»Son œuvre est à l’origine des recherches sur les mathématiques au Maghreb »

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La Dépêche de Kabylie : Pourquoi un colloque sur Ibn Khaldoun ?ll Djamil Aissani : Durant toute l’année 2006, un certain nombre de conférences et d’expositions seront organisées à travers le monde (Maroc, Tunisie, Egypte, Afghanistan, U.S.A., France,…) pour commémorer le 600e anniversaire de la mort du sociologue et historien maghrébin Ibn Khaldoun (mort le 17 mars 1406). Considéré comme l’un des plus grands penseurs de tous les temps, il est revendiqué tout à la fois par différents spécialistes qui le considèrent comme le père fondateur de leur discipline.L’Algérie également va accorder un intérêt particulier à cette célébration mondiale, car Ibn Khaldoun a vécu et travaillé dans différentes régions de notre pays : Tlemcen, Biskra, Frenda,…. Une première journée d’étude a d’ailleurs déjà été organisée le mois passé à la Bibliothèque nationale El Hamma et des colloques sont programmés pour les mois de avril et juin à Tiaret, Alger et Constantine. La manifestation « Ibn Khaldoun à Béjaia : L’homme politique, le savant, l’enseignant », programmée pour le mercredi 15 mars à 09 heures est co-organisée par différentes institutions de la ville de Béjaia (wilaya de Béjaia, A.P.W. de Béjaia, APC de Béjaia, Direction de la culture, Direction des affaires religieuses, Direction du tourisme, association Gehimab Béjaïa (coordination), circonscription archéologique, Parc national de Gouraya, Club scientifique de recherche opérationnelle, Association El-Waghlissi, Comité de village de Sidi-El-Hadj-Hessaine, S/B de l’Association des ulémas, Théâtre régional de Béjaia, S/B de l’Association El-Alawiyya, Club de spéléologie,…). Elle constitue une contribution de la ville de Béjaïa à cette grandiose célébration internationale. Comment pouvait-il en être autrement? Ibn Khaldoun n’a-t-il pas vécu plusieurs années à Béjaïa ? N’a-t-il pas écrit sur les Berbères, sur notre pays, sur notre cité et sur ses savants ?

Quel est le programme de ce colloque ?ll Le comité chargé de l’ élaboration du programme a donné une orientation stricte et originale à cette manifestation. Les quatre volets retenus sont les suivants : conférences grand public au Théâtre régional de Béjaïa, visite guidée de la Mosquée d’Al-Qasaba dans laquelle a exercé et professé Ibn Khaldoun, lancement de l’appel à communication pour le colloque « Ahmed Ben Idris – Wedris, maître d’Ibn Khaldoun » (septembre 2006), Rihla (visite) à Sidi El-Hadj Hessain (Chemini). Ce personnage était un contemporain d’Ibn Khaldoun à Béjaia.Les organisateurs ont décidé de mettre à l’honneur les écoles et les enseignants. C’est pourquoi nous avons décidé de relancer deux compétitions créées lors du Colloque International « Béjaia et sa région à travers les siècles » : le prix Ibn Hammad 2006 : créé en 1997, vise à stimuler l’intérêt des lycéens pour les érudits de l’ancienne Béjaïa et sa région, et le prix Saldae 2006 : créé aussi en 1997, vise lui à inculquer aux collégiens une culture de préservation des sites et monuments

Pourquoi les mathématiques ?ll Tout simplement parce que c’est l’accessibilité de l’œuvre d’Ibn Khaldoun au milieu du XIXe siècle qui a été à l’origine des premières recherches sur les mathématiques médiévales du Maghreb. Ibn Khaldoun s’était perfectionné en mathématique à Tunis auprès du mathématicien de Tlemcen Al-Abili (mort en 1356). Ce dernier avait séjourné à Béjaia vers 1352. Le chapitre de la “Muqqadima” sur les mathématiques montre qu’Ibn Khaldoun connaissait les principaux ouvrages de mathématiques maghrébines de l’époque : le “Fiqh Al-Hisab” d’Ibn Mun`im, le “Raf Al-Hijab” d’Ibn Al-Banna, le “Kamil” d’Al-Hassar,… Ibn Khaldoun nous fournit de multiples informations sur les relais de la connaissance mathématique jusqu’à son époque : « le premier qui écrivit sur l’algèbre est al-Khawarizmi, après lequel vint Abu Kamil ». Ainsi, en parlant du mathématicien de Bougie Al-Qurashi, Ibn Khaldun affirme que ce dernier a rédigé l’un des meilleurs commentaires du traité d’algèbre du mathématicien égyptien Abu Kamil sur les six problèmes [canoniques].

Pouvez-vous nous rappeler en quoi consistait le séjour d’Ibn Khaldoun à Bougie ?ll Deux périodes de la vie d’Ibn Khaldoun se rattachent à Bougie. Entre 1352 et 1354, il y effectue plusieurs séjours de quelques mois. Il quitte la ville pour Fès car le Sultan fait appel à lui pour faire partie des réunions de savants devant discuter de questions scientifiques. Il y revient en 1365 à partir de l’Andalousie. Son ami, l’Emir Abd Allah de Béjaia l’avait fait venir pour exercer les fonctions de Hadjeb – premier ministre. Dans son autobiographie, Ibn Khaldoun décrit en quoi consiste cette fonction : diriger l’administration de l’Etat et servir d’intermédiaire entre le souverain et ses grands officiers. En même temps, Ibn Khaldoun avait des contacts soutenus avec les savants de Béjaia et assurait des cours à la mosquée d’Al-Qasaba. La question de son départ en1366 est un élément important du débat.

Plusieurs pays honorent Ibn Khaldoun comme un des leurs. A Béjaia, rien ne rappelle que cette éminente personnalité y ait vécu, y ait enseigné et y ait exercé plusieurs fonctions. Quel est l’appel que “Gehimab” peut lancer aux autorités pour qu’il reprenne la place qui est la sienne ?ll Effectivement, cette situation n’a pas de sens. Elle ne concerne d’ailleurs pas seulement Ibn Khaldoun, mais également tous les hommes et les femmes de Béjaia (et sa région) dont la contribution au développement de la connaissance est manifeste. En 1997, parmi les activités annexes au Colloque international « Béjaia et sa région à travers les siècles : Histoire, Société, Sciences, Culture », un certain nombre de baptisations avait été proposé par le comité d’organisation (présidé par M. le wali de Béjaia). 07 noms avaient été retenus : le penseur Ibn Khaldoun pour le Lycée Route de Sétif, le mathématicien italien Léonardo Fibonacci pour le C.E.M. les Concessions, la ville Palma de Majorque pour une ruelle attenante à l’Hôtel des postes, l’historien Ibn Hammad pour l’esplanade d’Aamriw, le géographe Al-Idrissi pour une école de Sid Ahmed. Nous avons obtenu l’autorisation de la Direction des Moudjahidines. Ces propositions avaient été avalisées par une réunion spéciale de l’exécutif de wilaya et une délibération de l’APC avait même été signée. Au dernier moment, l’administration s’est rendue compte que suite à une directive, tous ces endroits avaient déjà été dénommés et qu’il fallait également des autorisations spéciales des ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères pour les noms d’étrangers. Je précise ici que c’est le Colloque de 1997 qui a fait connaître le séjour bougiote du président portugais Manuel Texeira Gomès. Un projet de jumelage avec Portimao (Portugal) avait été préparé. M. Raiche, ambassadeur d’Algérie au Portugal s’était déplacé dans cette ville et le wali de Béjaïa avait reçu un émissaire spécial du maire de Lisbonne. Par ailleurs, le film de Lagounne – Cherabi avait été tourné pour l’exposition universelle de 1998. Finalement, la seule concrétisation a été la dénomination de l’esplanade d’Aamriw du nom de l’historien Ibn Hammad. Après le Printemps noir, la plaque d’identification n’a pas été replacée.

Interview réalisée par B. Mouhoub

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