S. Ait Hamouda
Quelle est l’espérance de vie d’un quidam qui habite un gourbi ou un bidonville, se nourrit d’expédient, dort dans un grabat et passe sa journée à déambuler dans une ville où il n’est connu de personne ? Il est pourtant enfant de la ville mais il ne représente rien pour qu’on se souvienne de lui. Nul ne le connait, ni ne cherche à le connaitre, parce qu’il est pauvre et ne le crie pas sur tous les toits. Il vivote avec sa marmaille dans le dénuement, l’indigence multidimensionnelle, et arrive quand même à chanter. Ses chansons sont de lui. Même ça il ne le doit à personne, il ne le doit qu’à sa muse, qu’à ses bleus à l’âme, qu’à ses blessures béantes qu’il porte comme un étendard au clair devant des cœurs, des énergumènes, des ombres hermétiquement closes au moindre scrupule, à la moindre pitié. Ils passent devant lui impavides et comme aveuglés par leur opulence démesurée. Il est lui aussi fermé aux gens qui empruntent le même chemin que lui, ils se touchent sans qu’ils le voient, sans qu’ils puissent sentir sa présence parmi eux, et lui aussi fait comme s’il ne s’était jamais rendu compte qu’ils fussent là. Il va son chemin d’un pas lent, fredonnant ses rengaines chargées de paisibles refrains. Sans rancunes, sans regrets et sans animosités envers personne. Il vivote et il cherche à vivoter tout simplement, dans la galère certes, mais dignement. Il lui arrive d’être rabrouer par des ronds-de-cuir pour avoir osé demander un document. «Reviens demain ou après demain, on n’est pas là que pour toi», et il le prend avec calme et philosophie. Il rentre chez lui et ne se plaint à personne. Il n’est pas du genre à se plaindre pour la moindre contrainte. Il prend toutes les tuiles qu’il reçoit sur la tête en chantant. Il a en plus de la patience à faire fondre le plomb parce que, répète-t-il, «la patience est l’alpha et l’oméga de tout, et tout finira par passer un jour ou l’autre soit ici bas soit dans l’autre monde»…
S. A. H.