Même s'ils parlent un français correct, on peut les reconnaître à leur voix. Eux, ce sont des retraités algériens, notamment de la Kabylie, établis en France. Ils y passent, a-t-on constaté, le reste de leur vie entre nostalgie et dépit.
De Paris, Salim Haddou
A l’exemple de ce trio de nonagénaires rencontré dans un jardin de la ville de Boulogne, relevant du département des Hauts De Seine. «Je reviens de mon village Aït Itchir, situé près de Tizi Gheniff, que je n’avais pas visité depuis cinq ans. Mais je n’ai pas grand chose à vous raconter, mis à part les fêtes auxquelles j’ai été invité», dit l’un d’entre eux. Ses deux amis l’ont tout de même religieusement écouté. Rien de plus normal. En terre étrangère, nos compatriotes sont fort avides de tout connaître sur leurs villages. Ils ont vécu plusieurs décennies dans l’Hexagone, mais ils confessent avec dépit qu’ils ne peuvent retourner en Algérie. Le vieux narrateur poursuit : «Dieu Le Tout-Puissant sait ô combien j’aimerais terminer mes jours là-bas au Bled, mais je crains de perdre moult avantages». Pour Boukhalfa, notre interlocuteur, ses deux amis et pour des milliers d’autres encore, il y a moins de difficultés de ce côté-ci de la méditerranée. «Ce qui nous retient, c’est cette possibilité d’accéder facilement aux soins, souvent sans prise de rendez-vous», a tenu à souligner un autre intervenant. Et d’enchaîner : «Vous savez, en vieillissant, l’on souffre souvent de plusieurs maux, comme le diabète, la cardiopathie ou l’insuffisance rénale, et ici en France, il suffit au malade de présenter sa carte vitale pour effectuer des analyses au niveau d’un laboratoire de qualité». L’on nous apprend, en outre, que ceux percevant l’allocation chômage, allant de 400 à 700 euros selon le nombre d’heures travaillées, et même les migrants au noir, ont droit à une prise en charge sanitaire, notamment par le biais des multiples associations humanitaires. Au fil de la discussion, ces trois émigrés kabyles, anciens ouvriers à l’usine Renault, ajouteront qu’en tout cas, leurs enfants refusent en bloc d’aller vivre dans le pays de leurs parents. «Pour eux, être binational, c’est déjà être Français», lance Arezki, qui s’était tu jusque-là. «Et puis, pour mon cas personnellement, mes parents sont morts et je n’ai plus d’attaches dans mon douar d’Ath Messaoud, près de Timezrit», ajoutera-t-il, précisant qu’il n’a pas revu le pays depuis une vingtaine d’années. L’aîné de ses huit enfants, lui aussi né ici, est lui même père d’une famille de cinq membres. Ses deux autres compagnons, eux aussi des grands-pères, diront : «Notre jeunesse, nous l’avons passée dans le travail à la chaîne à l’usine Renault. En comparaison avec les ouvriers des mines de charbon, nous nous estimions heureux à l’époque. Tous, nous fredonnions alors des vers de Cheikh El Hasnaoui, de Slimane Azem… «Dha ghriv dha verani dhi thmoura Em-meden», on en a passé du temps avec tout comme avec d’autres titres de clui-ci, de celui là… de Dahmane El Harrachi «Ya rayah ouine m’sefar, trouh taaya oua twelli». Mais, hélas, nous ne pouvons retourner au pays pour y mourir», concluront nos interlocuteurs, avec tristesse. «Mais c’est sûr que c’est là bas que j’ai envie d’être enterré. Sur les terres de nos ancêtres…
S. H.

