Alors que la Kabylie s’apprête à rendre un vibrant hommage et commémorer la triste date de l’assassinat de Matoub Lounes survenu le 25 juin 1998, je me rappelle l’unique occasion qui s’est présentée au mois d’avril 1995 lors de la venue du Rebelle pour animer un gala à Bouira. Gala qui n’a malheureusement pas pu se tenir à cause de certaines conjonctures propres à cette période. J’étais au MCB et nous avions décidé d’inviter une pléiade d’artistes pour commémorer le Printemps berbère. Je me rappelle, le MCB avait organisé plusieurs galas à Tizi-Ouzou, Béjaïa et Bouira, avec Matoub en invité. Il y avait également Ferhat Imazighen. Nous avions tout préparé et le gala devait se tenir au stade Bourouba. Il y avait foule. Plus de 3 000 personnes s’était agglutinées pour assister à cet événement. Matoub Lounès et Ferhat avaient été installés à l’hôtel «Nacim» et attendaient de monter sur scène. Malheureusement, il y a eu une faille dans le dispositif des services de sécurité du MCB. Alors que les gens affluaient au stade, plusieurs agents de sécurité du MCB nous ont signalé des personnes armées qui étaient entrées dans le stade. Je me suis déplacé pour voir ce qu’il en était. Effectivement, j’ai trouvé des gens armés qui se sont présentés comme des gendarmes et policiers, en civil, mais qui ont refusé de me présenter leurs cartes professionnelles. Là voyant que le gala risquait d’être perturbé, surtout que des familles étaient présentes en nombre devant la scène, nous avons préféré annuler le gala. Ce fut une décision lourde que j’ai du communiquer à Matoub, qui comme à son habitude a refusé de cautionner l’annulation du spectacle. «Que peut-il m’arriver ? Qu’ils me tuent, et alors ?», m’a-t-il dit. Je lui ai répondu, en plaisantant, qu’il aille se faire tuer chez-lui si cela lui convenait… Mais il a fini par être réceptif à mes arguments. En informant par la suite le public qui était au stade, les gens ont compris les enjeux et ont quitté le stade dans le calme. Alors que nous déjeunions à l’hôtel, j’ai demandé à Ferhat et à Lounes de rédiger des remerciements pour le public qui avait fait le déplacement. C’est Ferhat qui a rédigé les remerciements en s’excusant et en donnant l’écrit à Matoub, ce dernier l’a refusé. Il m’a demandé d’écrire moi-même cette lettre. Chose que j’ai faite en reprenant les mêmes termes utilisés par Ferhat. Là Matoub a accepté que cette lettre soit communiquée au public. Je lui ai demandé comment se faisait-il qu’il ait accepté la lettre que j’ai rédigée alors qu’il avait rejeté celle de Ferhat. Matoub me fixa alors droit dans les yeux et me dit : «Dada-k Ferhat, seqf-iss d’l RCD, nek seqff-iw d-igeni !». (Ferhat, son plafond c’est le RCD, moi seul le ciel me couvre). Ce sont-là des paroles qui m’ont marqué, alors qu’il savait très bien que Ferhat et moi étions à l’époque très proches. Matoub, tu nous manques toujours autant !
M’hand Amarouche, professeur des universités et militant de la cause amazighe