Par Mohamed Bessa
Avec cette histoire d’effacement de la dette russe contre une commande en armement, le pouvoir semble bien avoir enfin mené une bonne affaire. Pour cette fois-ci, ils peuvent même décrocher, le très sérieux éditorialiste d’El-Moudjahid et son sirupeux collègue hebdomadaire de l’Unique. Tchin-tchin, le bon champagne ne se recommande pas !Cela mérite qu’on festoie d’autant que, comme tout le monde, on n’a plus souvenir de cette dernière fois où nos gouvernants ont donné motif de satisfaction. Car, il ne faut surtout pas croire que parce qu’on se drape du costume sobre de la dignité ministérielle ou parce qu’on sautille comme un pinson dans celui des compétences d’expert, qu’on est forcément intelligent. Un industriel, qui a tout l’air d’être pertinent, est allé jusqu’à traiter de » cons » ceux, ministre et sherpas du département du commerce, qui ont négocié l’accord d’association avec l’UE dont l’entrée en matière s’était soldée par une inflation aussi brusque que paradoxale. Il est arrivé qu’on phantasme, longtemps, sur des formules de concessions avec les opérateurs étrangers avant de se rendre enfin à l’intuition du dernier cul-terreux du douar le plus reculé du pays en optant pour le financement public des projets d’autoroute Est-ouest, du métro et de l’aérogare d’Alger. Qu’on plonge les foyers dans le noir pour enfin restituer à Sonelgaz l’initiative de l’investissement productif. Les convertis du néo-libéralisme redoublent de sophistications pour exorciser leurs passés de bureaucrates-dirigistes et font comme ce polytechnicien qui concluait à la surdité de la puce à laquelle il venait de couper les pattes parce qu’elle se refusait, malgré de bruyantes exhortes, à faire le moindre mouvement. Il est arrivé que l’on fasse d’un pays ouvert aux plus généreuses promesses, un véritable enfer sur terre. Le couronnement qui a été mis en scène à l’occasion de la visite du président Poutine à Alger marque un succès rigoureux des capacités de négociations nationales. Avec cette froide et lointaine Russie, l’histoire aura puissamment suppléé à la géographie. Outre l’héritage affectif des bonnes années d’errements » socialistes « , l’Algérie avait déjà trouvé une issue à l’embargo international qui la cernait, pour l’acquisition des armes nécessaires à la lutte antiterroriste, chez ce pays trop englué, lui aussi, dans sa crise de transition pour se formaliser de quelque » droit-de-l’-hommisme « . Quant à la France, elle a tout le temps de méditer sur les renâclements de cette histoire qui lui fait passer sous le nez les occasions que tout, par ailleurs, destine à sa portée.
En 1997, dans le sillage d’un colloque sur l’histoire, les autorités avaient bien envisagé de baptiser certains édifices des noms de quelques hommes illustres qui ont eu un vécu bougiote. Une liste-cible est vite établie. La direction des moudjahidine consultée, l’APC vote une délibération et une réunion spéciale de l’exécutif de wilaya parachève le tout. Ne restait plus qu’à établir une bijection avec les quelques prestigieux noms dont la marche s’était, à un moment ou un autre, porté sur Béjaïa.Mais, il y eut néanmoins un » mais « . Ecoutons le Pr. Aissani, animateur d’un auguste pôle d’universitaires voués à la recherche sur l’histoire des mathématiques, qui intervenait, dans ces mêmes colonnes, dans le cadre d’un dossier consacré au VIe centenaire de la mort d’Ibn Khaldoun. » Au dernier moment, explique-t-il, l’administration s’est rendue compte que suite à une directive, tous ces endroits avaient déjà été dénommés et qu’il fallait également des autorisations spéciales des ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères pour les noms d’étrangers « . Oh, mince alors ! Sauf grave autisme ou gouvernance de type off shore, il est curieux qu’il ait fallu attendre un » dernier moment » pour que toutes ces responsabilités se rendent enfin compte que des édifices qu’elles passent en revue quotidiennement avaient déjà été baptisés. Et qui les auraient donc baptisés sinon elles-mêmes ? Mais, bon… A-t-on sollicité ces fameuses autorisations de ces gigognes ministères de l’Intérieur et de l’Extérieur ? On ne le sait pas trop mais on apprendra, par contre, qu’un grand carrefour de la ville avait été, première nouvelle pour les Bougiotes !, baptisé du nom d’Ibn Hammad. Ce dernier étant, comme par hasard, le seul à avoir eu la bonne inspiration de naître dans les limites de l’actuel territoire algérien. Il est bien évident que dans notre urbanité SNP où poussent des » cités des 1OOO logements « , des » Bâtiments C » et autres » CEM base 07 « , les opportunités de baptême ne manquent pas. Passe pour Fibonnaci, mais El Idrissi et Ibn Khaldoun qui a pourtant poussé jusqu’à devenir Premier ministre du gouvernement de Béjaïa ? Ainsi des soucis de nationalité étroite ont prévalu au reniement symbolique de ces deux personnalités nées l’une à Ceuta, l’autre à Tunis. Symptomatiquement, un géographe et un historien. L’histoire s’est bien souvent chargée de faire et défaire la géographie, de rapprocher ce que celle-ci a éloigné et inversement. A Béjaïa, on ne le sait désormais que trop.
M. B.
