Pour une poignée de patates

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La récolte de la pomme de terre bat son plein dans la wilaya de Bouira, particulièrement au niveau du plateau d’El-Esnam où l’on peut apercevoir des centaines de personnes, l’échine courbée, qui s’affairent à ramasser les tubercules sous les dards du soleil.

Vendredi dernier, aux alentours de 4 heures, plus d’une cinquantaine de jeunes venus des wilayas de Médéa, M’Sila, Aïn Temouchent et Aïn Defla étaient attablés au relais routier de cette localité. À peine réveillés, et tentant tant bien que mal de plaisanter sur cette longue journée qui les attendait, les jeunes, encore courbaturés, sirotent leur café. La récolte de la pomme de terre est un travail éreintant mais bien payé, c’est la seule motivation qui semble d’ailleurs les animer pour se rendre dans les champs de patates aux aurores, avant que le soleil ne soit trop assommant. Lyes, une vingtaine d’année, est originaire d’Aïn Defla, c’est son premier déplacement à Bouira pour travailler dans les champs. Il avoue que depuis son tout jeune âge, il n’a fait que ce métier dans sa région. Les traits tirés par le soleil, et le teint mat malgré un chapeau de paille à moitié troué sur sa tête, Lyes n’a d’autre choix que de se démener comme un diable à longueur de journée pour nourrir sa famille composée de sa mère, deux frères et une sœur en bas-âge. «J’ai commencé les travaux dans les champs alors que je n’avais que 12 ans, à la mort de mon père. J’ai dû quitter les bancs de l’école très tôt. J’étais pourtant un bon élève. Mais vu notre situation, j’ai fait le choix de subvenir aux besoins de ma famille plutôt que de me consacrer aux études qui auraient couté de l’argent», se souvient-il. Ils travaillent, lui et ses camarades, dans différentes parcelles et pour différents exploitants agricoles. Il ne s’agit pas d’un problème pour lui qui dit pouvoir s’adapter à toutes les situations. «Nos employeurs sont sympathiques, ils nous paient selon le nombre de cageots ou de sacs remplis et ils nous offrent le gîte et le couvert tout le temps que durera la récolte de la pomme de terre. D’ailleurs, nombreux sont mes amis qui viennent à Bouira deux fois par an pour faire les récoltes de la pomme de terre. C’est grâce à eux que je suis ici pour travailler, et les agriculteurs sont plus généreux qu’à Aïn Defla», dira-t-il. Il est à peine 5 heures, et les ouvriers agricoles s’apprêtent à monter dans les véhicules et tracteurs chargés de les emmener dans les champs. Le trajet est fait en à peine un quart d’heure et les premiers rayons du soleil découvrent les immenses champs de pommes de terre. Sur place, des tracteurs soulèvent des sillons de terre pour permettre aux ouvriers d’arracher les tubercules. Les cageots sont en place et des camions attendent pour charger leur cargaison en direction des marchés de la capitale. Les ouvriers n’attendent pas pour courber l’échine, ils se mettent au boulot rapidement et plusieurs cageots sont remplis en un rien de temps.

Malgré des traitements onéreux, le mildiou a infesté plusieurs parcelles

Rachid est un exploitant agricole qui a investi dans plusieurs parcelles de terre pour la production de la pomme de terre. Il est arrivé au champ bien avant les ouvriers. Il tient, ainsi, à connaitre la délimitation de sa parcelle et la quantité de pommes de terre qu’il doit livrer chaque jour à ses clients. «Aujourd’hui c’est vendredi, nous n’avons pas beaucoup de camions à charger et la journée s’achèvera avant 11 heures. Pour cela, je tiens à être sur place pour diriger les ouvriers et les orienter vers la superficie qu’ils devront nettoyer. Il faut savoir que la pomme de terre, cette année, a été frappée par le mildiou en certains endroits. Je préfère donc arracher en premier lieu les surfaces saines en évitant celles terrassées par cette maladie», explique Rachid. Les symptômes de cette maladie sont visibles et les feuilles de la pomme de terre sont recouvertes de taches brunes avant qu’elles ne se dessèchent. La maladie apparaît par foyers isolés, puis s’étend avec une extrême rapidité à l’ensemble de la parcelle. Sur le tubercule également on aperçoit certaines taches brunes ainsi que des zones marbrées de couleur rouille et fibreuses. L’apparition du mildiou a pour origine les facteurs climatiques avec les pluies abondantes qui se sont abattues dans la région au printemps dernier. Pourtant, selon les producteurs de pommes de terre, les traitements ont été faits à temps, mais les pluies sont venues chambouler leurs calendriers. Néanmoins, la récolte de ce tubercule, cette saison, s’annonce satisfaisante à en croire les producteurs qui déplorent toujours le fait que les prix soient imposés par les marchés de gros de fruits et légumes. «La pomme de terre se vend entre 25 et 30 dinars le kilogramme sur les champs. Des prix définis par plusieurs marchés de gros de la capitale ou de l’Est du pays qui imposent cette tarification. Des prix qui sont, il faut le dire, en deçà de nos efforts et de nos investissements», déplore Rachid.

Vers l’introduction de variétés plus résistantes au mildiou

Deux nouvelles variétés ont été testées, cette saison, dans les plaines d’El-Esnam. Il s’agit de la Mondéo et de l’Argos. Des pommes de terre qui ont, pour le moment, apporté beaucoup d’espoir auprès des agriculteurs de cette filière avec des rendements pouvant atteindre entre 650 et 700 quintaux à l’hectare, voire des pics de 750 quintaux. Des pommes de terre vantées comme étant de qualité supérieure pour leur calibre et la blancheur de leur robe, mais aussi pour leurs apports nutritionnels et pouvant être frits. Toutefois, même si ces variétés sont plus résistantes au mildiou, les traitements phytosanitaires sont obligatoires pour le traitement contre justement le mildiou, la teigne, les acariens, entre autres. De plus, Rachid, l’agriculteur, affirme que la main-d’œuvre se fait rare et coûte de plus en plus cher. «Je dispose d’une cinquantaine d’ouvriers, parfois plus. Et ce chiffre peut aisément être multiplié par deux, lors de saisons propices. Chaque ouvrier est rémunéré à raison de 50 000 DA par mois, et je leur assure l’hébergement et la nourriture, et toutes leurs dépenses sont à ma charge. En plus de ces équipes, j’embauche souvent des journaliers pour récolter les pommes de terre arrivées à maturité. Ils sont payés à hauteur de 100 DA le cageot remplis de tubercules», dira-t-il. Avec autant de frais, cet exploitant agricole estime que, pour cette saison, il espère pouvoir amortir son investissement entre la location de la terre (80 000 DA l’hectare et par saison), les dépenses liés, notamment, au mazout et à l’eau, la rémunération des ouvriers et les traitements phytosanitaires.

Un rendement atteignant entre 450 et 500 quintaux à l’hectare

Pour M. Messaoud Boudhane, président de l’association des maraîchers de la wilaya de Bouira, le producteur de pommes de terre fait face à des charges de plus en plus lourdes. Même si l’on enregistre un rendement variant entre 450 et 500 quintaux à l’hectare, selon les endroits et les engrais utilisés, les professionnels de la pomme de terre déplorent la hausse des prix qui touche l’ensemble des intrants de cette filière. Semences d’importation, engrais, produits phytosanitaires sont autant de produits déjà couteux auxquelles il faut ajouter la TVA que les producteurs avouent ne pas pouvoir récupérer. Les dernières augmentations des prix des carburants ont également pénalisé les producteurs. Ils sont unanimes à déplorer le fait qu’actuellement l’exploitation d’un hectare de pommes de terre revient à plus d’un million de dinars en comptant la location des terres. Pendant ce temps, sur les marchés d’El-Esnam et de Bouira, le tubercule se négocie entre 50 et 60 dinars. Le comble est qu’il ne provient pas de la localité mais du Sud du pays ou d’Aïn Defla.

Crainte d’augmentation des prix avant la prochaine récolte

Le risque d’une augmentation des prix n’est pas à écarter avant la prochaine récolte. C’est ce qu’affirment plusieurs agriculteurs rencontrés qui pointent du doigt la politique des pouvoirs publics concernant la filière de la pomme de terre qui enregistre régulièrement des couacs. «Il faut s’attendre, avant la prochaine récolte, à une pénurie de pommes de terre sur les étals. Car vu les faibles superficies exploitées, il est fort probable que l’on se retrouve, au mois d’octobre, avec une forte demande et une offre plutôt maigre. Il y aura de la pomme de terre mais il se peut que les prix enregistrent une forte hausse pour atteindre les 100 dinars le kilo. Pour le moment, nous n’avons pas eu recours au SYRPALAC car notre récolte s’écoule facilement, au dessus de leurs tarifs. De ce fait, il est fort probable que les stocks de ce système soient insuffisant pour couvrir les besoins des populations lors de la période de soudure entre les deux récoltes, soit à partir du mois d’octobre», prévient un agriculteur d’El-Esnam. Pour M. Boudhane, un autre facteur entre en considération dans ces calculs, à savoir la superficie destinée à la production de ce tubercule. «Il y a quelques années, la wilaya de Bouira disposait de 3 800 hectares réservés essentiellement à la pomme de terre. Toutefois, ces dernières saisons, à cause des pertes essuyées par les producteurs, la superficie n’est plus que de 2 500 hectares», détaille-t-il. À préciser que depuis l’avènement du périmètre irrigué, la diversification des cultures est devenue très importante au niveau des plaines du plateau d’El-Esnam. Carottes, laitues, courgettes, betteraves, navets, choux, choux fleurs, blettes et cardes, sans parler des melons et des pastèques, sont autant de cultures qui se sont développées à une vitesse grand V supplantant ainsi le monopole détenu jusque-là par la pomme de terre. À noter que le périmètre irrigué d’El-Esnam s’étend sur plus de 2 300 hectares. Et 5 000 hectares couvrant El Adjiba, M’Chedallah et Chorfa jusqu’à la limite frontalière avec la wilaya de Béjaïa. Une superficie appelée à se développer et à se diversifier, vu les extensions programmées par le ministère de l’Agriculture.

Hafidh Bessaoudi

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