«Lounès viscéralement lié au 20 avril»

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à travers cet entretien, Malika Matoub, la sœur du rebelle et non moins présidente de la Fondation qui porte son nom, évoque le lien de Lounès avec Tamazight et les évènements de 1980

La Dépêche de Kabylie : Il n’est pas aisé d’évoquer les événements d’avril 1980 sans penser à Lounès. Tafsut Imazighen l’a beaucoup inspiré, au point où il fut incontournable lors des célébrations de cette date. Vous, Malika, sa soeur, racontez-nous ce lien entre feu Lounès et le 20 avril 1980…

Malika Matoub : Tafsut n 80 était un élément déclencheur pour exister sans aucune aliénation. Lounès, dès ses débuts en 1978 avec l’album «Ay Izem» avait pris à bras le corps la revendication amazighe. Il était le premier artiste contemporain kabyle à utiliser le mot «Tamazight» en tant qu’identité, dans «Ayadrar Nat Yiraten». Les événements d’avril 1980 avaient consolidé son engagement, il avait consacré tout un album à cet événement. Aujourd’hui, en écoutant «Oued Aissi» ou «Anerez wala aneknu», on est plongé directement dans la réalité tyrannique du régime et sa négation viscérale du fait Amazigh en Algérie. Il avait un lien indélébile avec Tafsut Imazighen, là où était célébré le 20 avril, il rejoignait les siens en Kabylie. C’était un point d’honneur d’être au rendez-vous de l’Histoire pour que personne n’oublie, de raviver cette flamme et encourager les jeunes générations à poursuivre la lutte, comme il aimait le dire : «Jusqu’à la constitutionnalisation et l’institutionnalisation de Tamazight dans mon pays». Pour être en harmonie avec son engagement, il avait toujours chanté gratuitement en Kabylie et était intransigeant envers qui galvaudait cette date.

L’université de Tizi-Ouzou a joué le rôle de «rucher» de militants, un véritable foyer des combats menés non sans en payer les frais. Lounès Matoub en a apporté son témoignage via ses chansons…

Tout à fait, me concernant, en 1980, j’étais lycéenne. Et ces événements ont un poids dans ma prise de conscience du fait Amazigh, même l’empreinte de Matoub me prédisposait déjà pour la cause. Au collège déjà j’avais appris le Tifinagh avec mon frère qui avait des documents de l’Académie berbère de Bessaoud Mohand Arav. Il me faisait lire les livres d’Yves Courrière sur la Guerre d’Algérie. J’avais des problèmes dans les cours d’Histoire avec mes professeurs d’arabe. J’écrivais en Tifinagh sur mes cahiers et mes manuels scolaires. En 1980 au lycée El Khansa de Tizi-Ouzou, j’étais une petite meneuse, j’aimais ressembler à mon frère, c’était, et c’est, mon repère, à ce jour. Quand je suis rentrée à l’université en 1982, j’avais déjà une conscience militante. Les organisations estudiantines étaient mon milieu naturel, les filles qui militaient à cette époque se compter sur les doigts d’une seule main. Les services de sécurité intimidaient les filles et elles avaient très peur des représailles sur leurs proches. Moi je n’avais pas peur, car j’avais le soutien de ma famille. Lounès était fier de mon implication aux côtés des étudiants et m’encourageait à aller de l’avant. Quand il était sollicité par l’université il exigeait toujours des étudiants que je sois dans la délégation, cela lui permettait de savoir à qui il avait affaire.

Peut-on parler aujourd’hui des acquis ? Que reste-t-il à faire pour que l’identité amazighe soit réellement restituée à son peuple ?

Comme on dit en Kabyle «Ulac ticrad mbla i damen». La Kabylie a payé un lourd tribut et ce n’est pas fini. Des forces occultes veulent mettre la Kabylie à genoux. Il y a tant de compromissions, de traitrise et de manipulations. Mais, comme toujours, la Kabylie demeure égale à elle-même par son authenticité, son patriotisme et sa bravoure. Les montagnes du Djurdjura et les saints protecteurs nous protègent seg ghurru (la perfidie). Le pouvoir aurait pu nous faire l’économie de tant de larmes et de perte de temps. Aujourd’hui Tamazight est officielle grâce au combat de nos ainés, les enfants du boycott, les martyrs du Printemps Noir et la volonté d’un peuple de ne pas abdiquer. Nous attendons d’autres signes forts, comme l’intégration de Tamazight sur les pièces d’état civil, la justice et bien évidemment sur le drapeau algérien comme l’a suggéré Lounès Matoub dans «la lettre ouverte aux…» Il faut se réconcilier avec l’authenticité, nous ne sommes ni orientaux ni occidentaux, comme disait Lounès «ad barzegh lgharv carq», nous voulons juste être nous-mêmes sans nous justifier à chaque fois du bien-fondé de notre démarche. Tamazight a besoin de paix.

Propos recueillis par M.A.Temmar

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