Le Tamazight, une écriture, une langue et un patrimoine millénaire. Déjà haussée langue nationale et officielle en Algérie, l’année 2018 est celle de la consécration de Yennyer, le nouvel an berbère, en journée fériée, désormais officiellement chômée et payée.
Une publication collective apporte, à partir d’études de cas particuliers, des éclairages à des questionnements en lien avec les enjeux de langues en usage au Maghreb socio-politiquement en mutation.
Les perspectives de gestion institutionnelle des langues au Maghreb, l’impact que pourrait avoir l’amazighité institutionnalisée tant en Algérie qu’au Maroc sur le paysage sociolinguistique maghrébin, tout comme les enjeux du recours à l’une des graphies arabe, latine ou tifinagh (écriture originelle des Berbères) aussi bien pour l’amazighe que pour les liens de cette langue à l’arabe et au français, mais encore la place de la langue française dans les débats actuels avec le progrès de l’arabisation sur les plans institutionnel et social, tels sont les thèmes abordés dans l’ouvrage collectif édité dernièrement chez les Presses universitaires de Rouen et du Havre, en France.
Réalisé sous la codirection de Chérif Sini, sociolinguiste et directeur de recherches sur les langues en mutation tant en Algérie qu’au Maghreb, et Foued Laroussi, professeur des universités et directeur du Laboratoire Dynamiques Sociales et Langagières, ce volume, composé de 218 pages, est publié sous le titre : «Langues et mutations sociopolitiques au Maghreb». Cette publication collective apporte, à partir d’études de cas particuliers, des éclairages à des questionnements en lien avec les enjeux de langues en usage au Maghreb socio-politiquement en mutation. Elle renferme, en tout, onze contributions, d’auteurs de diverses nationalités, s’inspirant de modèles théoriques relevant de différentes approches scientifiques courantes dans le domaine des sciences du langage. Elle propose des éléments de réponse à des interrogations ayant trait, entre autres, à la place du français dans les débats en cours, ou encore au statut (controversé) de cette langue… Y sont de surcroît approchées certaines problématiques en rapport avec les fluctuations que connaît la langue française en lien avec le progrès tant institutionnel que social de l’arabisation, d’une part, et de l’autre, les modes par lesquels se traduisent ses fluctuations en interaction dans la réalité sociale, c’est-à-dire dans les échanges discursifs et/ou dans les pratiques langagières en usage, et les relations que ces activités discursives permettent de supposer entre les langues au Maghreb en devenir.
Perméabilité des médias algériens au plurilinguisme
Ainsi, la contribution de Mohammed Zakaria Ali-Benchérif, enseignant à l’université de Tlemcen, insérée juste après l’introduction de cet ouvrage collectif, porte sur «les langues et les médias en Algérie au prisme de l’action glottopolitique». Tout en se référant à un échafaudage théorique emprunté à la sociolinguistique de la complexité et en tenant pour objet d’étude les langues des discours médiatiques extraits de différentes rubriques de quotidiens, de magazines ou d’émissions radiophoniques, télévisuelles et de pages de sites web d’informations en Algérie, l’auteur dresse le constat suivant : «[…] Aussi bien la presse écrite que les chaînes de télévision d’expression arabe, amazighe ou française, pratiquent le plurilinguisme pour atteindre un large public», lit-on à la page 12. De plus, tout en soulignant «cette perméabilité des médias en Algérie au plurilinguisme [adopté plutôt] comme réaction à la politique linguistique dont l’objectif initial ciblait le parachèvement du processus de l’indépendance et qui visait essentiellement l’hégémonie d’une langue au détriment des autres langues», il écrit ceci : «Loin de l’idéologie linguistique glottophobe des années 60-70-80, les médias algériens adoptent, depuis le début des années 90, des manières de faire qui témoignent de cette touche algérienne -singulière dira-t-on- du plurilinguisme arabe-berbère-français» (p.24). Mais, pour Mohammed Zakaria Ali-Benchérif, «l’enjeu, [dans un contexte algérien], est d’ancrer les politiques linguistiques dans une dimension profonde où l’algérianité et la diversité linguistique doivent être prises comme composantes principales» (p.34).
Politique linguistique familiale en faveur du français en Algérie
Mahieddine Azzedine, enseignant à l’université de Tlemcen, lui, propose un article qui traite de la place de la langue française dans les pratiques langagières familiales en lien avec la politique linguistique nationale entreprise en Algérie après le recouvrement de l’indépendance. Afin d’examiner l’opposition prétendue entre cette politique linguistique nationale mise en œuvre pour substituer au français «l’arabe standard» d’une part, et de l’autre, celle préférée pour l’éducation linguistique des enfants en milieu familial, il puise d’un corpus construit au cours d’une enquête sociolinguistique qu’il mène auprès de cent participants. L’auteur de «Le français en Algérie : entre politiques linguistiques nationale et familiales» (pp. 35-48), fait un constat qu’il formule en ces termes : «Face à cette politique linguistique nationale -et sans nécessairement s’y opposer- des familles adoptent une politique linguistique familiale ouverte au français et au plurilinguisme». Cette orientation, souligne-t-il encore, relevant manifestement d’un choix stratégique, «traduit une évolution vers une conscience plurilingue ouverte à la diversité linguistique et au développement d’une compétence langagière plurielle». M. Mahieddine évoque, dans son étude, la naissance d’une conscience plurilingue en faveur d’une diversité linguistique, d’une part, et de l’autre, l’émergence d’une compétence discursive plurielle qui confortent et positivent les représentations ou les images associées au français.
Aux origines sociolinguistiques de la formation de l’arabe algérien
Ibtissem Chachou, chercheure associée au Crasc d’Oran et enseignante à l’université de Mostaganem, aborde la problématique si complexe de l’histoire de la formation d’un point de vue sociolinguistique de l’arabe algérien. Pour ce faire, elle puise d’un fond documentaire composé essentiellement de travaux de fins linguistes et historiens spécialistes de l’Afrique du Nord. Elle adopte une démarche diachronique et postule l’hypothèse suivante : «L’implantation du phénicien dans cette région [Algérie] faciliterait celle de l’arabe, du fait de la ressemblance constitutive des deux langues». Ibtissem Chachou aboutit à la conclusion selon laquelle «l’autonomie géolinguistique attestée de l’arabe algérien nécessiterait de lui assurer un statut de langue à part entière au lieu de continuer à être décrit comme une variété subalterne d’une langue dont il aurait découlé à une période supposée de l’histoire qui reste à décrire et à écrire pour que nous puissions nous adapter aux multiples mutations sociolinguistiques que traversent notre région et le monde sans encourir d’autres risques de violentes ruptures» (p.104). (à suivre…)
Djemaa Timzouert.