Les cendres nostalgiques

Partager

Ferhat Medrouh est incontestablement l’un des rares chanteurs kabyles de cette nouvelle génération à avoir résisté aux bouleversements de la « chanson fast-food » en préservant un chant délié et posé dont le texte se fait vigoureux.

Un label autobiographiqueFidèle à son tempérament combatif, Medrouh chante vengeur mais mélancolique et son amertume, comme une vague qui déferle sur l’âme en peine, en dit meurtrissures et flammes intérieures. Tout l’univers de cet artiste coule dans une périphérie romantique bondée de nostalgie, sa voix, chaude et ferme, en module les alternances mélodiques. Réparti sur sept titres aussi riches que prolifique, ce cinquième album produit par Tadoukli Edition, (il sera sur le marché début avril), nous offre une oeuvre intégrale et ostensiblement soignée. Au-delà du label autobiographique de cet album, son auteur garde toujours ce ton à la Matoub, c’est-à-dire un verbe cru, rustique et toujours téméraire.

Témoins et tourments Dans « Inigan » (les témoins), titre générique de l’album, un superbe duo avec Farid Yamani, Ferhat prend en témoin sa bien-aimée et lui révèle les tourments auxquels il est éternellement soumis depuis leur séparation. Un amour têtu à l’image de l’artiste. La confession est celle d’un rebelle incorrigible, proscrit par ses ennemis, mais toujours prêt à les parodier et brouiller leurs intrigues. « Anidat tayrini » (qu’en est-il de cet amour là?), chef-d’oeuvre qui l’a révélé en 1995, repris et épousseté par de légers arrangements, est aussi un surprenant morceau d’une extrême tendresse, où le poète s’abandonne aux réminiscences du bon vieux temps de l’amour insouciant, avec une nostalgie émouvante. Une chanson qui frissonne et joue en même temps avec simplicité et amour entre soleil et brume.

Plaies et mélancolie « Adruhagh » (je m’en vais), est autant un titre remarquable qui conte la douleur de tout villageois contraint de quitter sa terre natale pour chercher fortune sous d’autres cieux. « Digelil » (l’humble), certainement la chanson qui ressemble le mieux à l’artiste, défend que le temps et les faux conforts de la vie n’aient rien changé dans la conduite de Ferhat et qu’il reste toujours cet homme humble et modeste de jadis. Quant à « Acedhi » (nostalgie), c’est une chanson souvenir qui fuse dans une sphère mélancolique débordante de chagrin. « Lexbarim » (tes nouvelles), porte également la même estampille d’amour blessé où l’auteur semble attaché à sa dulcinée tel qu’on s’attache à sa terre natale. Enfin, « Ayen ighyurguan » (notre destinée), est un titre existentiel qui parle des aléas du destin et du sort fortuit de tout individu le temps d’une vie.

Un écho émouvant En somme, il y a quelque chose de poignant dans cet album. Fragmenté entre les rêves déçus de sa nostalgie et l’orgueil brusque de son ego, embrouillé, l’auteur semble chercher désespérément le chemin de l’affirmation. Ferhat Medrouh, qui, dans toute son oeuvre, a préféré chercher ce qu’il y a derrière les personnes que de fouiller les faux-semblants; faire entendre les non-dits à l’état abrupt que de farder son verbe pour dérober la triste réalité, ajoute in fine, à sa réputation de poète d’indiscipline, cet impromptu brillant où le verbe se fait hautain, vigoureux mais bien mesuré. Avec “Inigan », Ferhat Medrouh nous a donné là la plus raffinée de ses créations. La plus accomplie aussi. Rien que pour ça, « Inigan » vaut bien d’être écouté!

Lounès Tamgout

Partager