«Le monde repose sur la corne du bœuf». Ce dicton kabyle, révèle l’apport incommensurable de cette bête de trait dans la vie de tous les jours et le respect que lui vouent les gens de la terre que sont nos aïeux. Ami fidele, l’animal s’avère être l’allié indéfectible dans le dur labeur qu’est l’agriculture. De nos jours, cette pratique se perpétue encore dans de nombreuses localités de la région d’Ath Aidel, sur la rive droite de la Soummam. Le relief tourmenté de ces contrées se prêtant très peu à la mécanisation. «La paire de bœuf n’a jamais déserté la petite étable familiale ; il fut un temps, on n’en comptait même deux. Cela dure depuis trois générations au moins. Nous ne savons pratiquement rien faire d’autre que le travail de la terre, en s’offrant l’aide précieuse de cette bête docile et bosseuse. Le savoir-faire de ce métier se transmet de père en fils, et nous ne sommes pas prêts de le laisser tomber», témoigne un fellah de Tamokra. «Dès l’entame de la période de labours-semailles, nous travaillons sans interruption. Nos services sont sollicités même dans les communes limitrophes, comme Amalou et Bouhamza», dispose-t-il. À M’Cisna, une autre commune rurale par excellence, les labours à la force des bœufs sont toujours de mise. «À moins de vouloir laisser la terre en jachère, on ne peut pas se passer de la charrue et de la paire de bœufs. Il y a peu de prestataires et ils sillonnent tous les villages et hameaux pour proposer leurs services, moyennant une rémunération qui va de 5000 à 6000 dinars la journée de travail d’une dizaine d’heures», signale un paysan du village Ighil Imoula. «C’est une pratique qu’on devrait encourager et préserver, car non seulement elle valorise la terre nourricière mais elle est respectueuse de la nature et de l’environnement», plaide un habitant de Sidi Saïd. Dans la commune de Béni Maouche toute proche, cette tradition est aussi vivace mais, déplore-t-on, elle a tendance à décliner progressivement au fil des années. «Il faut aimer passionnément ses terres pour s’accrocher et faire vivre ces pratiques anciennes, qui tenaient d’une philosophie de vie. Hélas, c’est loin d’être le cas, dans la mesure où l’on assiste à un recul de l’agriculture vivrière traditionnel», relève un citoyen de Trouna, le chef-lieu communal. «Ici comme ailleurs, la paire de bœufs se fait de moins en moins présente. Les gens n’ont plus le cœur à gratter une terre ingrate et soumise aux aléas de la nature. Ils sont plutôt attirés par le commerce et les affaires qui leurs procurent un meilleur confort matériel», assène un autre habitant du village Aguemoune. En accentuant le démantèlement de la paysannerie, la transition socio-économique a accéléré le changement des paradigmes et imposé une nouvelle manière d’appréhender la vie. L’heure n’est plus à l’agriculture vivrière, pourtant éco-responsable, mais à la logique rentière et à la quête éperdue de profit.
N. Maouche