«C’est encourageant qu’on s’intéresse à ce que je fais»

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Dans cet entretien, Abderrahim Hemmam, auteur-compositeur -interprète, parle de son parcours dans la poésie, de ses ambitions futures ainsi que de son dernier recueil de poésie intitulé Tisemti.

La Dépêche de Kabylie : Présentez-vous à nos lecteurs…

Abderrahim Hemmam : Je suis auteur-compositeur-interprète, dramaturge et poète. Je suis né le 1er mai 1972 au village Takerkarth, dans la commune de Bouandas. Après avoir suivi mon parcours scolaire, j’ai obtenu une licence en philosophie à l’université de Constantine en 1998. En 1999, j’ai continué mes études à l’université de Paris 8. Actuellement, j’enseigne la littérature arabe à Béjaïa et, en même temps, je prépare un Master en philosophie générale à l’université Ferhat Abbas de Sétif.

Comment avez-vous débuté votre carrière ?

D’abord, j’étais parolier et chanteur du groupe «Izurar», que j’avais créé avec une bande de copains à l’université de Constantine. Nous avions enregistré quelques chansons, durant les années 90, et même fait un album que nous n’avons pas distribué. À la dislocation du groupe, j’ai continué à écrire des poèmes. En 2013, j’ai recommencé à chanter et à enregistrer en solo, sous le nom de Rahim H’mana. Depuis, j’ai mis trois albums sur le marché : «Tirgines» en 2013, «Achebhan Douberkane» en 2015, et «Anzar» en 2017. J’ai aussi composé 5 pièces théâtrales, dont trois ont été interprétées sur scène.

Parlez-nous de ce premier recueil de poésie ?

Au début de l’année en cours, j’ai publié ce premier recueil de poésie, où j’ai réuni 17 poèmes dans les deux langues : tamazight et l’arabe. Ces poèmes traitent du vécu quotidien des gens, comme l’amour, le social, la politique et la culture. Il a été publié par l’édition El-Amel de Tizi-Ouzou. Pour l’occasion, je remercie Mme. Fatiha Begtache, M. Mahrouche Mohand-Ou-l’Hassene, M. Nourredine Issaâdi et Mme. Chahrazette Noui pour leurs aides respectives.

Pourquoi avez-vous décidé de traduire vos poèmes en langue arabe ?

J’ai décidé de traduire mes poèmes en arabe, car beaucoup de gens ne comprennent pas tamazight, que ce soit des berbérophones ou des arabophones, et surtout parce que beaucoup de personnes n’ont pas eu l’occasion d’étudier tamazight. Aussi, c’est pour rapprocher le lecteur de l’auteur. Par ailleurs, c’est une occasion de vulgariser notre langue pour la rendre accessible, même pour les arabophones. Le poète ou l’écrivain a toujours une mission à travers ses écrits. Au sujet de mes chansons, j’ai été interpellé par des auditeurs qui regrettaient de ne pas comprendre les paroles, surtout quand les aires et les mélodies étaient belles. Aussi, j’avais même traduit des pièces théâtrales de l’arabe vers tamazight. Alors, j’ai décidé de faire le chemin inverse. En Algérie, il y a plusieurs langues. En plus de tamazight, il y a l’arabe qui est parlée par beaucoup d’Algériens, qu’ils soient berbérophones ou arabophones. Alors, l’idée m’est venue de traduire mes poèmes de tamazight vers l’arabe. Le vive-ensemble impose le non-rejet de l’autre et on ne peut pas vivre avec quelqu’un, tout en rejetant sa langue et sa culture. Les Algériens sont condamnés à vivre ensemble. Alors, nous sommes condamnés à nous comprendre tant sur le plan linguistique qu’idéologique. Il faut trouver un terrain d’entente et éviter l’exclusion. Contrairement à ceux qui interdisent à leurs enfants d’apprendre d’autres langues, et particulièrement tamazight, nous, nous encourageons les nôtres à maîtriser le maximum de langues, car plus on apprend des langues, plus les canaux du savoir sont diversifiés.

Avez-vous rencontré des difficultés durant la traduction ?

Non, car j’ai fait mes études en arabe. Aussi, je suis natif d’une région où les berbérophones sont mélangés aux arabophones. J’ai plutôt trouvé des problèmes techniques pendant l’écriture en tamazight. Il y a ceux qui maîtrisent tamazight, mais ne maîtrisent pas l’informatique et il y a ceux qui maîtrisent l’outil informatique, mais ne maîtrisent pas le tamazight. Moi-même, je n’ai pas reçu de formation en tamazight. C’est grâce à mes filles que j’ai pu terminer mes poèmes. Comme tamazight est devenue une langue nationale et officielle, dans quelques années, tous les Algériens doivent la maîtriser, car elle intégrera tous les secteurs de l’État et de la nation.

Concernant votre recueil, comment a-t-il été accueilli par le public ?

Pour l’instant, j’ai organisé, avec l’aide de quelques associations, des ventes-dédicaces à Bouandas, Aït Noual Mzada et Bouira. J’ai programmé d’autres à Bousselam et à Sétif. Pour celle de Béjaïa, j’attends l’accord du directeur de la Maison de la culture, pour organiser une vente-dédicace. De premier abord, j’ai ressenti que mon travail intéresse bien les lecteurs et je compte poursuivre le travail de proximité, pour toucher le maximum de personnes avides de lecture et de poésie.

Avec la conjoncture actuelle, trouvez-vous que l’artiste est aidé ? Peut-il vivre de son art ?

Non. Il n’est pas aidé et ne peut pas vivre de son travail. Par contre, certains ont déjà réussi à gravir les échelons. Ce n’est pas pour l’argent que l’artiste travaille, mais pour son art. Il faut se battre pour faire passer son message. Même les outils de vulgarisation manquent et ne jouent pas leurs rôles comme il se doit. Si l’artiste tisse des liens, il est accueilli partout. Autrement, il meurt dans l’anonymat malgré son talent. Tamazight a besoin de tous ses enfants et de beaucoup de moyens pour évoluer et grandir. Il faut revoir la gestion actuelle du secteur de la culture, surtout ici à Béjaïa. J’ai plus travaillé ailleurs qu’ici à Béjaïa, bien que j’y réside depuis plus de 17 ans.

D’autres projets en vue ?

Oui. Je suis en train de composer une pièce théâtrale et j’ai un quatrième album qui sortira soit cette année ou au début de l’année prochaine.

On vous laisse le soin de conclure…

L’art demande des sacrifices. L’artiste doit définir sa mission et l’aimer. L’État doit aider ces personnes-là pour qu’elles puissent donner plus. Je remercie la Radio Soummam qui m’a déjà invité pour parler de mon recueil. Comme elle est l’unique radio dans la région, je souhaite qu’elle sorte plus sur le terrain, afin de toucher ceux qui sont dans l’ombre et qui n’osent pas, par dignité, aller quémander quelques minutes d’antenne. Je remercie aussi la Dépêche de Kabylie qui m’a permis de m’exprimer, à travers ses colonnes, et qui joue un grand rôle pour la promotion de tamazight et des jeunes artistes.

Entretien réalisé par Saïd M.

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