Elle ne rate aucun samedi, jour de marché à Bouira. Elle ne rate d’ailleurs, aucun autre jour de marché des localités de la wilaya. A en croire sa frimousse, son âge ne dépasserait pas les 25 ans et est plutôt mignonne avec son foulard qui ne semble fonctionner que comme un outil de travail. Dès neuf heures, sa voix satine amplifiée par un mégaphone s’élève au dessus du brouhaha. Une voix féminine, dans un univers exclusivement masculin pluriel laisse, pour ainsi dire, sans voix. Elle capte forcément l’attention des imsewken. D’une manière convaincante, la jeune femme loue les vertus des produits du terroir (essentiellement des plantes et autres potions) qu’elle commercialise et qui sont censés guérir beaucoup de maladie. Mais, dans un premier temps, c’est sa voix qui attire foule de badauds venues assouvir sa curiosité formelle. Cette foule finira vite par être envoûtée par la démagogie, au sens étymologique, de la jeune femme. Maîtrisant parfaitement l’arabe et ce qu’il faut de kabyle, elle surf entre poésie, coran et hadiths. Elle s’aventure même, de temps à autre, dans l’univers scientifique pour définir, maladroitement, le rhumatisme, l’arthrose, l’état de fébrilité et autre maladies «rentables». Si toute son argumentation ne convainc pas, elle dessinera un sourire allant droit au…porte-monnaie.Il faut noter que la jeune herboriste, contrairement à ce que le contexte masculin pluriel pourrait suggérer, se sent tout à fait dans son élément.Au-delà de cette intrusion féminine dans le monde des hommes que d’aucuns pourraient trouver singulière, une jeune herboriste dans un souk d’habitude réservé aux mâles est aussi la preuve que la femme et loin de constituer un «mal».
T. Ould Amar
