Producteurs et distributeurs se renvoient la balle

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À Amizour, le lait pasteurisé en sachet fait toujours parler de lui et constitue l’une des denrées alimentaires les plus recherchées ces jours-ci.

Dans cette région, il n’est plus possible de s’offrir un sachet de lait à n’importe quelle heure de la journée. Au niveau de certains points de vente, des files interminables de clients, tous âges confondus, se forment au quotidien. Pour trouver des explications quant à ce manque dans les épiceries, nous nous sommes rendus à la laiterie d’Amizour, appartenant au groupe Giplait, dans l’après-midi de mercredi dernier, histoire de vérifier s’il y a perturbation de production ou pas. Même si le directeur de cette unité était «en mission», a-t-on dit, nous avons, tout de même, obtenu une réponse, toute sèche et courte, que cette laiterie fonctionne en «mode normal» et «sa capacité de production n’a subi aucune baisse». Ils nous ont fait savoir, aussi, qu’il n’y a pas non plus de rupture en matière première, entendre par là la poudre. Bref, tout semble donc normal, sauf que le lait manque pour le consommateur, même en pleine ville d’Amizour, à quelques encablures de l’unité en question où l’on a trouvé, par coïncidence, le propriétaire d’une alimentation générale distribuer, sur un trottoir, des sachets devant une petite foule de clients, dont des automobilistes qui s’arrêtaient pour ne pas rater l’«aubaine» de rentrer chez eux avec quelques sachets de lait à la main. En l’espace d’un quart d’heure, le lieu de vente se vide ; plus un signe de cette transaction ; juste des empilements de caisses vides. Selon ce détaillant, «ce scenario est quasi-quotidien et se répète chaque deux jours, soit à chaque fois que les magasins reçoivent leurs quotas de marchandises, assurés par des distributeurs». «A chaque distribution, qui se fait un jour sur deux, je reçois au maximum 272 sachets de lait pasteurisé que j’écoule en un quart d’heure, comme vous venez de le constater de visu. Après, il faut gérer la colère des clients malchanceux». Notre interlocuteur avoue que ses demandes d’un quota supplémentaire pour satisfaire sa clientèle ont été toutes vouées à l’échec. Aussi, pour avoir droit à son quota, qui ne répond guère à la demande, il faut accepter de prendre quelques caisses de lait de vache, dont le prix dépasse celui de 3 sachets de lait ordinaire. Une vente concomitante qui s’ajoute à d’autres pratiques autour du commerce de ce produit de première nécessité. «Pour l’achat de quatre sachets de lait, j’exige du client l’achat d’un autre sachet de lait de vache. Hélas, nous sommes entre le marteau et l’enclume», avoue, avec amertume, notre interlocuteur.

Y a-t-il sous-production ?

À quelques mètres de là un autre commerçant très connu à Amizour n’y est pas allé par le dos de la cuillère pour pointer du doigt la responsabilité de l’unité en question quant à «la sous-production maintenue par rapport à la hausse de la demande», évoquant, aussi, la responsabilité de la même unité dans la vente concomitante pratiquée. Une vente interdite par la loi. Ce commerçant, distributeur de lait pasteurisé et ses dérivés dans toute cette région durant plusieurs années, renchérit : «Depuis 1962 jusqu’aux années 90, nous avions un quota de 7 000 sachets par distribution, alors qu’actuellement, on ne reçoit que la moitié de cette quantité. Pour vous dire que les responsables de cette unité ne prennent pas en considération les besoins des habitants en matière de lait pasteurisé, pour régulariser l’offre par rapport à la demande. Cela dit, ils (unité de production, ndlr) sont directement responsables de cette situation en maintenant la sous-production, malgré la pression sur le marché». Un autre commerçant indique qu’on lui donne 13 clayettes de 16 sachets. Ce qui est insuffisant pour couvrir une demande, dit-il, qui exige au moins 40 clayettes par jour. Ce commerçant va encore loin en disant que les distributeurs des produits laitiers ont revu à la baisse son quota, car il refuse qu’on lui impose le lait de vache et la vente concomitante qui va avec. «Une affaire de principe et de professionnalisme», dit-il. Alors que chez d’autres détaillants, c’est à prendre ou à laisser : pas question de chercher à faire des commentaires en ce sens, et tous s’accordent à dire que ce sont les distributeurs qui l’imposent. Cet ancien distributeur, aujourd’hui commerçant, va jusqu’à lancer un défi à la direction de l’unité de prouver le contraire. Il y a aussi un autre problème soulevé par plusieurs commerçants, à savoir celui du «diktat» des distributeurs du lait produit par cette unité du groupe public Giplait au niveau d’Amizour, en s’opposant aux distributeurs travaillant avec les unités privées de la vallée à alimenter les magasins de cette ville. En prenant en compte ce qui se dit aussi dans une localité voisine, en l’occurrence Barbacha, il n’y a qu’un seul distributeur pour toute la région. Là et à en croire certains commerçant désirant s’investir dans le domaine de la distribution, leurs demandes butent sur un refus catégorique de la part de l’unité de production d’Amizour. On entend même parler, pour ne pas dire constater, que certains distributeurs préfèrent vendre leur marchandise en totalité à d’autres petits commerçants de villages avec des prix hors normes, sans se soucier de leurs habituels clients qui restent quelquefois des jours entiers sans êtres approvisionnés en ce produit très demandé. Avec tout ce lot d’irrégularités, la filière lait dans cette région, à l’instar du reste des régions de la wilaya de Béjaïa, souffre d’un manque de rigueur et de clarté. Preuve en est, cette pénurie au quotidien malgré les nombreuses unités de production existant dans la même région. Pour rappel, la laiterie d’Amizour a revu à la hausse sa capacité de production il y a dix ans, en passant de 15 000 litres à 40 000litre/j, alors que sa capacité pourrait atteindre le chiffre de 120 000 litres/jour. Avec tous ces couacs, le lait semble avoir perdu sa couleur naturelle ; il n’est plus blanc comme nous le croyons.

Nadir Touati

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