Il faut s’armer de beaucoup de patience, et surtout de bottes en caoutchouc, en cette période hivernale, pour passer son véhicule auprès des ingénieurs des Mines de la wilaya de Bouira
De la patience pour supporter l’attente dans une file interminable de véhicules qui s’accumulent durant toute la matinée et qui, parfois, passent la nuit sur place. Les bottes en caoutchouc serviront en sortant du véhicule pour s’entretenir avec les ingénieurs des mines qui exercent au beau milieu d’un dépotoir, entre des canettes de bière, des immondices de toutes sortes, des déchets de poulets et même des excréments ! Si pour les déchets solides, un coup de balai suffit, il n’en est pas de même pour les odeurs nauséabondes qui règnent en ces lieux. À 9 heures du matin, les ingénieurs ont déjà commencé leur expertise. Pas moins de 240 véhicules ont été comptés et ce nombre inclut uniquement les véhicules stationnés à partir du rond-point menant vers la bretelle d’autoroute allant vers Béjaïa. Plus de 200 voitures, camions, tracteurs, motos sont stationnés, à droite de la chaussée menant vers le centre-ville de Bouira. Pour ces derniers, aucune chance de passer devant l’ingénieur. Il leur faudra retenter leurs chances un autre jour. «Je suis sorti de chez moi à 2h30 du matin, mais je ne suis pas sûr de passer, aujourd’hui», s’adresse un habitant de Takerboust à l’un des automobilistes qui était devant lui. En effet, selon les multiples témoignages recueillis sur place, les tentatives sont nombreuses avant de pouvoir obtenir la fiche contrôle validée par le service des Mines.
Nombre insuffisant d’ingénieurs pour parer au flux
Depuis le transfert de l’activité minière, en général, le service des mines de la direction de l’Energie vers la direction de l’Industrie, en 2015, l’on comptait 7 ingénieurs dont un chef de service. Quatre ont été admis en retraite et il en restait 3. Les trois restants ont été transférés vers la direction de l’industrie en janvier 2015. Depuis cette date, et à ce jour, le nombre de véhicules à expertiser, par jour, n’a cessé d’augmenter et ce pour plusieurs raisons. En premier lieu, l’arrêt des importations de véhicules par les concessionnaires, du moins une réduction sensible des importations de véhicules, et la situation risque de perdurer même en 2018. La deuxième raison demeure le nombre insuffisant de cadres au sein de ce service des mines. On apprendra que seuls 5 ingénieurs sont disponibles, avec un chargé du service, une ingénieure chargée du bureau des mines et carrières, à savoir gestion des explosifs, gestion des carrières, le suivi de l’activité minière et des carrières en général et trois autres ingénieurs chargés de l’activité de contrôles de véhicules réglementaires et les APG et APV (pression de gaz et de vapeur). Ainsi, sur les 5 jours de semaine ouvrables, les trois ingénieurs font le circuit en procédant à l’expertise des véhicules le lundi, mardi et mercredi. Le dimanche et le jeudi sont réservés pour l’accueil des agents des 45 communes pour le traitement des dossiers acheminés vers la direction des Mines afin de pouvoir établir les cartes grises. Il y a donc un travail de bureau administratif qui se fait en parallèle au cours des journées de dimanche et de jeudi. Egalement, il y a des interventions au niveau des entreprises de Naftal chargées d’installer les kits GPL sur les véhicules, et il en existe 5 à travers le territoire de la wilaya. «Sur les 5 centres, il faut une répartition rigoureuse. Pour chaque entreprise, nous devons leur réserver une journée et dès fois, nous leur réservons une demi-journée pour pouvoir en faire deux centres au cours du même jour. Cette situation est due à l’insuffisance de cadres, car on ne peut pas recruter, on ne peut pas transférer les deux ingénieurs qui se trouvent au niveau de la direction de l’Energie puisque ce sont deux secteurs différents. D’où le cumul d’activités que vous pouvez constater et dont nous ne pouvons venir à bout avec deux ou trois ingénieurs», indique le chef de service des Mines.
Entre 150 et 200 véhicules contrôlés par jour
Les ingénieurs des Mines font de leurs mieux en contrôlant une moyenne de 150 à 200 véhicules par jour, lorsqu’ils sont à trois. Lorsqu’ils sont deux, ils essayent de faire passer le maximum en atteignant péniblement une moyenne variant entre 120 et 150 véhicules. Il faut dire que tout dépend du moral et de l’état d’esprit de l’ingénieur qui vérifie minutieusement les numéros de châssis. «Il nous faut en moyenne 10 minutes pour faire les vérifications, si le véhicule ne présente aucun vice. Si nous suspectons quelque chose, nous prenons du temps pour nous assurer de l’identification du véhicule et voir s’il est conforme avec les papiers présentés», nous déclare un ingénieur visiblement exténué. Exténué, il y a de quoi l’être en le voyant s’accroupir devant et derrière le véhicule, dans le froid, sous les gouttes de pluie s’infiltrant à travers la toiture, en quémandant au propriétaire du véhicule s’il dispose d’un téléphone portable avec une torche pour examiner avec exactitude les numéros frappés sur la carrosserie. Les contrôles se font dans un hangar, dépourvu d’électricité et la toiture en zinc laissant passer froid et pluie accentuaient davantage les conditions de travail quasi inhumaines dans lesquelles évoluent les ingénieurs. Ces ingénieurs avouent, d’ailleurs, avoir été à mainte reprise pris à partie par des automobilistes menaçants dont les véhicules étaient suspects. L’année dernière, un ingénieur a été agressé physiquement par le propriétaire d’une voiture qui ne répondait pas aux normes, et ce en présence de policiers. Des policiers qui, depuis, n’assurent plus le service d’ordre en ces lieux malgré les demandes insistantes pour qu’ils soient présents, nous confie-t-on sur place.
«Aucune délocalisation n’est envisageable pour le moment»
Le centre de Sidi Ziane ne peut en aucun cas être qualifié de centre, et parfois, les ingénieurs lorsqu’ils arrivent le matin, au niveau de ce circuit, trouvent une décharge publique, des carcasses de poulets, des gravats, des canettes de toutes sortes. Un décor indigne d’un ingénieur pour y exercer sa mission. Les citoyens, en amenant leurs véhicules, sont écœurés de voir les conditions dans lesquelles s’effectue le contrôle. «Nous vivons dans un marasme au quotidien, dans une misère totale», nous confiera un ingénieur sous le couvert de l’anonymat. À la question de savoir si le déplacement de ce circuit était possible, nous avons pris attache avec le chef de service des Mines qui se montre pessimiste à ce sujet. «Nous avions envisagé le déplacement vers un délaissé de route d’un kilomètre sur la RN33 menant vers Haizer, mais cela n’a pas pu se faire. L’endroit est idéal à proximité du dédoublement de la route de Haizer, nous nous sommes déplacés sur le site avec une commission de wilaya et nous avions convenu d’un accord. La DTP s’était chargée de nous fournir une roulotte que l’APC devait installer et prendre en charge. On allait même faire un centre payant pour faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’APC et créer par la même des postes de gardiennage, mais tout est tombé à l’eau. Les raisons sont diverses, mais la raison principale serait l’absence d’un ancrage juridique qui encadrerait tout cela. Transférer les services des mines au niveau des daïras serait une solution mais aucun responsable ne veut prendre en charge nos ingénieurs. Leurs déplacements vers les daïras, l’endroit où examiner les véhicules et la réquisition d’un employé pour inscrire les véhicules inspectés et les enregistrer sur le registre des expertises, sont autant de questions qui demeurent sans réponse», confiera le chef de service. La direction de l’Industrie et des Mines ne dispose que d’un seul véhicule, qui comme nous avons pu le constater, tombe souvent en panne lors des déplacements du wali. Même si des ingénieurs se disent prêts à se déplacer avec leurs propres moyens au niveau des principales daïras, il n’y a aucun encadrement possible pour qu’ils accomplissent leurs missions.
Les trafiquants redoublent d’ingéniosité
La solution serait, apparemment, d’annuler ce document qu’est la fiche contrôle. En effet, il existe un acte de vente ainsi qu’une carte grise et de ce fait, la fiche contrôle n’a pas lieu d’être. Si un problème se remarque dans le véhicule, pourquoi ne pas l’envoyer à l’expertise auprès des privés. Il en existe dans chaque wilaya et Bouira dispose de deux ingénieurs agréés par le Ministère. Cela, en attendant la délivrance des permis à point et de la carte grise biométrique qui viendront mettre un terme à cette anarchie indescriptible. De plus, le retrait de la fiche contrôle serait une solution idoine car le travail fait par les ingénieurs des mines n’est en aucun cas un travail technique. Les tâches sont d’ordre réglementaire et administratif et ils se contentent de vérifier les numéros de châssis. «Depuis la création des contrôles techniques des véhicules, le travail est d’ordre réglementaire même s’il y a parfois un peu de technique. Dernièrement, un cas a été recensé où un numéro de châssis était caché par une plaque mentionnant un autre numéro. Si l’ingénieur n’avait pas eu le réflexe de vérifier minutieusement, l’automobile aurait pu échapper à ce contrôle, car les caractères poinçonnés semblaient réglementaires au véhicule de marque française. Les trafiquants sont plus intelligents que les ingénieurs des mines mais surtout mieux outillés pour contrefaire les papiers et intervenir sur les numéros de châssis. Surtout lorsqu’on voit des ingénieurs des Mines ne disposant même pas d’une lampe-torche en l’absence d’électricité dans le centre de contrôle. Et chaque semaine, des véhicules trafiqués sont ainsi débusqués, même des véhicules de 2015. Les ingénieurs tiennent même compte des immatriculations de la provenance des voitures car des wilayas limitrophes à Bouira sont suspectes», nous dira-t-on, sans pour autant dénommer précisément ces wilayas. On cite des exemples de véhicules arrivant à passer la frontière de manière illégale, notamment avec la situation que connaissent la Lybie et les pays frontaliers du sud du pays. Les trafiquants arrivent en Algérie, achètent un véhicule accidenté et lui retire son numéro de châssis pour le remettre sur un véhicule flambant neuf.
Hafidh Bessaoudi

