Au secours des SDF

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Depuis le début de la saison hivernale, les éléments de la sûreté de wilaya de Bouira vadrouillent chaque nuit à travers les rues et ruelles du chef-lieu de la wilaya à la rencontre des SDF pour les conduire vers un centre d’accueil.

Accompagnés d’une ambulance de la Protection civile, d’une équipe du Croissant Rouge Algérien, des services de la DAS et de ceux de la municipalité de la ville de Bouira, les hommes en bleu ratissent systématiquement chaque recoin des différents quartiers ciblés. Il faut dire que l’imposant cortège ne passe pas inaperçu à une heure où la majorité des citoyens rentrent chez eux pour une bonne nuit de sommeil au chaud. Nous les avons accompagnés au cours d’une de leurs sorties nocturnes. Il est 21h en cette veille du premier week-end du mois de décembre. Devant le commissariat central de la ville de Bouira, un fourgon de la Direction de l’Action Sociale, l’ambulance de la Protection civile, ainsi qu’un véhicule du Croissant Rouge Algérien sont stationnés en attendant que les brigades de la sûreté de wilaya ne les rejoignent. Le briefing se fait rapidement, en établissant un plan d’action et d’un itinéraire à suivre pour cette soirée. Alors que les équipes s’apprêtaient à rejoindre leurs véhicules respectifs, un jeune homme d’une trentaine d’année se dirige vers le commissariat. Apparemment psychologiquement fragile, le jeune ne sait pas où se rendre. Interrogé par les policiers, il avouera être originaire de Tebessa et cherchant du travail. «Je viens de me marier et on m’a promis un travail à Rouiba. Mais une fois sur place, je n’ai pas trouvé la personne qui devait m’embaucher», révélera le jeune affirmant se prénommer Rachid. Questionné sur sa destination après son retour de Rouiba, Rachid ne sut répondre : «J’ai fondé un foyer et maintenant je dois absolument travailler, mais je n’ai aucune qualification et j’ignore qui peut me recruter», se contentera-t-il de dire. L’officier Toutah lui proposera un repas chaud qu’il accepta volontiers. Il sera ensuite invité à monter dans le fourgon de la DAS pour l’emmener au centre pour personnes âgées pour y passer la nuit. Le cortège s’ébranla enfin en direction de la cité Ouest. Pas âme qui vive. Bouira est réputée pour être une ville où l’on se couche tôt, surtout avec le froid hivernal qui s’est installé dans la région. Arrivés au quartier populaire «l’ECOTEC», le talkie-walkie de l’officier Toutah grésille, le commissaire veut rejoindre la caravane pour superviser l’opération. Le convoi s’arrête le temps que le commissaire arrive. En arrivant à proximité du siège de l’OPGI, un SDF traverse rapidement la route. C’est un jeune de ce quartier qui apparemment n’est pas inconnu des policiers. Le convoi s’arrête. Il salue tout le monde et prend une couverture et une bouteille d’eau qu’on lui tend. Ce jeune habitait le quartier auparavant, mais chez-lui c’était devenu invivable et une mésentente permanente avec ses parents l’ont poussé à quitter le domicile. Depuis, il dort dehors. «Aujourd’hui, il est dans son état normal, habituellement on l’interpelle car il est souvent dans un état second…Il vit de petits boulots et depuis qu’il ne vit plus avec ses parents, la police n’intervient plus pour régler ses frasques familiales. Mais il refuse toujours de rejoindre le Centre pour personnes âgées, il préfère la rue et on ne peut le forcer à nous suivre», explique un policier. La patrouille repart dans les quartiers de la ville, direction l’ex-gare routière. Un endroit où il est fréquent de trouver des personnes ivres sur les trottoirs en raison de la proximité de deux bars ayant pignon sur rue. Les chamailleries sur la voie publique y sont fréquentes, mais en cette heure avancée de la nuit, il semblerait que le calme règne dans ce quartier d’habitude très animé.

Un ex-flic devenu SDF

Il est 22h passées. Au centre de la vieille ville de Bouira, à proximité de la mosquée, le convoi fait une halte. Les jeunes bénévoles du CRA, munis de torches électriques, examinent tous les recoins de la mosquée. Ils y découvrent une forme humaine ensevelie sous un monticule de plastique et de carton. Ils prennent toute leurs précautions pour extirper de son sommeil le SDF qui, le visage hagard et les cheveux hirsutes, se réveille en sursautant. Reconnaissant les policiers et les jeunes du Croissant Rouge, il les remerciera : «Non merci, je n’ai besoin de rien, ni nourriture, ni couverture, j’ai ce qu’il me faut», leur dira-t-il. Les jeunes bénévoles insistent pour qu’il prenne au moins une couverture, mais l’homme refuse : «J’ai déjà une couverture que vous m’avez donnée la semaine dernière, je n’ai d’ailleurs pas où la ranger, je vous remercie ce n’est pas la peine». Un confrère, voulant en savoir plus sur ses origines, le fera sortir de ses gonds : «Pourquoi tu me harcèles ? Pourquoi vous me prenez en photo ? Je suis de Bouira, ça ne te regarde pas d’où je viens et ce que je fais ici», dira-t-il. Le SDF voudra se lever, mais il sera calmé par les policiers qui lui diront qu’ils partaient. L’un de nous finit par reconnaître l’homme. Même les policiers qui nous accompagnaient ne le connaissaient pas, du moins en personne. Il s’agit d’un ex-policier qui a à son actif plusieurs exploits. Originaire de la région Est de Bouira, il avait activement participé à la lutte antiterroriste durant la décennie noire. Nous révélâmes son nom à l’officier Toutah, qui n’en crut pas ses oreilles. Il avait entendu parler de cet ancien policier devenu aujourd’hui une véritable loque humain: «C’était un élément très compétent d’après ce qu’on a pu nous dire sur lui… C’est malheureux de voir ce que la vie a fait de cet homme», regrettera l’officier. Nous laissons l’ancien policier enseveli sous les cartons qui lui servent de literie, en repensant à sa bravoure face aux terroristes durant toutes les années de braise. Nous apprendrons plus tard que c’est une dépression qui lui a fait perdre pied. Devant le commissariat central, le cortège s’arrêta de nouveau. Un jeune originaire de Tiaret avait échoué en pleine nuit dans la ville et n’avait trouvé aucun lieu pour passer la nuit. «Je viens de Tiaret et je dois me rendre à Sour El Ghozlane pour disputer un match amical. Les autres joueurs sont déjà sur place et moi je n’ai pas pu les rejoindre à temps. Il n’y a aucune auberge de jeunes disposant de place pour m’héberger et aucun restaurant ni aucun magasin n’est ouvert. Je ne sais vraiment pas où aller», dira le jeune homme aux policiers. Ces derniers lui serviront un repas chaud avec du pain, une orange, un yaourt et une bouteille d’eau. Une fois rassasié, le jeune prendra place dans le fourgon de la DAS pour rejoindre le Centre pour personnes âgées qui l’accueillera jusqu’au matin. «Nous préférons qu’il passe la nuit en sécurité au centre car il n‘est pas à l’abri d’agression», nous explique un des policiers. Direction la gare routière, il est 23h passées. Personne à l’horizon, mais la patrouille décide d’entrer à l’intérieur de la gare. Une surprise et pas des moindres les y attendait. La gare était fermée certes, mais une jeune femme SDF s’apprêtait à passer la nuit sur place en compagnie de son fils de 4 ans.

25 ans, mère célibataire et sans-abri

Originaire de Meftah dans la wilaya de Blida, la femme nous dira être née en 1995. Le petit enfant dormait profondément, recouvert de multiples couvertures. «On vous emmène au Centre pour personnes âgées pour que vous y passiez la nuit au chaud avec votre fils», explique un policier à la maman. «Au centre ? Jamais de la vie, j’y étais avec mon fils et je me suis disputé avec le directeur. Je n’y retournerai pour rien au monde», réplique-t-elle. Devant ce refus catégorique, les bénévoles du Croissant-Rouge Algérie lui apporteront une couverture qu’elle accepte, de même qu’un repas chaud servi pour elle est son fils. Nous avons demandé si la police ne pourrait pas prendre les dispositions pour placer l’enfant mineur dans un centre adapté, l’officier Toutah répondra que cela ne faisait pas partie de ses prérogatives : «Nous apportons notre soutien aux sans-abris. Pour placer un enfant, il faut que ce soit la justice qui ordonne son placement et vous voyez que sa mère est avec lui. Nous ne pouvons pas nous substituer à la justice, ni à l’autorité parentale dans ce cas», explique notre interlocuteur. Après avoir patrouillé en long en large à travers les artères, les rues et ruelles du chef-lieu de la wilaya et après s’être assuré qu’aucun SDF n’avait été oublié, les policiers accompagnent les nouveaux pensionnaires d’un soir au Centre pour personnes âgées. Ils passeront au moins une nuit au chaud, à l’abri de tout danger. Voulant détendre l’atmosphère, les policiers nous diront : «Vous voyez ces chiens errants, il n’y a plus qu’eux et nous dans la rue à cette heure-ci !». Les éléments de la Protection Civile ainsi que les deux bénévoles du CRA, à savoir M. Aouchich Nabil, psychologue, et M. Djemaa Nabil, président du bureau de wilaya, repartent «fatigués mais avec la conscience tranquille en attendant la prochaine vadrouille», nous diront-ils. Ces rondes nocturnes s’effectuent tous les deux jours, depuis le début de la saison hivernale et jusqu’au printemps, nous explique encore l’officier Toutah. Avant de rentrer, les policiers ont une dernière mission à mener à bien. Sensibiliser les automobilistes sur les risques liés aux conditions climatiques en hiver. Ils distribueront des flyers et des prospectus aux usagers de la route, peu nombreux toutefois à cette heure tardive de la nuit, en leur conseillant de prendre en considération les aléas climatiques avant de reprendre la route.

Hafidh Bessaoudi

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