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Si Jugurtha revenait…

Hier, c’était le 20 avril. On commémore cette halte calendaire, comme une date repère de la jeune histoire et pourtant pluriséculaire de l’identité amazighe.

Par Sadak Ait Hamouda

On comptabilise cela comme une date fondatrice et unificatrice du peuple. Mais les jours comme les années sont soumis à des calculs d’épicier. Ainsi vont les jours qui se suivent avec une régularité de métronome détraqué, à cela près que tout se goupille, s’embobine puis à la fin se désarticule. Ce qui ne veut pas dire, loin de nous l’idée, qu’on ne s’en remet pas des surenchères politiciennes ou sociales, pour avoir gain de cause devant Dieu et Ses créatures. Il s’avère que «Tamazight» est plus forte que tout, elle est après bien des années d’attente, constitutionnalisée langue nationale et officielle, n’en déplaise aux marchands qui en font commerce à la criée. Ils la transportent, comme un vieux tapis, sur l’épaule et la proposent à ceux qui en veulent bien. Que ce soit en termes de produits vendables ou en marchandise qu’on écoule simplement dans les souks prévus à cet effet. Il va de soit que la matière ne manque pas à cet égard, il y a ceux que la graphie préoccupent au plus haut point, et ceux que les néologismes obsèdent au point où l’on se demande si c’est du kabyle, du chaoui, du targui ou tout autre idiome amazigh. Il s’est avéré plusieurs fois que ce n’est aucun des parlers usités par les populations de ces contrées. Pire, on se retrouve avec des vocables qui n’appartiennent aucunement, ni de près, ni de loin aux langues locales. On baragouine dans n’importe quel charabia pour faire parfait mais là où le bât blesse, c’est qu’au plan de la compréhension «interdialectale», il y a loin de la coupe aux lèvres. On se demande dès lors comment on en est arrivés là. Par quel stratagème ou astuce diabolique puisse-t-on se prévaloir d’avoir créé une langue que nul ne comprend.

Genèse d’un malentendu

Au départ, c’était le 20 avril qui provoqua la naissance du MCB lors d’un débat autour de l’avant-projet de la Charte nationale, une structure politique de la revendication culturelle. Le mouvement organisa bien des activités culturelles, pédagogiques, artistiques et aussi politiques. Ces activités ne se faisaient pas sans entourloupes, sans arrières-pensées, sans calculs égoïstes. C’était en ce temps-là qu’on entendait ceux qui prônaient «Tamazight point !» et ceux qui tenaient mordicus à «pas de Tamazight sans justice sociale». Il en va aussi pour ceux qui soutenaient Tamazight sans perdre de vue leurs arrières. Du centre du parti unique, il y avait des voix qui, sans être acquises au MCB, fréquentaient tout de même des militants et partageaient bien des points de convergences. Le moment n’était ni aux caractères de transcription, ni à la néologie. Cela peut surprendre quelques-uns, mais pas tout le monde. A l’époque, on n’était pas tous d’accord sur tout, chacun faisait sa révolution comme il l’entendait. A chacun ses priorités. Il ne faut pas oublier qu’alors, la quasi-totalité des membres du MCB étaient étudiants et n’étaient pas tous de Kabylie, il y en avait des Aurès, du Chenoua, de Ténès, de Tlemcen, du Sahara… et chacun apportait sa pière à l’édifice.

Des militants par l’écrit et la pensée

Sans dire que Kateb Yacine était militant MCB, il était de tout temps un guerrier des causes de tous les peuples à plus forte raison lorsque c’est du sien dont il est question, de Keblout, qu’il s’agit. Il prit fait et cause pour Mammeri, dont on a interdit la conférence sur la poésie kabyle ancienne qui devait se dérouler à l’Université de Tizi-Ouzou, ainsi que pour les étudiants et cria son désarroi à qui voulait l’entendre. Pour lui, ce que demandaient les étudiants était «l’algérianité à l’état brut», la priorité de toutes les priorités, c’est le début et le commencement du «polygone étoilé», en plus, il a toujours tenu à son amazighité, bien qu’il n’en pigeait que quelques mots. Kateb l’internationaliste, le communiste était aussi berbériste. C’est un double scandale pour les biens pensants de l’époque. Et il assumait sa «berbéritude» comme d’autres à leur négritude. Mouloud Mammeri est plus ou moins connu de la nouvelle génération. Il a “normalisé” comme il pouvait Tamazight sur les plans de l’écriture, de la grammaire, de l’anthropologie, de l’ethnologie et de tant de choses encore. Puis, il a donné un cours, qui fut vite supprimé par les autorités de l’époque. Cependant les temps comme les hommes changent.

Ces 20 avril devenus du folklore

Aujourd’hui que Tamazight est consacrée langue officielle et nationale, un autre débat intervient pour parasiter les tendances et imposer pour des raisons idéologiques, des néologismes et une transcription, sans aucun postulat scientifique ou linguistique. D’autre part, le 20 avril devrait être un moment de réflexion, de recueillement, de méditation. Cette date devrait nous interpeller, par sa symbolique fastidieuse, par son extraordinaire aura, par son inénarrable combat, pour parachever la réconciliation avec nous-mêmes. L’Algérie est l’un des rares pays à reconnaitre ce legs, comme celui de tous ses habitants là où ils se trouvent, au nord au sud à l’est ou à l’ouest, qu’il soit noir, brun ou blond. Il ne suffit pas de quelques déhanchés pour le célébrer, ni de quelques chants, ni de quelques slogans lancés à pleins poumons par des gens qui n’ont rien compris ni à Tamazight, ni à l’identité, que l’on se remémore les 20 avril et même avant. Cette cause a connu des sacrifices, des exactions, des emprisonnements, depuis avant 1954. Le Mouvement national est jonché de déni d’identité, de suspicions et j’en passe pour qu’on fasse abstraction des dons de soi pour «Tamazight» qui on ouvert les yeux à plusieurs générations. Il est un devoir désormais d’évoquer les précurseurs du mouvement. Ceux qu’on appelait les berbéristes ou les «berbéro-matérialistes» qui se sont acquittés d’un lourd tribut.

Epilogue d’une tragicomédie

Le temps des abus de faiblesses, comme celui des usurpateurs de tous poils est révolu. L’heure est à la vigilance et à la science sans lesquelles rien de tangible n’est possible. On passera son temps à parler un charabia en hommage à ceux qui ont perdu la vie pour un idéal qui vaut plus que cela. Que les programmes politiques prennent en charge la dimension identitaire c’est bien, quant à un débat sur le sexe des anges, c’est une autre affaire qu’il faut abandonner à ceux qui ont le ton de plaire, et de briller dans ces propos qui n’en valent pas la peine. Entre «celui qui dit oui et celui qui dit non !», la messe est dite, en berbère. Qu’il y eut des combats à toutes les époques cela nous interpelle plutôt deux fois qu’une, mais on ne peut, en aucune façon, nous imposer de nous conduire en chair à canon. Qu’à cela ne tienne, depuis qu’on a commencé à célébrer le 20 avril, il y eut des temps de clandestinité et des temps de récréations débonnaires, on a connu le « pire et le plus pire du pire », mais on ne s’est pas soulevés pour des pacotilles. Autrement dit, puisque l’essentiel est là que va faire Jugurtha à son peuple majeur et pas oublieux pour un sou, pour tempérer son ardeur à vouloir tout avoir à l’œil, tout contrôler ? Si Jugurtha revenait parmi ses sujets, il leur dirait, certainement : «Vous m’avez trahi combien de fois et je vous ai pardonnés, alors ne recommencez pas». Ce qui indispose l’aguelid, c’est la propension qu’ont ses descendants à guerroyer par procuration. Et ils le font systématiquement. Comme s’il s’agissait d’automatismes innés.

Les MCB divisés

Les MCB, il y en avait trois, d’abord la coordination nationale proche du RCD, les commissions nationales du FFS puis vint le rassemblement de Ferhat M’henni, qui ne manquera pas de s’éteindre comme ses prédécesseurs et ne se rallumer qu’en pareilles occasions. Chaque MCB fonctionnait isolément. ils avaient chacun sa politique inspirée du programme de sa chapelle politique. A la création du HCA la coordination s’était l’inauguration des chrysanthèmes, en allant fleurir les tombes de ceux, qui, naguère ou jadis ont milité pour Tamazight. Les commissions on mal vu le HCA et le traitaient de tous les noms d’oiseaux, et le rassemblement n’était pas encore né. Aujourd’hui, plus de MCB, ils se sont dissouts dans la foulée des consécrations dont a bénéficié l’identité de tous les algériens. Cela n’a pas été un frein pour la « folklorisassion » qui ne cessait de hanter les arcanes du 20 avril. Malgré tout cet anniversaire continuera en dépit de tout de briller comme le soleil au firmament du pays.

S. A. H.

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