De Pâques au printemps, que reste-t-il des vacances ?

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Le printemps s’est toujours conjugué également avec les vacances scolaires, mais que reste-t-il actuellement de cette quinzaine de beaux jours attendus non seulement par tous les élèves, mais également par leurs enseignants ?En effet, poser la question plus particulièrement aux enseignants, c’est faire acte d’une offense caractérisée d’autant plus que les problèmes socioprofessionnels ou plus exactement financiers sont plus que connus alors que pour les élèves scolarisés, cela dépend plus de la situation de leurs parents qui n’est pas la même pour tous. Ainsi, parler des vacances, c’est d’abord un projet à réaliser avec des moyens appropriés, surtout financiers.Pour la plupart des personnels enseignants interrogés, les vacances de printemps ont disparu avec celle du mot “Pâques” alors que pour certains, leur intérêt s’est désagrégé avec le début de la crise économique en 1985/86 pour se perdre dans les abîmes à partir de 1991.Habitué à vivre pleinement ses vacances scolaires depuis son enfance, Da Ali, professeur de français retraitable, garde de bons souvenirs de toutes ces périodes printanières, mais il est vite rattrapé par celles de ces dernières années qui sont perdues pour lui, si ce n’est deux uniques journées qu’il consacre à monter à Béni Yenni pour se recueillir sur la tombe de feu Mouloud Mammeri et à Tizi Hibel, sur celle de feu Mouloud Feraoun, comme il fait un détour par Taourirt Moussa, après l’assassinat du chantre de l’amazighité, le chanteur Matoub Lounès.“Les projets pour les vacances de printemps s’arrêtent à ces deux journées qui constituent des pèlerinages pour moi”, nous confie Da Ali pour qui les premières belles vacances de printemps remontent à l’année 1968 quand il a participé à un stage de formation de moniteur de colonie de vacances qui s’était déroulé sur les monts de Chréa.“J’étais à peine âgé de dix-sept ans, lycéen à Alger en qualité d’interne. Outre la formation dont j’ai bénéficié pour bien m’occuper des enfants, j’avais appris à apprécier le repos en montagne et surtout comment s’organiser tout en m’éloignant, bien sûr, de l’atmosphère de mon village qui ne répondait plus à mes besoins et à mes aspirations”, nous raconte encore notre interlocuteur. Rejoint au cours de notre entretien par Aami Slimane, directeur d’un collège, à qui, il ne reste que quelques mois pour tirer sa révérence à l’enseignement après trente-deux années de loyaux services et de grands sacrifices qui ne l’ont ni enrichi, ni appauvri, il sortira les mains vides comme il était entré mais demeure fier devant toutes les flopées de cadres qu’il a formées.Pour Ami Slimane, également, il est presque impudique de parler de vacances en général pour les enseignants qui n’arrivent pas non seulement à joindre les deux bouts, mais ne voient surtout pas le bout du tunnel, alors qu’ils sont confrontés d’année en année à plus de difficultés.“Il n’y a pour ces deux dernières décennies que les enseignants dont le père est émigré ou un grand commerçant qui arrivent à vivre à peu près, tandis que tous les autres sont au seuil de la misère et vivent avec des créances chez tous les commerçants ; ceci pour les gens mariés, alors que les célibataires ne peuvent même pas rêver”, nous dit encore notre interlocuteur pour étayer ses propos avant de nous parler de lui-même car il fait partie de ces chanceux. “C’est grâce à mon père que je change de voiture et non à ma paie qui ne me suffit pas pour entretenir ma petite famille, surtout ces dernières années avec les prix qui ont pris les “missiles”. Les fonctionnaires sont maintenant réduits à travailler pour travailler uniquement, car l’argent ne suit pas les efforts fournis”, nous confie ce directeur qui n’a rien de tel, en réalité, comme il tient encore à le souligner.“Il est vrai que pendant ma jeunesse, j’attendais avec impatience les vacances de Pâques qu’on appelle maintenant celles du printemps malgré que la situation non seulement de nos parents mais aussi celle de tout le pays, n’était pas vraiment florissante, Mais il y avait ce nationalisme qui animait nos aînés”. Aâmi Slimane nous cite alors quelques exemples de personnes au sein des scouts musulmans algériens ou de la JFLN puis de l’UNJA, qui s’étaient occupés à organiser pendant ces vacances des sorties, des stages pour les adolescents qu’ils étaient. “A partir de 1970, les meilleures vacances de printemps sont celles du ministère de la Jeunesse et des Sports qui organisait outre les stages de formation de moniteurs de colonies, mais aussi les sessions dites de “Connaissance de l’Algérie”. Avec seulement cent dinars, tu passais dix jours dans une de nos wilayas comme Ghardaïa, Tlemcen, Constantine avec prise en charge totale”, se remémore amèrement Aâmi Slimane qui ne quitte plus son établissement, maintenant.Pour ces enseignantes, d’un certain âge, mères de famille, qui ne sont pas loin de la retraite, ces vacances sont les bienvenues car elles sont vraiment fatiguées avec toutes les tâches qu’elles doivent supporter quotidiennement. Il faut vraiment être une femme pour le faire.“Quand j’étais jeune, c’est comme toutes les filles du pays, les vacances se passaient à la maison et mes parents ne connaissaient pas ce mot ; il n’existait même pas pour eux, d’autant plus que mon père devait trimer dur pour nous nourrir, mais après mon mariage, tout a changé avec mon mari qui ne vivait que pour et avec les vacances”, nous déclare Mme S. avec un grand sourire d’une femme heureuse et comblée, si ce n’est son travail qui commence à lui peser sur les épaules, aggravé par certaines maladies qui apparaissent avec l’âge.“Les plus belles vacances sont celles des années quatre-vingt, puis plus rien, surtout à partir de 1992/ Mais Incha’Allah, avec la paix revenue, les jeunes vont enfin en profiter. Mais pour ce qui est de ces belles années, nous allions surtout au Sud ou à Hammam Righa, Hammam Bou Hanifia, Biskra, et on est allé même une fois à Madrid (Espagne) et à Istanbul (Turquie). Warak Azmane ?”, nous raconte Mme S. dont le visage s’assombrit dès qu’elle se remémore la dernière décennie.Nous commîmes une faute grave en lui demandant pourquoi elle a été marquée par ces années de terreur. “Mes quatre enfants sont tous nés quelques jours avant les vacances de printemps, car pour mon mari, c’est vraiment bête qu’un enfant d’un couple d’enseignants naisse pendant les vacances d’été, par exemple, ou en cours d’année. Il faut que le bébé profite au moins de la présence de sa mère pendant les six premiers mois, aussi, pour ma dernière grossesse, en 1992, le bébé devait venir aux environs du 15 février mais il est né le 10. C’était à Bordj Ménaïel ; quelques instants après sa naissance, l’appel à la prière de l’aube est lancé du haut du minaret qui se trouvait tout près, mais il fut interrompu. Lorsque mon mari s’est présenté de bon matin, je lui ai raconté ce qui s’est passé et il m’avait appris que deux inspecteurs ont été assassinés à l’intérieur du lieu de culte, c’est à partir de ce jour que le calvaire a commencé”, finit par nous dire Mme S. Par contre, pour Melle L., jeune professeur d’arabe au lycée, pleine de beauté et de vie, si elle n’a pas beaucoup de choses à raconter, c’est qu’elle commence à vivre et l’avenir est pour elle, d’autant plus qu’elle convolera en justes noces cet été. Pour ces vacances de printemps, Melle L. laisse le soin à son fiancé qui n’arrête pas de lui faire des surprises chaque jour, en la faisant sortir, d’autant plus qu’il a la chance d’avoir une belle voiture. Ahmed, lycéen en troisième année secondaire, qui n’est pas en bon terme avec son géniteur, n’a pas trouvé mieux à faire dès le début de ces vacances que de se rendre chez ses anciens camarades, actuellement à l’université, pour passer quelques jours chez eux, tandis que son ami Farid compte profiter des cours donnés au lycée pendant cette première semaine. “Rien n’est organisé maintenant pour les lycéens, ni pour les jeunes en général. Pourtant, d’après ce qu’on raconte, tous les moyens existent maintenant alors qu’avant, tout se faisait avec le strict minimum”.Entre hier et aujourd’hui, il y a tout un océan. Et pour s’acclimater à ce nouveau monde, il faut une longue période d’adaptation, il faut espérer comme le disait feu Rachid Mimouni, que “le printemps ne sera que plus beau”.

Essaid N’Aït Kaci

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