb, communément connue sous le nom de «Moulessaâ» (L’homme de l’heure), c’est-à-dire le sauveur, qui ne serait qu’un homme béni et maraboutique que la providence enverra un jour pour délivrer la population du joug colonial, d’où les surnoms de «Chérif» et «Mouley» que se sont donnés presque tous les chefs des mouvements insurrectionnels qu’avait connus l’Algérie durant le 19ème siècle. Le colonel Nil Robin écrivait dans une de ses notes: «Depuis le moment où nous avons mis, pour la première fois, le pied dans la grande Kabylie, jusqu’à la conquête définitive de 1857, les chérifs ont été, pour ainsi dire, en permanence dans cette belliqueuse région. Le premier d’entre eux est Mouley Mohamed Ben Abdallah, surnommé Bouaoud». Les parents de Mohamed Bouaoud sont originaires de Tafilalt dans le Sud marocain. Quant à lui, on entendra parler de lui pour la première fois dans le Dahra, lors de la révolte de Boumaaza à laquelle il avait pris part avec son compagnon Mohamed Boussif (issu des mêmes origines), ainsi qu’à sa participation aux batailles livrées par l’Émir Abdelkader et son khalifa Ahmed Ben Salem dans la Mitidja. Il est souvent présenté dans les écrits français de l’époque sous les traits d’un homme jeune (27 ans), intelligent, brillant cavalier mais avec des allures autoritaires et un caractère emporté et violent.

Bouira, début

de l’insurrection

La première étincelle de l’insurrection de Mohamed Bouaoud est partie le 5 mai 1845 de Dirah, dans le Sud de Bouira, et cela a deux explications : L’appel de ses anciens amis dans la région, avec lesquels il n’avait jamais coupé le contact, à savoir Ahmed Ben Salem, Mohamed Bouchareb, Mouley Brahim et Mohamed Boussif, tous des chefs de guerre connus dans la région et avec lesquels il avait combattu lors des grandes batailles menées par l’Émir Abdelkader, dans la Mitidja, après l’interruption du traité de la Tafna (1839), ou à l’occasion de la révolte de Boumaaza dans le Dahra. Ensuite, il y a ses attaches familiaux dans les Aït Laâziz, dans la région montagneuse de Bouira (c’est ici d’ailleurs qu’il laissera femme et enfants, à la fin de son combat, à son expatriation vers la France en 1848, et c’est dans cette localité justement qu’on trouve aujourd’hui encore une partie de sa descendance). Le colonel Robin, par contre, donne une autre explication, pour le moins étonnante, sur ce point : «Pendant un moment de répit que nous a laissé son chef (Boumaaza), il (Bouaoud) avait fait un essai de soumission auprès du commandant de la subdivision d’Orléans ville (Chlef actuellement). Mécontent de l’accueil qu’il avait reçu et qu’il n’avait pas trouvé proportionné à son importance personnelle, il s’était évadé au bout de 24 heures. Accompagné de quelques cavaliers qui avaient suivi sa fortune, il avait entrepris, poussé par Bouchareb, de relever pour son propre compte le drapeau de l’insurrection», racontera-t-il. Mohamed Bouaoud avait, donc, des appuis certains dans la région. Quant à la préparation du coup d’envoi de l’insurrection à partir du Dira, elle s’est faite avec le concours de deux personnages au moins : Mohamed Bouchareb et Mohamed Ben Kouider, tous deux travaillaient pour l’Émir Abdelkader dans la région. Les trois hommes vont mener ensemble une grande campagne pour faire rallier les chefs de tribus et recruter des hommes pour mener le combat. Mohamed Bouaoud s’est vit entouré d’un nombre important d’hommes, qui provenaient des tribus du Djebel Dira, de Ouannougha et des Adaoura, puis s’en suit un défilé de caïds et de chefs de familles venus se joindre à lui. Un rapport militaire de l’époque raconte l’incident qui avait précipité les hostilités entre Bouaoud et l’armée française : «Un jour alors qu’il était chez les Ouled Sellama, le caïd des Ouled Barka, Si Lakhdar Ben Ali et le caïd des Ouled Bouarif, Belkacem Ben El Aldja, vinrent se présenter à lui pour lui faire leur soumission. Dans le camp de Bouaoud se trouvaient des ennemis personnels de Si Lakhdar ; ils le dénoncèrent comme traitre et demandèrent qu’il leur fut livré. Mohamed Bouaoud l’abandonne à leur vengeance ; ils le tuèrent lâchement et lui tranchèrent la tête. Le caïd des Ouled Bouarif fut mis aux fers».

Le combat de Djouab

Le général Marey, commandant de la subdivision de Médéa ayant eu connaissance des événements du Dira et du soulèvement des tribus locales, fomenté par la présence de Bouaoud, envoie aussitôt, à Guelt-Errous dans les Ouled Meriem, un goum de 100 cavaliers et 25 spahis sous les ordres de Ben Yahia Ben Aïssa, khalifa de l’Agha de l’Est, pour arrêter les progrès de l’insurrection en attendant qu’il aille lui-même sur les lieux avec une colonne. Mohamed Bouaoud qui venait de s’installer à Aïn Hazem, se résolut à attaquer le goum. Le 17 septembre 1845, il arrive au milieu de la nuit devant le camp de Ben Yahia, mais ce dernier avait été prévenu par un espion et il était sur ses gardes ; il avait laissé les feux allumés sur l’emplacement du camp pour tromper Bouaoud, et il avait fait embusquer ses cavaliers à quelque distance, dans les terrains boisés. Bouaoud ne trouva donc personne à Guelt-Errous, alors il se jeta sur la Ferka des Ahl El-Oust de la tribu des Djouab, et c’est là qu’éclata un combat qui dura toute la nuit. Ben Yahia et ses cavaliers qui ne pouvaient plus faire face, avaient pris la fuite et furent poursuivis par Bouaoud jusqu’à la Ferka de Louennas (Louanaissia), et le combat se poursuivit jusqu’au matin. Onze hommes de Ben Yahia furent tués, une partie des Djouab furent razziée, mais Ben Yahia était parvenu à s’échapper. Le général Marey était sorti de Médéa à la tête d’une armée de 2 650 hommes. En plus de quelques goums convoqués, il se mit en marche contre Mouley Mohamed Bouaoud, qui se dirigea vers Bouira, puis il gagna les Aït Laâziz, où il installa son camp. Il était accompagné de Bouchareb et quelques temps après, il fut rejoint par Mouley Brahim envoyé par Si Ahmed Ben Arous, marabout vénéré de Médéa, qui avait une branche de sa famille dans les Aït Laâziz.

A. K. (Suivra…)

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