La fiction du travail

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Par Mohamed Bessa

Dans le fatras de la lutte anti-CPE en France, il faut bien se garder de se perdre et de perdre de vue l’essentiel. Il ne faut surtout pas s’appesantir sur l’action nihiliste de ces casseurs que les marcheurs du 14 juin 2001 avaient déjà découverts, à Alger, sous les oripeaux d’une grossière manipulation policière. Il ne faut pas, non plus, se laisser distraire par le cabotinage d’un Sarkozy dont toute l’énergie est tendue par une ambition présidentielle débridée qui ne craint pas d’emprunter au grotesque et au caricatural. Ne pas faire grand cas de ce crédo jésuite de De Villepin, qui pourrait avoir sauté au moment où vous lisez ces lignes, qui prétend écouter autant « ceux qui marchent comme ceux qui ne marchent pas ». Les enjeux sont ailleurs et dépassent très largement le cadre franco-français dans lequel ils se déploient en l’occurrence pour interpeller cette valeur « travail » qui fonde, partout dans le monde, le lien social.Dominique De Villepin entend déplacer la ligne d’équilibre de la relation employé versus employeur au profit de ce dernier au prétexte d’un fouettement de l’offre d’emploi. C’est-à-dire envisager le travail comme une marchandise soumise aux forces du marché. « Monsieur je n’ai pas de boulot pour vous, je pourrais peut-être vous prendre pour le Smic si vous renoncez aussi à vos droits sociaux » ! C’est que cette offre n’a cessé de s’étioler au fil des ans. Aujourd’hui les progrès de la science tendent de plus en plus à réduire à sa plus simple expression l’opportunité du travail. Les machines s’occupent de tout et n’ont que marginalement besoin de l’assistance de l’homme. Le fleuron national qu’est Cevital ne « perd » que 2% de masse salariale rapportée au chiffre d’affaires non en raison d’une sous-rémunération mais bien plus d’une automatisation poussée de tous ses procédés de fabrication. De bout en bout, il s’agit, schématiquement, de saisir les données adéquates sur des computers pour obtenir, en fin de chaine, les productions souhaitées. Sous l’impulsion de l’OMC, cette WBO du commerce qui demande à tout un chacun, quel que soit son poids, de boxer dans la même catégorie, se déploie une orientation structurelle et lourde de l’économie mondiale vers davantage de productivité et de compétitivité qui ne va pas sans attenter à la valeur même du travail qui fonde la socialité. Mais tout le monde, c’est-à-dire tous les gouvernements du monde, fait comme si cette donnée n’existe pas. Comment peut-il en être autrement lorsque précisément tous sont jugés sur leur aptitude à stabiliser le lien social, c’est-à-dire à réaliser sinon une situation de plein-emploi, une autant moindre que possible quantité de chômage. « On ne sonne pas les clairons de la défaite quand on conduit la bataille », aurait, mutatis mutandis, clamé Ouyahia. Or malgré l’exemple foireux de Tony Blair, vers lequel lorgne sans l’avouer De Villepin, qui au prix d’une précarisation accrue, est, en effet, parvenu à réduire notablement le chômage, il ne semble pas y avoir de solution satisfaisante au problème de l’inutilité du travail. »L’extinction du travail passe pour une simple éclipse alors que, pour la première dans l’Histoire, l’ensemble des êtres humains est de moins en moins nécessaire au petit nombre qui façonne l’économie et détient le pouvoir », écrit Viviane Forrester dans un essai publié il y a dix ans La sonnette d’alarme est tirée mais ni les patrons ni les politiciens n’ont d’autre intérêt que de se boucher les oreilles. Un livre retentissant qui s’éloigne de ce Fukuyama qui prétend que le monde est enfin tangent au bonheur suprême en étant au seuil de réaliser le libéralisme économique et la liberté politique pour clore enfin une ère d’histoire fondé sur les affrontements. Non, c’est plutôt un certain Karl Marx qui paraît frétiller sous terre comme un has-been d’Holywood qui flaire un fracassant come-back.

La semaine dernière s’étaient tenues, tant à Bgayet qu’à Tizi, les premières sessions ordinaires des APW issues des dernières élections. Cela vaut le détour. Et tout le monde a d’ailleurs le droit d’y assister sous réserve de l’humeur de l’appariteur de la wilaya. On y apprend des choses. Par exemple qu’à Bgayet, il n’y a quasiment plus de foncier industriel. Qu’un investisseur qui voudrait ouvrir une unité pour absorber ce qu’il peut de la grosse armée des chômeurs ne trouverait pas de terrains d’assiette sauf à s’installer dans certaines contrées où même les chèvres se prennent du vertige des altitudes. Car on en est là chez nous. A supplier les patrons de bien vouloir nous ouvrir des usines pour sucer notre force de travail. On passe sur le fait que certains d’entre eux ont déjà ramené la relation du travail à l’ère de Ford et du taylorisme : syndicalisation interdite, sous-rémunération, au juste traitement de pré-emploi alloué par le département de l’Emploi et de la Solidarité, manquement à la législation du travail en ce qui concerne les heures du travail et les congés. Ça ne fait rien du moment que ça permet au gouvernement de crier au recul du chômage.

M.B.

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