«Une prise en charge insuffisante ou parfois inexistante dans le pays est, en grande partie, la raison qui empêche ou retarde l’accès à un traitement approprié et correct au profit des enfants atteints de l’autisme».
C’est ce qu’estiment des parents d’enfants autistes, rencontrés dernièrement au niveau de l’unité de prise en charge des autistes de Béjaïa, mise en place par une association locale s’occupant de cette frange d’enfants.
«Le circuit médical désoriente le parent»
Né après huit années de mariage, l’unique enfant de Hocine A. est atteint d’un autisme sévère. Il aurait pu éviter cette «complication» à son enfant, si les médecins qu’il avait consultés ont fait un diagnostic à temps à son enfant lorsqu’il ne dépassait pas encore l’âge de deux ans. Pourtant, ce parent était convaincu que son enfant avait quelque chose de «spécifique» dès les premiers mois de sa vie. «Mon unique enfant que j’ai eu après huit ans de mariage est atteint d’un autisme sévère. Actuellement, il a neuf ans. Lorsqu’il avait à peine quelques mois, j’ai remarqué que mon enfant était différent des autres. Toutefois, le pédiatre n’a pas confirmé ce que je doutais», a-t-il raconté. Il a fallu, donc, attendre trois ans pour qu’un médecin confirme les doutes du père et établisse, enfin, un diagnostic pour son enfant. «C’était en 2012 qu’un médecin m’a confirmé que mon enfant est autiste. Mais, c’était déjà trop tard, car il avait atteint le stade de l’autisme sévère», dira notre interlocuteur avec regret. En effet, il aurait pu assurer une prise en charge précoce et correcte à son enfant, si le diagnostic a été fait à temps par les médecins. Pour lui, le retard flagrant que les médecins prennent pour établir un diagnostic influe négativement sur la prise en charge de l’enfant autiste. «Le circuit médical désoriente le parent et retarde la prise en charge de son enfant autiste. L’on ne peut pas obtenir un RDV auprès des centres régionaux, avant que l’enfant n’atteigne l’âge de trois ans, car l’on considère que l’autisme est diagnostiqué à cet âge-là. Aussi, seul un psycho-pédiatre peut confirmer le diagnostic. Or, ces médecins spécialistes manquent cruellement en Algérie», a-t-il souligné. Une fois, donc, le diagnostic établi par un médecin, la prise en charge de l’enfant s’impose avec toutes les difficultés et les souffrances que les parents doivent endurer, aussi bien sur le plan financier que moral. Hocine a une fonction libérale, ce qui lui permettait d’assurer une prise en charge à son enfant chez le privé. «J’ai refusé la prise en charge d’une heure par semaine au niveau du service de psycho-pédiatrie de l’hôpital Drid Hocine, à Alger, car c’était inutile pour moi. Il s’agit uniquement de guidances parentales. Or, j’avais assez de bagages et de connaissances sur l’autisme. J’ai alors cherché une prise en charge à mon enfant du côté du privé. J’ai trouvé un psychothérapeute à Alger qui proposait deux séances par semaine. C’était satisfaisant. Fort heureusement, j’avais une fonction libérale qui m’a permis de le faire, car les frais de la prise en charge sont faramineux. Beaucoup de parents ne peuvent pas se permettre cette prise en charge dans le privé», avoua notre source. S’il a pu tenir le coup, c’est grâce aussi à sa femme, a-t-il concédé : «Ma femme est très courageuse. Elle travaille sans relâche et m’aide énormément pour la prise en charge de notre enfant», a-t-il affirmé. En outre, pour garder le cap et ne pas sombrer dans la dépression, le père dit ne pas trop songer à l’avenir de l’enfant, mais vivre le présent. «Il ne faut pas penser à l’avenir de l’enfant, sinon vous allez vous découragez. Par exemple, pour l’âge de la scolarisation, il ne faut pas chercher une référence, ce n’est pas un souci», a-t-il conseillé. Notre interlocuteur a assuré à son enfant une prise en charge d’une année à Alger, avant de découvrir l’association de prise en charge des autistes de Béjaïa, qu’il n’hésitera pas à rejoindre. Vu son expérience et son long combat pour prendre soin de son enfant, cette association a fini par lui confier l’unité de prise en charge des autistes qu’elle a ouvert au chef-lieu de wilaya. «Actuellement, mon enfant commence à parler progressivement. Puisqu’il n’y a pas d’institutions publiques de prise en charge des autistes à Béjaïa, je pense que les autorités devraient encourager le mouvement associatif pour en faire un plan d’urgence dans la prise en charge de l’autisme. Cela pourrait être une solution», croit-il.
«Au début, j’ai été désorienté et dégoûté…»
Contrairement au témoignage précédent, M. Souknane, un autre papa, n’avait jamais pensé, par ignorance, avoue-t-il, que son enfant développait des caractéristiques de l’autisme. Il est vrai qu’il a remarqué des comportements un peu «anormaux» chez son enfant, mais il jugeait que c’était dû à son bas âge et donc c’était passager. «C’est ma mère, une enseignante de français en retraite, qui a insisté pour que j’emmène mon enfant vers un médecin. Cela s’est passé en 2015. Il avait alors deux ans. Il s’isolait, il gesticulait et parfois il courait dans tous les sens. Je pensais que c’était normal, alors que ma mère trouvait tout cela anormal. Donc, sous sa recommandation, je l’ai emmené à la polyclinique d’Iheddaden pour une consultation. Ne pouvant rien faire, on m’a orienté chez un pédopsychiatre se trouvant à El-Kseur. Ce dernier m’a, à son tour, dit qu’il ne peut pas me confirmer un diagnostic avant l’âge de trois ans. Personnellement, je ne savais pas c’est quoi l’autisme. J’ai été désorienté et dégoûté. Ma femme aussi était découragée», raconte M. Souknane. Le désarroi de ce parent s’est accentué lorsque le psycho-pédiatre qui suivait son enfant est parti s’établir à l’étranger. «J’avais l’habitude d’emmener mon enfant chez ce psycho-pédiatre privé, cependant, lorsqu’il est parti en France, je ne savais plus où aller car à l’hôpital il n’y a pas de prise en charge», s’est-il rappelé. Ainsi, M. Souknane a galéré plus d’une année sans qu’un médecin puisse établir un diagnostic pour son enfant. «Ensuite, j’ai sollicité l’aide d’un orthophoniste, qui m’avait conseillé d’aller voir un pédiatre. C’est ce que j’avais fait. Le pédiatre qui a consulté mon enfant m’a informé qu’il a juste un retard, mais ça va se débloquer avec le temps. Toutefois, quand j’ai emmené mon enfant à Alger, on m’a confirmé qu’il avait des signes de l’autisme», a déclaré notre interlocuteur. Alors qu’il cherchait une prise en charge pour son enfant, ce parent entend parler de l’association APEEA de Béjaïa. C’était une bouée de sauvetage pour lui, sa famille et son enfant. «C’est en septembre 2017 que je suis venu à cette association par l’intermédiaire d’un médecin. Actuellement, mon enfant, atteint d’un autisme léger, est pris en charge. Il est calme. On m’a dit qu’il a juste un petit retard dans le parler. Avec la prise en charge qui lui est assurée au niveau de cette association, ses chances pour la scolarisation à temps seront augmentées», s’est-il réjoui.
«Nous constatons une amélioration dans la vie des enfants autistes»
Pour Mme Belhocine, thérapeute au niveau de l’unité de prise en charge des autistes de Béjaïa, une prise en charge correcte et adéquate de l’enfant autiste est à même de lui assurer un plein épanouissement sur les plans comportemental et affectif. «Au niveau de l’association APEEA, nous visons la stabilité de l’enfant dans ses comportements. Nous avons constaté une amélioration dans la vie des enfants que nous prenons en charge», a-t-elle affirmé. Cette thérapeute, formée en éducation spécialisée à l’INSFP de Béjaïa, s’occupe, en compagnie d’autres de ses collègues formées en orthophonie, de pas moins de 43 enfants autistes. L’un des objectifs tracés par cette association est d’optimiser les chances de scolarité des enfants autistes. «À travers notre programme d’activités, nous comptons améliorer les chances de scolarité à temps des enfants autistes. Pour atteindre cet objectif, nous leur assurons six heures par semaine de stimulation et deux heures par jour du programme ‘Teach’, des travaux manuels, l’eau thérapie (la piscine à l’OPOW), sport, judo, psychomotricité, des séances d’orthophonie et des sorties pédagogiques», a-t-elle souligné, tout en informant que pas moins de 70 enfants autistes sont sur la liste d’attente pour une éventuelle prise en charge à leur niveau.
Ouverture d’une classe spéciale au primaire d’Iheddaden
Le travail de sensibilisation et la persévérance de l’association des autistes de Béjaïa (APEEA) commencent à apporter ses fruits. En effet, pas loin que la semaine dernière, une classe spéciale pour autistes a été ouverte à l’école primaire El Nasr d’Iheddaden. «Nous avons procédé à des aménagements spécifiques pour accueillir ces enfants autistes. Ces aménagements prennent en considération la sensibilité des autistes aux bruit et le fait qu’ils ne réagissent pas à l’acquisition des données. Ils ont un mode de penser à part. Ils ne sont pas déficients, mais ils sont différents et méticuleux», fait savoir notre premier interlocuteur, M. Hocine Aït Hadrit, qui rend hommage aux responsables du secteur de l’éducation à Béjaïa pour avoir encouragé l’ouverture de cette classe spéciale. «Auparavant, c’était la sourde oreille de la par des autorités. Mais, avec notre travail de sensibilisation par des expositions et des films, les choses commencent à bouger. Personnellement, je remercie le directeur de l’école primaire d’Iheddaden, dont j’espère que l’exemple sera suivi par d’autres», a-t-il souhaité.
La formation et le financement, ces grands défis de l’APEEA
La bonne volonté des responsables de l’APCEA de Béjaïa fait face à deux défis de taille. La formation de ses thérapeutes et le financement de ses projets. «Nous avons un besoin constant de former nos thérapeutes. Dernièrement, nous avons conclu un partenariat avec une association canadienne dénommée ‘Autisme Ex-change’ pour prendre en charge la formation de nos thérapeutes. Mais la concrétisation de ce projet nécessite des fonds. Nous avons aussi besoin de l’argent pour assurer des salaires à nos employés et payer leurs charges sociales. Il faut savoir que nous avons recruté des auxiliaires de vie scolaire pour accompagner 70 enfants autistes dans leur scolarité. Nous devons verser 300 000 DA/mois à la CNAS pour leur couverture sociale», a déclaré le président de l’APCEA de Béjaïa, M. Kheiredine Rochedine, qui lance un appel aux autorités locales pour leur apporter le soutien financier nécessaire, pour répondre aux besoins des enfants autistes et leur assurer une prise en charge correcte.
Boualem Slimani