Farida Sahoui vient de signer son premier livre Hommages et témoignages relatif aux familles Zouaoui, Amrouche et autres familles kabyles d’Algérie en Tunisie. C’est un périple qu’elle avait fait et traversé des moments d’angoisse pour parvenir à ce qu’elle avait projeté : revenir de Tunis avec des souvenirs de ces familles.
La Dépêche de Kabylie : Présentez-vous aux lecteurs ?
Farida Sahoui : Je suis née en 1972 à Azazga. Je suis diplômée du brevet de technicienne supérieure de l’Institut des techniques hôtelières et touristiques de Tizi-Ouzou (INTHT) dans la spécialité Tourisme et hôtellerie. J’ai fait un petit passage dans la presse écrite en langue amazighe et quelques tentatives en langue arabe. J’ai suivi des cours de langue maternelle avec l’association Amusnaw, obtenu des prix avec les associations Agraw adelsan amazigh et Numidia.
Pourquoi ce titre ? Comment l’idée vous est-elle venue ?
Je me suis consacrée à ce pénible travail car ces familles, plusieurs fois déracinées, me tiennent à cœur. Ce sont des familles exilées et parties s’installer en Tunisie lors de l’insurrection d’El Mokrani et de Cheikh Aheddad.
Une fois arrivée là-bas, vous êtes accueillie par qui ?
J’étais accueillie par la première famille que j’avais déjà connue et les relations sont devenues très proches : la famille Zouaoui qui s’interrogeait sur le comment préserver le nom, l’identité entre autres racines. La famille Zouaoui est originaire de Ouaguenoun et pour eux le fait de me voir et de connaitre ma ville Azazga les a les émerveillés. Ils m’ont tout raconté et moi j’ai promis de rapporter leurs témoignages dans un livre.
Ces familles sont parties vers quelle période ?
La majorité est partie vers 1871, lors de l’insurrection d’El Mokrani. Ce sont des familles de condamnés à mort. Ils étaient obligés de quitter le pays et la majorité s’est installée dans la ville de Bizerte et de ses environs, notamment Thirglache (j’ignore l’origine de ce nom, un nom amazigh). En 1930, de nombreuses familles ont quitté Bizerte pour Tunis, la capitale. En 1962, certaines familles sont rentrées au bercail.
Ces familles ne sont pas seulement à Bizerte et à Tunis ?
Nous les retrouvons également à Bardo. Je suis passée à l’Amicale des Algériens en Tunisie mais on ne m’a pas fourni grand-chose. Je me demande pourquoi elle hésitait. Je n’ai pas sollicité les autorités tunisiennes. Les formalités seront dures et c’est une perte de temps. J’ai fait un travail personnel, me basant sur des témoignages de personnes vivantes. Et je profite de cette occasion pour inviter les étudiants et les universitaires à entamer ce projet.
C’est la seule famille que vous avez abordée ?
Il y a aussi la famille Amrouche par le biais de l’association qui porte le nom de Taouès Amrouche. Elle m’a fait visiter l’ancienne maison des Amrouche. Chose surprenante c’est que la communauté kabyle de Tunisie ignore la présence de cette famille d’intellectuels durant plus de quarante ans. C’est Bizarre ! Surprenant encore : les exilés de Tunisie sont plus exilés que ceux du Canada ou de France. Ils sont déracinés de leur pays mais aussi et dangereusement de leur identité, notamment durant le règne de Bourguiba, il leur était interdit de parler en langue maternelle, le tamazight. Aujourd’hui, une certaine lueur ! On me parle de Cheikh Mohand U L’hocine comme s’ils connaissaient la personne et les rituels, tout comme Si Mohand Umhand.
En vous rencontrant, quel est leur sentiment durant et après la visite ?
Ils étaient ravis de renouer avec les origines de leurs ancêtres et nombreux ont émis le vœu de venir en Kabylie. Et mon livre a permis de rassembler beaucoup de Kabyles résidents en Tunisie, qui se sentaient doublement déchirés : d’abord par l’exil forcé historique et par l’éloignement entre familles qui ne les rencontraient pas du tout.
Parlez-nous de la famille Amrouche ?
Concernant cette famille, j’ai plutôt pensé à son héritage culturel. J’ai vu la rue des Tambourins dont parlait Taouès. Elle est née en Tunisie et la majorité des Kabyles de Tunisie ignoraient ça. Mouhoub Amrouche était journaliste à la radio Tunis dans les années trente et dans les années quarante. Il était journaliste au journal Combat d’Albert Camus. Il avait interviewé de grandes personnalités politiques tunisiennes : Ferhat Hachat de l’UGTT, Moncef Bey, Ahmed Bensalah. Leur frère Malek était à la radio dans les années cinquante, leur frère Mohand Saïd était instituteur à Sfax en 1921. Une famille d’intellectuels, du savoir complètement ignorée des Kabyles de Tunisie. Paradoxe ! Et je me pose la question suivante : «Quelle place occupe cette famille d’intellectuels, les Amrouche et autres dans la société tunisienne ? D’autres familles sont à signaler, telles Amraoui, Amyoud de Tizi-Ouzou, Hemitouche, Saâda de Tigzirt.
À votre retour et une fois le livre achevé, quel fut votre sentiment ?
J’ai pu saisir le sens et connaître, sans l’avoir vécu, l’exil de ces familles doublement ou triplement déchirées. Et ce livre destiné pour eux est le meilleur cadeau que j’ai pu leur offrir. Je l’ai fait par admiration et respect à ces familles.
Votre conclusion ?
Finalement l’exil n’est pas un vain slogan. C’est une profonde déchirure et je me mets à la place de ces familles. J’ai le sentiment de me défaire d’un lourd fardeau en écrivant ce livre promis. J’invite la communauté universitaire d’ici et de Tunis à se pencher sur ces familles.
Entretien réalisé par M. A. Tadjer