Il n’est un secret pour personne que l’école algérienne, depuis au moins qu’elle porte la fameuse épithète de ‘’fondamentale’’, a visiblement failli à sa mission de semer dans les jeunes esprits les graines de la curiosité et de la culture scientifique. Qu’il s’agisse de la géologie, de la botanique, de la climatologie ou d’autres phénomènes naturels, les réalités matérielles, dans leurs manifestations les plus anodines, sont souvent reliées à une mystique faussement religieuse qui, enfin de compte, fait tort aussi bien à la science qu’à la religion. Les simples connaissances de la géographie, physique et humaine, qui sont supposées ancrer le jeune élève dans ses réalités quotidiennes, dans son village, dans sa montagne et dans ses cours d’eau, se présentent à lui sous la forme d’un magma amorphe où il est question du monde entier sauf de son village et de son hameau. Par contraste, il n’est que d’examiner les programmes de géographie dispensés dans les écoles européennes pour se rendre compte du fossé qui nous sépare de la conception didactique de cette matière en vigueur dans ces pays. La leçon de géographie, de botanique ou de géologie ne peut avoir de véritable écho et ne peut être vraiment intériorisée que lorsqu’elle est accompagnée de sorties sur le terrain au cours desquelles seront étudiés in situ les méandres des oueds, la gradation altitudinale de la végétation, les couches du sol dans un profil naturel taillé sur le talus d’une route, les plissements, les failles, les types de roches, les espèces végétales et animales,…La pédagogie inhérente aux sorties sur le terrain est d’autant plus riche et flexible que notre pays dispose de faciès naturels aussi multiples que variés. Pratiquement, aucun pays européen n’est doté de la diversité naturelle qui caractérise l’Algérie. Du littoral jusqu’au désert de Tanezrouft, un éventail de climats, de milieux écologiques, de systèmes orographiques, de couverts végétaux, de réseaux hydrographiques, meuble ces vastes étendues. Les aulnaies d’El Kala, les chênaies de Yakourène et les cédraies de Chréa et du Djurdjura tiennent des climats humides d’Europe. La steppe de Aïn Sefra, les zones de parcours de Bougtob et les Hauts-Plateaux de M’sila nous mettent dans l’ambiance de la steppe iranienne ou turkmène. Les Ergs (oriental et occidental) avec leurs immenses dunes de sable et les regs caillouteux de l’Oued Igharghar nous replacent dans l’ambiance du Nevada ou du Colorado. Mais, par un pathologique complexe du colonisé, notre jeunesse n’a d’yeux que pour des espaces chimériques de l’étranger, et notre école ne fait presque rien pour l’en débarrasser, ou bien, quand elle tente de le faire, elle s’y prend d’une façon tellement gauche et tortueuse qu’elle tombe dans l’extrémisme et l’obscurantisme qui ont fait que les cours de géographie et d’histoire sont fuis, méprisés et honnis. Un livre de géographie algérienne, datant des années soixante et rédigé par des spécialistes (M. Sari, Marc Cote, Benchetrit, Cabot, Prenant,…), aborde la description physique de la région des Babors qui vient de vivre un tremblement de terre en ces termes : « En bordure du littoral se dressent des morceaux de socle ancien, vestige du bourrelet littoral méditerranéen, et qui prolongent celui de la Grande Kabylie : massif de Collo, massif de l’Edough. Ils sont constitués de massifs cristallins (gneiss, granit tertiaire dans les promontoires), et recouverts par place de placage de grès de Numidie. Ils disparaissent définitivement à l’Est de Annaba. Ils sont flanqués sur leur flanc sud par une haute sierra, chaîne calcaire qui prolonge le Djurdjura. Elle est encore très vigoureuse à l’ouest (Babors), et s’abaisse progressivement vers l’est, jusqu’à disparaître à hauteur de Gatsu (Zit Emba, sud-ouest de Annaba) sous les grès de Numidie. Elle est constituée de calcaire jurassique ou éocène, bousculé par les blocs primaires, et se présentant sous l’aspect d’écailles déversées vers le sud ». Les livres actuels de géographie, imposés en tant que manuels scolaires, n’ont rien d’attrayant et ne trouvent aucun prolongement pratique par le moyen de sorties ou de moyen didactique que permet la technologie actuelle (projection vidéo par exemple). Ni à l’école ni dans une autre institution culturelle ou éducative, on ne trouve des explications scientifiques convaincantes aux phénomènes naturels auxquels notre pays est pourtant régulièrement exposé. Inondations, tornades, vents de sable, désertifications, mouvement telluriques, resteront encore longtemps pour certaines franges de la population, y compris celle scolarisée, dans le meilleur des cas des énigmes, et dans le pire des cas des signes prémonitoires de la fin du monde par laquelle Dieu aurait décidé de châtier ses sujets qui se seraient écartés de la juste voie. Ce genre de pensée et d’explication, nous le vécûmes au début de ce millénaire avec les inondations de Bab El Oued et le séisme de Boumerdès à l’occasion desquels des personnalités du pouvoir politique ajoutèrent de l’eau au moulin des imposteurs et mystificateurs de tout bord de façon à se dédouaner de leur responsabilité en tant que gestionnaires du territoire et de leur manque du sens de la prospective et de la prévention par le moyen duquel se multiplièrent les dégâts matériels et humains.
La vulgarisation scientifique, parent pauvre de l’édition
Hormis les livres universitaires de spécialité-même dans ce créneau, beaucoup de domaines ne sont pas bien couverts-, les ouvrages de vulgarisation scientifique sont véritablement le parent pauvre de l’édition en Algérie. Au milieu des années 70, la collection ‘’Life’’ avait recouvert tous les rayons des librairies algériennes. Aucun domaine des sciences n’échappait à l’explication la plus simple sans qu’elle fût, bien entendu, simpliste.L’univers, la terre, les cours d’eau, la théorie de l’évolution, l’éthologie, les oiseaux, l’homme, les mammifères, les minéraux, les roches, les plantes, bref, un éventail très large de toutes les disciplines qui peuvent et doivent intéresser l’homme moderne est proposé à la lecture. En l’état actuel des choses, les livres d’importation ne sont pas à la portée des modestes bourses des Algériens et l’édition nationale (publique et privée) brille par son manque d’intérêt à un créneau qui fait pourtant partie des bases de formation du citoyen de demain. L’esprit exclusivement commercial destine les Maisons d’édition à se consacrer au livre universitaire dans son aspect le plus étroit. Certains ouvrages sont des patchworks réalisés par des professeurs ou assistants sur la base de travaux puisés ça et là et présentés souvent sous une forme inesthétique.C’est à peine s’ils arrivent à faire office des anciens polycopiés qui soulageaient l’enseignant universitaire de la production loyale du cours magistral. Le peu de magasines scientifiques d’importation actuellement disponibles dans certaines villes d’Algérie sont mal diffusés et trop chers. Il n’est plus permis à un jeune étudiant de lire ‘’Sciences et Vie’’, ‘’Science et Avenir’’ ou ‘’La Recherche’’ à des prix allant de 300 à 500 DA. On ne peut que déplorer qu’aucune des catastrophes naturelles- ou même industrielles, comme celle de la base GNL de Skikda en 2004- n’ait fait l’objet d’une publication scientifique ou de vulgarisation. Dans d’autres domaines plus ou moins liés à la politique, une floraison d’ouvrages a vu le jour au cours de ces dix dernières années : intégrisme, pamphlets politiques, élections, Mouvement citoyen, mémoires historiques,…etc. De même, les livres de prosélytisme religieux, de broderie et de gastronomie remplissent les étalages des librairies, tandis que des ouvrages traitant par exemple de certains métiers (chaudronnerie, ébénisterie, charpenterie,…) sont soit rares soit trop chers. Quant à vulgariser certaines méthodes agricoles, aider à prévenir certaines maladies, expliquer des phénomènes naturels qui demeurent parfois obscurs aux yeux de la population, les écrits sont carrément introuvables. Le géologue Pierre Termier disait que « la science est l’une des causes de la joie des hommes ; c’est pourquoi il y aura toujours des savants tant qu’il y aura des hommes capables de penser ». Pour que cette joie soit bien semée en Algérie et pour que sa graine puisse germer, le livre scientifique de vulgarisation doit trouver sa place dans la scène éditoriale nationale et doit se frayer un chemin en direction du lecteur aujourd’hui coincé entre l’inanité de la culture scolaire et le ‘’corporatisme’’ élitiste de l’université.
Amar Naït Messaoud